Chapitre 10 : Anna
« Alors, lequel tu comptes te faire ce soir ? la taquina Anna. »
En pleine réflexion, Lili plissa les yeux.
« Alban est plutôt pas mal. Mais je crois qu'il te kiffe clairement. Il me l'a bien fait comprendre. Toi, tu pourrais coucher avec. Il t'intéresse ?
- Euh... pas vraiment, non. Tu sais, Lili, j'aime pas vraiment coucher avec des mecs. »
Anna ignorait pourquoi, mais avec l'alcool ingurgité, elle se sentait prête à confier tout et n'importe quoi à Lili. Même si c'était Lili. Certes, son amie, mais avant tout une grande gueule égoïste qui pensait que le monde tournait autour de son petit nombril.
« Ah bon ? s'étonna Lili avec curiosité. Bon, c'est vrai que c'est pas toujours incroyable, surtout avec ceux qui ne pensent qu'à eux. Mais genre, pas du tout ? T'as eu une mauvaise expérience, c'est ça ? C'était qui ta première fois ?
- Au nouvel an en seconde, un mec me tournait autour et j'étais si bourrée qu'on a fini ensemble. Heureusement qu'on s'est protégés, mais c'était une erreur et ça n'avait rien de mémorable.
- Et tu n'as rien fait depuis un an ?! s'estomaqua Lili, alors qu'Anna levait les yeux au ciel.
- J'ai couché avec un autre type cet été, mais une fois de plus, ça ne m'a pas du tout donné envie de recommencer.
- T'inquiète, meuf, la rassura Lili. Il faut juste que tu le fasses avec quelqu'un qui te plait vraiment, ou mieux, que tu aimes, et ça changera la donne. À moins que tu sois lesbienne.
- Quoi ?! »
Anna faillit recracher dans son verre tant l'hypothèse semblait absurde. Elle, lesbienne ? N'importe quoi, cela ne faisait pas sens. Elle était toujours sortie avec des garçons. Si elle n'en avait jamais vraiment aimé, c'était juste parce qu'elle n'avait pas trouvé le bon. Depuis qu'elle était petite, Anna était persuadée qu'elle se marierait plus tard avec un bel homme et qu'ils fonderaient une famille. Point.
« Tu sors ça d'où, encore ?
- Bah quoi, ça pourrait. Ça changerait rien, que tu sois hétéro, homo ou même zoophile. Enfin, si, zoophile, ce serait assez dérangeant. »
Anna sourit. Dans ses moments, elle se rappelait qu'avoir Lili comme amie était précieux. Si elle avait bien une qualité, c'était son ouverture d'esprit. Ce devrait être un trait de caractère normal que l'on ne louangerait pas, mais dans cette société, il y avait tellement de personnes intolérantes que les Lili se faisaient rares.
« Non, reprit Anna avec conviction. J'ai juste pas trouvé la bonne personne. »
Lili ne s'attarda pas plus sur le sujet et recommença ses commentaires envers les garçons de la soirée. Intérieurement, Anna aurait voulu continuer de parler avec elle. Cela faisait du bien, parfois, d'être écoutée. Surtout par quelqu'un qui, même si c'était une façade, semblait avoir tout essayé et savoir tout sur tout. Avec Lili, la vie semblait si simple et légère.
« Toi, tu l'as déjà fait avec quelqu'un qui comptait vraiment pour toi ? relança t-elle.
- Non, jamais, admit Lili.
- Et Sam ?
- Sam... soupira Lili alors qu'une petite étincelle s'allumait dans ses yeux. Sam, j'ai envie de prendre mon temps. Pas qu'il m'intéresse sérieusement, ou quoi. J'ai juste envie de faire les choses... Bien ? Beurk, grimaça t-elle ensuite, ça sonne beaucoup trop faux dans ma bouche.
- Tu peux le dire, que tu l'aimes bien, la charria Anna.
- Non, je m'intéresse à lui pour faire taire Adèle, c'est tout. »
Lili se renferma sur elle-même et Anna comprit qu'elle n'obtiendrait plus rien d'elle sur ce sujet.
« C'est cool que tu aies invité Zoé, déclara Anna en changeant de discussion. Elle est sympa, tu sais.
- Mouais, renâcla Lili. Trop niaise et naïve à mon goût. »
Anna leva les yeux au ciel. Lili transpirait la jalousie.
« Tu la connais à peine, arrête de la juger comme ça.
- C'est pas de ma faute ! Elle joue trop à la fille parfaite, elle respire la fausseté. Moi, j'aime les gens francs, honnêtes,...
- T'es ridicule, s'agaça Anna, qui détestait qu'on s'en prenne à Zoé. Ça t'arrange bien, de te ranger du côté de ceux qui la critiquent sans raison, c'est sûr que c'est bien plus facile que d'aller apprendre à la connaître par toi-même.
- Et voilà, Anna, on est encore en train de s'embrouiller à cause d'elle. T'es complètement sur les nerfs dès qu'on prononce son prénom.
- N'importe quoi, démentit Anna, heureuse que l'alcool lui donne une raison d'avoir les joues rouges. J'aime juste pas les gens qui jugent.
- Toi aussi, tu juges. Tu n'aimes simplement pas ceux qui jugent ta petite protégée, ricana Lili.
- Zoé n'a pas besoin d'être protégée ! s'énerva Anna face à tant d'absurdités.
- On dirait que t'es amoureuse, la provoqua la blonde d'un air plein de vice.
- C'est ça, je suis folle d'elle, se moqua Anna en levant les yeux au ciel. Qu'est-ce que tu peux être conne, parfois.
- Tu vas où ? s'étonna Lili en voyant son amie se lever.
- Voir Zoé.
- Bien sûr, pourquoi je pose la question ? soupira t-elle, avant de crier face à l'ignorance d'Anna : Demande-lui de te retirer le balais qu'elle t'a mis dans le cul ! »
Anna n'écoutait même plus Lili. Un sourire traversa son visage lorsqu'elle aperçut Zoé. Prostrée près du buffet, elle ressemblait à un pingouin hors de l'eau, prostrée près du buffet. Elle la taquina :
« Pourquoi tu restes ici ? Oh, attends, le paquet vide de chips parle pour toi. »
Zoé éclata de rire, un son qui résonnait si doux aux oreilles d'Anna. Si Zoé était très introvertie de nature - pas vraiment timide, plutôt du genre à dissimuler ses émotions -, avec Anna, c'était tout autre. Et la brune se sentait privilégiée de posséder un tel lien avec elle. Elle adorait leur relation.
« Que veux-tu, tout le monde se jette sur l'alcool, les chips sont jaloux, s'innocenta Zoé.
- Pitié, Zoé, ne me dis pas que tu fais partie de ces hérétiques qui disent un chips au lieu d'une. »
Zoé prit une moue indignée avant de mettre ses mains sur le paquet de chips, comme pour lui boucher les oreilles.
« Chut ! Ils ne doivent pas t'entendre les mégenrer. »
Les deux complices éclatèrent de rire en chœur. Un léger silence s'installa entre elles, mais qui n'avait rien de dérangeant. Anna se sentait apaisée en sa simple présence. Elle n'avait pas besoin de faire semblant.
« Tu ne bois pas ? demanda Anna en remarquant le verre vide de son amie.
- Pas vraiment. J'ai plutôt des mauvais souvenirs avec l'alcool, répondit-elle simplement, sans pour autant baisser la tête. La soirée de cet été était l'exception, ajouta t-elle pour changer de sujet dans un petit rire. »
La curiosité d'Anna était piquée, mais elle se retint de poser toute question indiscrète. Elle ne voulait pas gêner Zoé. Anna se resservit donc un verre.
« Et ton régime ? la taquina Zoé. »
Le sang d'Anna se glaça. Elle avait plus ou moins avoué à Zoé qu'elle faisait attention à ce qu'elle mangeait, sans trop rentrer dans les détails.
La voix mauvaise de celle qui l'empoisonnait lui revint en tête. Tu as encore craqué. Tu es faible. Tu es une mauvaise fille. Anna fixa le fond de son verre, désemparée. Elle voulait être dans l'ambiance de la soirée, vraiment. Mais l'ombre de sa génitrice semblait désormais planer dangereusement au-dessus d'elle, et elle reposa son verre.
« Je rigolais, Anna, s'empressa de dire Zoé. »
Anna secoua simplement la tête. Elle avait besoin de se changer les idées.
« Viens, on va danser.
- Euh... Je ne sais pas danser, refusa Zoé, gênée.
- Il n'y a rien à savoir, sourit la brune, à la fois amusée et attendrie. Tu sautes dans tous les sens, et la magie opère.
- Mais je ne vais pas être en rythme, j'aurais l'air ridicule.
- Parce que tu en as quelque chose à faire, de l'avis des autres ? la défia Anna. »
Zoé ouvrit la bouche mais aucun son n'en sortit. Incapable de résister à la raillerie de son amie, elle passa devant elle et rejoignit la foule au milieu du salon. Son air faussement éloquent dissimulait mal sa gêne.
Au début, ses mouvements étaient maladroits, timides, peu naturels. Et puis, peu à peu, Zoé commença à rentrer dans la musique ; bon, elle n'était toujours pas en rythme, mais elle dansait pour elle et c'est là que toute la différence résidait. Elle semblait dans sa bulle, et Anna était d'ailleurs hypnotisée par cette nouvelle Zoé qui s'affichait là. Une part d'elle était fière. L'autre, envoûtée.
Incapable de rester dans son rôle de spectatrice plus longtemps, elle rejoignit Zoé. Les deux adolescentes commencèrent à bouger ensemble dans tous les sens, et le monde sembla s'arrêter de tourner autour d'elles. Il n'y avait plus qu'elles. Seules dans la bulle qu'elles avaient créées. Anna retrouva cette étrange proximité qui les avait unies le temps d'une soirée d'été.
Anna fut la première à se glisser hors de la piste, haletante. Éreintée, elle ne remarqua pas tout de suite le torse dans lequel elle se précipitait.
« Ça va, Anna ? »
Oh, merde. Alban. Anna lâcha simplement un sourire qui devait davantage ressembler à une grimace et se décala pour poursuivre son chemin. Mais la main d'Alban attrapa la sienne et la retint. Anna fronça les sourcils et tentant de se dégager.
« Tu veux quoi ?
- Viens danser, l'invita t-il simplement d'une voix éméchée.
- Euh... Non.
- Allez, insista t-il en commençant à se coller à elle. »
Anna se figea. Alban était son pote, qu'est-ce qui lui prenait ? Lili avait-elle dit vrai quant à ce qu'il pensait d'elle ? Mortifiée, elle tenta encore de se dégager, vainement. Anna n'osait pas le rejeter brutalement, mais elle ne s'était jamais sentie aussi mal que lorsqu'il commença à la coller de plus en plus. Une colère flamboyante se disputait avec son malaise interne.
« Viens, Anna, on va voir les étoiles ! pépia une voix faussement enjouée. »
Zoé. La petite brune, qui avait dû voir le malaise d'Anna face à la situation, venait d'arriver à son secours. Elle attrapa la main d'Anna et le tira violemment vers l'extérieur. Alban fronça les sourcils avant de reculer. Son regard sombre glaça le sang d'Anna.
« Merci, finit par chuchoter Anna. Je ne savais pas comment me débarrasser de lui.
- Un coup de pied dans les couilles me semble approprié. »
Anna éclata de rire et toute la tension accumulée s'évapora comme la rosée au matin. Pourquoi Zoé n'était-elle pas comme ça en permanence, mais seulement avec elle ? Anna aurait voulu montrer au monde entier comme elle était géniale.
« On va à l'étang du coin ? proposa Anna, sans trop réfléchir. »
Les yeux de Zoé pétillèrent, et Anna se jura de tout faire pour revoir une telle lumière s'infuser dans ces deux billes brûlantes.
L'étang était à moins de cinq minutes à pied, Anna s'y était déjà baignée. Elles y arrivèrent donc rapidement. Anna sortit son téléphone portable. Deux heures du matin ! Heureusement qu'elle n'était plus tout à fait sobre, car elle aurait paniqué dans cette nuit noire. Zoé, elle, ne semblait avoir peur de rien - si ce n'était les autres. Anna se demanda d'où elle sortait un tel courage. Zoé était si mystérieuse, elle paraissait fragile mais était en réalité l'une des filles les fortes qu'il avait été donné à Anna de rencontrer. Elle était tout simplement fascinante.
Anna s'assit dans l'herbe et Zoé l'imita. Le temps sembla se suspendre un instant et Anna souffla :
« Ça te rappelle quelque chose ? »
Un énorme sourire traversa le visage de Zoé et une adorable fossette vint se creuser dans sa joue droite. Anna sentit son cœur battre un peu plus vite.
Il y eut comme un moment de connexion entre les deux jeunes femmes, et aussitôt, elles retirèrent leurs vêtements avant de courir dans l'étang en éclatant de rire. À peine Anna eût-elle posé son pied dans la mare que Zoé la poussa violemment et elle se retrouva les fesses dans l'eau.
« Tu vas me le payer ! »
Zoé s'éloignait déjà un peu plus loin dans l'eau en rigolant. Anna ne put s'empêcher d'admirer son corps scintillant sous le claire de lune. Elle reprit bien vite le cours de ses pensées et se releva pour se jeter à la poursuite de son amie.
Quand elle arriva à sa hauteur, elle tenta de la pousser et un véritable combat démarra entre elles. Les rires des deux jeunes filles ne tardèrent pas à emplir l'endroit, et Anna en eut mal aux joues.
Quand l'eau devint vraiment froide, les deux adolescentes ressortirent de l'eau, trempées et frigorifiées. Zoé, qui avait peu de chair sur le os, tremblait comme une feuille mais ne se plaignait pas, comme toujours. Incapable de la voir comme ça, Anna se rhabilla en vitesse avant d'aller chercher des couvertures à la maison. Elle aurait pu parcourir le monde pour sauver Zoé.
Elle se dépêcha de retourner rapidement à l'étang, soucieuse d'avoir laissée Zoé seule. Dans un sourire, elle se pressa contre elle et elles passèrent les couvertures chaudes et sèches autour d'elles.
Finalement, Anna et Zoé finirent par s'endormir là, sous le claire de lune, blotties l'une contre l'autre. La nuit était assez inquiétante, mais aux côtés de Zoé, Anna n'avait plus peur de rien.
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