Chapitre 52 : Sam

Sam le sentait. Ce soir, il allait exploser. C'était quelque chose qui se pressentait et il savait qu'il ne se contiendrait pas plus longtemps.

Il avait l'impression qu'un même schéma se répétait éternellement. Lili lui parlait d'une soirée. Elle le forçait à l'accompagner. Et puis une fois sur place, Sam était rabattu au rang d'accessoire. Lili le laissait traîner sur le canapé sans venir le voir alors qu'il ne connaissait personne. Cette soirée-là ne faisait pas exception, évidemment.

Sam ne comprenait pas. Il se sentait terriblement différent. Les gens dansaient, criaient, sans se soucier du regard des autres. Pourquoi lui en était-il incapable ? Pourquoi était-il si différent ? Sam aurait tout donné pour être de ces adolescents inconscients. Il aurait voulu aimer ces « grosses soirées », teintées d'ivresse et de folies inoubliables. Il aurait voulu se sentir à sa place, parmi ces gens dont il admirait l'attitude fêtarde. Il avait l'impression de passer à côté de quelque chose. « Tu ne sors pas assez, tu passes à côté de ton adolescence ». Pourtant, s'il ne ressentait pas le besoin de les imiter, c'était juste qu'il n'était pas comme eux et qu'il ne loupait donc rien. Mais ce soir, il rejetait cette idée et se sentait simplement plus bas que terre. Et par-dessus tout, en colère.

Il observait Lili danser. Elle se dandinait, levant les bras au ciel, criant à tue-tête des paroles qu'elle connaissait à peine. Sam lui en voulait. Sam lui en voulait de s'amuser autant alors que lui ne s'était jamais senti aussi mal à l'aise, seul sur son canapé en sirotant un vulgaire Ice Tea.

Il avait bien remarqué aussi ces deux types qui regardaient Lili d'un air un peu trop insistant. Il les voyait bien s'approcher d'elle. Chaque seconde un peu plus. Sam serra les poings. Il aurait voulu aller leur casser la gueule, tel un petit ami protecteur. Mais une nouvelle fois, il n'arrivait pas à agir. Il se sentait impuissant et ça le rendait fou.

Sam vit Anna chuchoter quelques mots à l'oreille de Lili en le regardant. Lili se tourna vers Sam et puis elle soupira en secouant la tête d'un air agacé, comme s'il était le dernier de ses soucis. Anna leva les yeux au ciel et s'éloigna, laissant Lili seule... Avec ce type sorti de nul part.

Sam le vit s'approcher de Lili. Ses intentions paraissaient assez claires. Et puis ils se mirent à danser ensemble. Sam observa le jeu de regard qui s'installait entre eux. Sam observa Lili passer ses bras autour de son cou en chantant d'un air ivre et joyeux. Sam observa les mains du gars descendre vers les hanches de Lili. Sam observa leurs lèvres inconscientes se rapprocher.

Et Sam explosa.

Il se releva brutalement du canapé.

Fini les tergiversions.

Cette fois-ci, il ne réfléchissait et ne contrôlait plus. Sam rejoignit Lili et cette dernière relâcha le mec, comme si elle se rendait enfin putain de compte de sa connerie.

« Lili, faut qu'on parle, lança Sam d'un ton sans appel.
- Arrête de me faire chier, je danse, protesta Lili. »

Sam l'attrapa par le bras et la traîna dehors malgré ses protestations de gamine de six ans. Une fois dehors, Lili grogna :

« J'ai froid.
- C'est fini. »

Lili tourna légèrement la tête sur le côté. Elle fronça les sourcils, comme si son cerveau embrumé par l'alcool tentait de recevoir l'information. Elle paraissait assister à une scène qu'elle ne comprenait pas. Cela ne fit que renforcer la colère du garçon.

« C'est fini, répéta t-il.
- Tu me quittes, là ? »

La voix de Lili se fit soudain tremblante. De tristesse, d'incompréhension, et peut-être aussi de colère.

« T'es pas sérieux ?! Comme ça ? Pour rien ?! »

Sam inspira un bon coup en fermant les yeux. C'était le moment. Il ne maîtrisa pas le flot brouillon de paroles qui sortit enfin :

« Putain, Lili, ta gueule. J'en ai marre. Je suis plus malheureux qu'heureux avec toi. Tu me fais du mal et je t'en fais aussi. Parce que oui, j'avoue, je suis égoïste et ça me saoule de te voir si épanouie pendant que je me sens seul et con. J'en ai marre de te voir jouer avec tous ces mecs. J'en ai marre de tout. Cette histoire va finir par me tuer.
- Tu peux pas me laisser comme ça, souffla Lili. »

Sam s'efforça de ne pas craquer. Il devait aller au bout. Il ne devait pas flancher face à ces doux yeux bleus, ni à cette moue triste. Il devait repenser à tous ces moments. À toutes ces fois où Lili avait joué avec lui. La colère le regagna.

« Je veux pas plus parler, Lili. Retourne t'amuser.
- Mais t'es sérieux ?! »

Sam se figea. Si Lili paraissait abattue et abasourdie, la colère commençait à enflammer ses yeux.

« Tu peux pas me laisser comme ça, merde ! Pas pour ça !
- Tu te rappelles tout ce que tu m'as fait ? Désolé, j'ai sincèrement cru que je t'avais pardonné, mais je n'ai jamais oublié. Il fallait que ça explose un jour. On était voués à l'échec. Et arrête de faire ta victime. »

Cette fois-ci, Lili eut un rire jaune, empli de sarcasme. Elle eut un sourire mauvais à l'égard de Sam, comme s'il n'était plus qu'une pauvre merde à ses yeux.

« Je ne fais pas la victime. Je ne suis pas une victime. Je suis la putain de fille qu'on utilise. Celle que Matth a utilisé pour rendre jalouse Olenka. Celle que les gars utilisent pour se remettre d'une rupture. Celle que les gars utilisent quand ils en ont marre de leur copine. Celle que tu as utilisé pour sortir de ta coquille et t'affirmer. Et, une fois qu'on se sent mieux après m'avoir utilisée, on me laisse tomber. Toujours. »

Sam tressaillit presque. Malgré sa rancœur, il resta bouche-bée. C'était bien la première confidence sur sa personne que Lili lui livrait. Lili ne dévoilait ses faiblesses que très rarement. Mais s'il se sentait touché, il ne pouvait s'empêcher de rester énervé.

« Comme tu es en train de le faire, continua de marteler Lili. T'es vraiment un putain d'égoïste, Samuel. Tu dis que c'est moi qui me sers de toi, mais c'est l'inverse. Tu jouis de ma popularité et du sentiment de confiance que je t'apporte quand tu es à mes côtés. Et maintenant que tu as absorbé tout ça, tu me laisses tomber.
- N'importe quoi ! s'enflamma Sam. C'est toi qui joues avec moi en permanence. Tu me trimballes partout où tu vas comme un accessoire pour monter que t'as réussi ton pari de merde et que t'as « changé ». Mais t'aimes pas la personne que je suis, tu me trouves pas assez grande gueule alors tu me provoques pour que je te fasse des crises de jalousie et que tu te sentes importante. Parce que c'est autour de ça que tournes ton monde : se sentir importante. Tu crois que c'est sain, comme relation ? Allez, dans une heure, tu étais dans le lit de l'autre pauvre con si je n'avais rien dit. »

Lili ouvrit la bouche, avant de la refermer. Ses yeux brûlaient d'une indignation qui cachait mal la peine. Elle inspira comme pour se calmer. Et elle tenta de se défendre :

« Tu n'es pas mon accessoire, Sam. Tu... Tu te rend pas compte. Tu es la première personne que j'aime vraiment. Je suis juste maladroite. »

Sam le sentait. Il allait rechuter. Tête première. Il devait fuir, et vite. Alors il se remémora tous ces moments de douleur où Lili s'était jouée de lui. Il se remémora comme les moments de tristesse étaient presque aussi forts que ceux de bonheur. Ce n'était pas sain. Sam pensait s'être trouvé aux côtés de Lili, mais il ne faisait que se perdre et s'oublier davantage. Il fallait qu'il stoppe tout ça avant qu'il ne soit trop tard. Sam devait apprendre à être lui, et à enfin arrêter de vivre à travers les autres. Sa mère, et maintenant Lili. Sam devait arrêter tout ça. Il était temps qu'il se retrouve, même s'il ne s'était peut-être jamais vraiment trouvé. Sa dépendance affective ne le mènerait nul part.

« C'est fini, Lili. Je suis désolé. On n'est pas prêts. Je... Je suis pas prêt, peut-être. Je suis pas prêt à aimer sans que ça ne devienne mauvais. Pour moi, comme pour toi.
- Tu m'aimes pas ? plaida Lili, que l'alcool rendait sans filtres.
- Je t'aime. Avouer ses sentiments fut simple mais lui brisa terriblement le cœur. Mais je ne veux plus de tout ça. »

Sam allait partir. C'était le moment. Mais il ne pouvait pas la laisser sur de telles paroles. Il avait besoin de la sentir, une ultime fois.

Il s'avança et remit les cheveux bouclée de Lili derrière ses oreilles. Il sentait les larmes monter. Mais Lili le regardait désormais d'un air mauvais.

« Ne me touche plus. Encore une fois, tu ne penses qu'à ta gueule. Tu as besoin de me toucher alors tu le fais, en sachant pertinemment que tu vas me quitter la seconde qui suit. Putain d'égoïste que tu es. Il y eut un moment de silence alors qu'elle reculait. Alors, c'est comme ça que ça se finit... La blonde plissa les yeux. Très bien. »

Et elle fit volte-face en retournant dans la maison d'un pas déterminé. Sam sentit son cœur se déchirer. Il ne voulait pas la voir partir. Il voulait garder Lili à ses côtés.

Mais il devait penser à son bonheur avant tout, peut-être pour la première fois de sa vie. Alors à son tour, il fit demi-tour et s'en alla, avec la nette impression que sa vie allait changer.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top