Chapitre 37 : Zoé

C'était officiel, Zoé détestait les soirées.

Du moins, celles où elle n'était pas avec Anna.

Prostrée dans le canapé, sirotant un délicieux cocktail, elle observait d'un regard où perçait la haine Anna et Alban. Ils dansaient ensemble. Alban était beaucoup trop près d'Anna, qui, loin d'être dégoûtée, semblait profiter du moment. Zoé aurait aimé dire que cette vision ne lui faisait ni chaud ni froid, mais elle bouillonnait intérieurement.

C'était le karma, pourrait-on lui dire dans un haussement d'épaules. Après tout, Zoé n'avait pas su saisir sa chance, avec Anna. Elle n'était donc pas en droit de la priver de s'amuser avec un autre. Pourtant, elle ne pouvait pas regretter. Elle savait qu'elle avait fait le bon choix. Zoé était hétéro, son inexplicable relation avec Anna n'y changerait rien. Point. De toute façon, elle n'aurait jamais pu l'assumer, avec ses parents si fermés d'esprit. Et puis, de toute façon, il n'y avait rien à assumer. Contrariée par ces médisances, Zoé soupira bruyamment et se leva, ne pouvant plus rester plantée là à contempler son amie s'éclater avec un autre.

Elle s'en voulait de réagir de cette manière. Zoé aurait voulu être une amie exemplaire, qui se serait réjouie que sa copine ait trouvé quelqu'un. Pourtant, elle se sentait juste dévorée par la jalousie. Peux-tu vraiment nier l'évidence après une telle réaction ? la nargua une petite voix au fond d'elle, et elle s'empressa de la chasser.

D'accord, Zoé aimait bien Anna. D'accord, Zoé aimait passer du temps avec elle. D'accord, peut-être qu'elle repensait un peu trop souvent à leurs baisers... Pourtant, ça ne faisait pas d'elle une...

Amoureuse ?

Elle chassa ce mot maudit, un peu effrayée par la puissance de ses sentiments. Même si je l'aime, tenta t-elle de se convaincre, c'est voué à l'échec. Je passerai vite à autre chose...

Déterminée à se changer les idées, elle sortit dehors, à la recherche de visages familiers. Évidemment, Lili avait invité tout le lycée. La petite brune à la peau foncée plissa les yeux en croyant reconnaître une imposante musculature qui se frayait un passage à l'intérieur, suivie d'une grande blonde. Pourquoi est-ce que Lili est avec Matth ? Où était Olenka ? Inquiète pour son amie, et aussi pour se sortir une brune au regard un peu trop perçant de l'esprit, Zoé l'appela aussitôt. Heureusement, la blonde décrocha vite.

« Zoé ? Ça va ?
- Oui, super. Euh... Tu fais quoi, là ?
- Je suis chez moi, mes parents ont un dîner d'affaire stupide et je suis censée servir de chandelle, soupira Olenka a l'autre bout du fil, et Zoé reconnut une profonde tristesse dans sa voix qui l'interpella.
- Ça va ? Tu as l'air triste...
- Je me suis disputée avec Matth, avoua finalement Olenka d'une voix tremblante. On s'est déjà disputés, mais là...
- Quoi ? la pressa Zoé, qui avait un mauvais pressentiment.
- Tu connais mes parents. L'ouverture d'esprit, c'est pas leur truc. En gros, ils m'ont demandé de planquer Matth et sa sœur pendant que leur client serait là. Qu'est-ce que j'aurais pu dire ? Ça fait longtemps que j'ai lâché l'affaire pour essayer de changer leur mentalité. Maintenant que je les vois quasi-jamais, j'essaie d'éviter que nos retrouvailles se résument à des embrouilles. Sauf que Matth a mal pris le fait que je laisse couler, et il pense que je suis pareille qu'eux. Après, j'sais pas, il a pété un câble et s'est barré. J'ai essayé de l'appeler, mais pas de nouvelles. Je crois qu'il est allé à la soirée de Lili, mais j'ai du mal à y croire. Et ce n'est pas tout... »

Zoé sentit son cœur se serrer. La voix d'Olenka était secouée de sanglots, et il lui était insupportable d'entendre ça sans rien faire. De plus, le fait d'avoir vu Matth à la soirée ne présageait rien de bon. Comment pourrait-elle avouer à Olenka qu'il était ici ?

« Quoi d'autre ? demanda Zoé, la gorge sèche.
- Tu sais, Raphaël...
- Raphaël ? répéta Zoé, perplexe.
- Je t'en ai parlé, l'autre jour... »

Une nouvelle fois, Zoé se sentit coupable. Anna envahissait tant ses pensées qu'elle n'était même plus attentive avec ses propres amies. Incapable de mentir à son amie, elle soupira :

« Désolée...
- Bref, pas grave. On s'est vus l'autre soir, il m'a proposé d'aller boire un verre après le taf. On est amis, j'allais pas refuser...
- Matth était au courant ? l'interrogea Zoé, qui savait combien le grand brun pouvait être jaloux et possessif.
- Non... Je sais pas, c'est comme si on allait boire un verre toutes les deux, ça m'a pas paru dramatique. Sauf que tout à l'heure, il a posté une photo de moi sur Insta avec des cœurs et tout, et je crois que Matth l'a vue après notre dispute.
- Merde. »

Zoé réfléchissait à toute allure. Anna était sortie de ses pensées, seul aider son amie comptait désormais. Mais que pouvait-elle lui dire, elle qui ne connaissait rien à l'amour ?

« Bref, désolée de te déranger, soupira Olenka à l'autre bout du fil.
- Tu ne me déranges pas. Comment est-ce que tu as su que tu l'aimais ? changea de sujet Zoé, la gorge nouée.
- Je le sais, c'est tout. Tu ne te poses pas la question quand c'est le cas. Tu as juste envie d'être avec la personne. Je sais, c'est une réponse bateau, mais même moi je n'y comprends pas grand chose.
- Et tu penses que ça va durer, avec Matth ?
- Je suis amoureuse de lui, Zo. Complètement amoureuse. Ce mot me fait peur, mais ça ne sert à rien de se voiler la face. Un long silence suivit sa déclaration. Même s'il est sans doute juste allé faire un tour, s'il-te-plaît, si tu le vois... Dis-lui que je l'aime et surveille-le, ajouta t-elle avec un petit rire forcé.
- Promis. »

Après de telles déclarations, Zoé ne pouvait pas lui avouer que Matth avait volontairement contrarié Olenka en se rendant à la soirée alors qu'elle lui avait demandé le contraire. Il fallait juste que Zoé trouve Matth, et le convainc de rentrer. Prenant son courage à deux mains, Zoé regagna l'intérieur.

Il y avait beaucoup, beaucoup trop de monde. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin. Après avoir fait le tour, glacée d'effroi, Zoé réalisa que Lili aussi avait disparu. Ce combo ne pouvait entraîner que des malheurs. Elle commença à demander à tout ceux qui croisaient sa route s'ils ne les avaient pas vu, mais seuls des haussements d'épaules lui répondirent. Incapable de tenir plus longtemps, Zoé envoya simplement à Olenka :

« Je crois que Matth est à la soirée... Je vais essayer de le retrouver. »

Alors qu'elle continuait ses recherches, elle retourna chercher un verre. Elle avait à peine bu et ressentait le besoin de décrocher un peu, juste le temps d'une soirée. Zoé se servit quelque chose d'assez fort. Alors qu'elle ingurgitait le poison, un détail attira son attention.

Alban embrassant Anna.

Collés l'un à l'autre sur le canapé, ils se bouffaient littéralement la bouche. Zoé sentit ses jambes trembler alors qu'Alban passait ses mains sur les joues et les cheveux d'Anna. La jalousie enfla en elle.

Pouvait-elle vraiment nier l'évidence ?

Les paroles d'Olenka lui revinrent en tête. Tu ne te poses pas la question quand c'est le cas. Tu as juste envie d'être avec la personne. À cet instant-là, Zoé comprit que tous les plus forts alcools du monde ne pourraient lui faire fuir la réalité. Lorsque le couple se relâcha enfin, Anna jeta un coup d'œil à Zoé. Une décharge électrique secoua cette dernière, et elle s'empressa d'enchaîner d'autres verres, ne serait-ce que pour essayer d'enlever cette sensation douloureusement agréable qui s'échauffait dans son bas-ventre. En vain, comme toujours. Zoé n'avait plus peur de l'alcool. C'était étrange, quand on savait l'effet dévastateur que cela avait eu sur ses proches.

Alban se leva enfin pour rejoindre ses amis fumeurs dehors et Zoé continua de siroter sa boisson, en regardant fixement Anna, qui semblait mal à l'aise. L'alcool commençait à lui monter à la tête et Zoé sentait qu'elle perdait peu à peu contrôle d'elle-même. Et elle adorait ça.

D'une démarche lente, elle traversa la pièce dansante et s'assit sur le canapé, juste à côté d'Anna. Chose qu'elle n'aurait évidemment jamais fait en toute sobriété. Elle tourna la tête vers son amie, qui fixa ses lèvres un instant avant de se détourner, les joues un peu rougies. Zoé ne savait plus trop ce qu'elle faisait. Une chose était sûre, elle suivait son instinct et arrêtait enfin de réfléchir aux conséquences.

« Anna... souffla t-elle en se rapprochant de la brune.
- Quoi ? lâcha froidement son amie, sans pour autant se décaler. »

Zoé posa la tête sur l'épaule d'Anna, qui se tendit aussitôt. Mais, à sa grande surprise, la brune vint poser à son tour sa tête sur le sommet du crâne de Zoé, qui sentit les battements de son cœur redoubler. Alors, sans trop réfléchir, Zoé tourna légèrement le menton, à la recherche des lèvres de la brune.

Si, dans un premier temps, Anna resta immobile, le souffle suspendu, elle se décala avant l'inévitable et repoussa violemment Zoé.

« Je suis désolée, pleura cette dernière, incapable de contrôler ses émotions. Je suis désolée... Anna, je t'aime...
- Tu es bourrée, Zoé, lâcha froidement la grande brune. Casse-toi. Arrête de jouer avec moi. Tu as fait ton choix, tu te souviens ?
- Je suis désolée... C'était une erreur... Anna, je veux être avec toi...
- Casse-toi ! cria de nouveau Anna derrière le brouhaha général. Dégage, putain ! Je suis en couple, merde !
- Mais...
- Sors de ma vie ! hurla Anna en se relevant brutalement. »

La grande brune se leva du canapé, les larmes aux yeux, alors que Zoé la contemplait d'un air perdu, complètement brutalisée par l'alcool. Elle avait laissé passer sa chance, et désormais, elle avait l'impression que rien ne serait plus jamais comme avant.

Impuissante, Zoé observa Anna rejoindre Alban et l'embrasser presque furieusement. Qu'avait-elle fait pour mériter ça ? Était-elle donc si mauvaise que tout ceux qu'elle aimait finissaient par lui faire du mal ?

« Salut... »

Alors qu'elle était absorbée par ses pensées, Zoé tourna la tête vers celui qui l'avait interpelée. Son cœur se serra aussitôt. Un Léo mal en point venait de s'assoir à côté d'elle.

« Salut, répondit-elle malgré la gêne qui lui brûlait la gorge.
- Tu aimes Anna ? demanda Léo en brûle-pourpoint. »

Zoé manqua de s'étrangler. Avait-il entendu leur conversation ? Pire encore, comptait-il la rapporter ? Horrifiée, Zoé ne put que le contempler avec terreur. Elle ne pouvait se résoudre à répondre.

« T'es lesbienne ? insista Léo. »

Zoé resta une nouvelle fois muette. Était-elle le mot qu'elle se refusait depuis tout ce temps ? Elle n'en savait rien. Tout ce qu'elle savait, c'était qu'elle aimait Anna, du plus profond de son être, et qu'elle rêvait d'être à ses côtés jusque la fin des temps.

Mais Léo n'avait pas besoin de le savoir.

Elle se replongea donc dans la contemplation des verres sur la table, le regard fuyant. Léo eut un petit sourire en coin et passa son bras autour des épaules de Zoé. La petite brune tressaillit mais ne se dégagea pas. C'était peut-être étrange en savant tout ce qu'il s'était passé, mais la présence de Léo avait le don de la plonger dans une aura de calme. Elle se sentait protégée.

Léo commença à avancer ses lèvres vers les siennes. Zoé ferma les yeux. Allait-elle recommencer à jouer à ce jeu dangereux ? Elle avait mal au cœur, elle avait besoin d'être aimée. L'alcool brouillait ses pensées et sur le moment, se laisser aller semblait lui semblait être une excellente idée.

Pourtant, Zoé détourna la tête in extremis. Si elle s'efforçait de garder un calme apparent, son cœur battait à tout rompre. Elle savait qu'elle avait pris la bonne décision. Elle n'arriverait à rien en fuyant les lèvres d'Anna en se réfugiant dans celles d'un autre. Zoé chuchota :

« On ne peut pas. Ce serait mal.
- Pourquoi ? lâcha Léo d'une voix engourdie.
- Parce que je ne t'aime pas. Je ne peux pas faire ça. »

Léo retomba dans le canapé avec toujours ce sourire en coin. D'une voix énigmatique, il souffla :

« Tu m'achèveras, ma Zoé. Je crois que je n'arriverais jamais à te comprendre. »

Zoé fronça les sourcils, surprise par ce retournement de situation. Comment étaient-ils passés d'un stade d'ignorance à ce « ma Zoé » ?

« Tu m'en veux ? demanda t-elle d'une voix presque inaudible.
- Non. Tu es juste un petit coup de cœur pour moi, si ce n'est pas réciproque, c'est bien que tu me dises les choses au lieu de me laisser espérer, comme la dernière fois.
- Je suis désolée, murmura Zoé d'une voix troublée. J'ai mal agi, j'étais perdue. Je ne voulais pas te faire du mal.
- Je comprends. Mais tu m'en as quand même fait. Je me suis jamais attaché vraiment à une fille, Zoé. Si tu m'aurais laissé faire ce soir, je crois bien que je me serais imaginé des trucs comme quoi on est des âmes sœurs destinées à toujours se retrouver, plaisanta t-il. »

Zoé esquissa un sourire bref mais son cœur était tiraillé. Pourquoi ne parvenait-elle pas à ressentir la même chose que Léo ? Léo était beau, Léo était drôle, Léo était populaire et par-dessus tout, Léo était un garçon. Pourquoi toute son âme entière restait désespérément accrochée à Anna ?

« Je suis désolée, sincèrement. Crois-moi, j'aurais bien voulu ressentir la même chose que toi. J'y ai vraiment cru, au début... Tout aurait été si simple.
- Mais je crois que ton cœur appartient déjà à quelqu'un, je me trompe ? conclut Léo. »

Une nouvelle fois, Zoé piqua un fard. Mais elle était incapable de nier, d'autant que Léo avait visiblement tout compris. Elle leva vers lui des yeux suppliants.

« Je ne dirais rien, soupira t-il. Mais c'est bête, de vous cacher. Franchement, ça se voit à dix mille que toi et Anna crevez d'envie d'être ensemble. Mais peut-être qu'Anna a plus de facilité à se détacher. Vu ma position, je sais si j'ai l'air d'un canard en te donnant un conseil, mais ne la laisse pas filer. »

Zoé ferma les yeux face au regard débordant de sincérité du blond. Elle préférait ne pas penser à Anna ; sur le moment, seul le fait qu'elle ait devant elle quelqu'un de si bon la taraudait. Elle s'était terriblement attachée à Léo, quand elle avait traîné avec lui, même si ce n'était pas les mêmes sentiments que lui. Bien qu'elle craignait le rejet du blond, Zoé tendit les bras vers lui et il lui fit un long câlin. Après plusieurs minutes durant lesquelles la musique ne fut plus qu'un bruit de fond, Léo la relâcha et déposa un baiser son crâne en lui murmurant ses dernières paroles :

« Prends soin de toi, Zoé. J'espère qu'on pourra devenir amis, malgré tout. Et rappelle-toi : ne la laisse pas filer. »

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