5 - Emma

L'appartement se remplit d'une fumée noire. La partie flamme était quand même plus sympa. Qu'est-ce que je suis censée faire maintenant ? J'attrape mon téléphone, j'appelle Marie qui ne me répond pas. J'appelle ma cousine dont le décalage horaire fait ressortir sa mauvaise humeur. « T'es cruche ! Il faut que t'appelles les pompiers ! » Ah oui, en effet. Je raccroche, j'appelle les pompiers quand une hache s'enfonce dans la porte d'entrée. Wow ! Je pense qu'ils m'ont fait plus peur que l'alarme. Je reste sur place en voyant les hommes en uniforme s'introduire dans la pièce. Tout va trop vite pour moi, je n'ai pas fini de boire mon café alors je n'ai pas encore le temps d'analyser la situation. L'un d'entre eux me tient à l'écart comme si ma vie en dépendait pendant que ses camarades éteignent mes bêtises. Il m'assoit, me met une couverture en aluminium, il pense que je suis en état de choc ?

La police finit par se ramener avec Romain. Il me regarde, choqué, sans doute. Ses yeux s'écarquillent en me voyant assise près d'un pompier. Je ne bouge pas. Je crois que j'admire tout simplement mon œuvre.

- T'as dû avoir peur... Je suis désolé de ne pas avoir été là... Tu vas bien ? me demande-t-il en s'approchant.

Je ne lui réponds pas. Je l'ignore, le regard perdu dans cette danse qui s'éteint, la palpitation de mon cœur avec.

- Vous allez bien, mademoiselle ? me demande un policier. Vous pouvez nous expliquer ce qu'il s'est passé ?

Romain vient s'asseoir à côté de moi. Il passe un bras autour de ma taille et pose une main sur mon genou. Je scrute chacun de ses doigts sur moi comme un corps étranger qui s'immisce dans mon espace vital avant de reposer les yeux sur le policier.

- Il m'a trompé, dis-je le plus normalement du monde. Alors, j'ai jeté les draps qu'il a utilisés dans la poubelle avec les verres de vin et la bouteille, et j'y ai mis le feu... Mais je n'avais pas prévu que ça prenne cette ampleur.

L'agent cligne des yeux plusieurs fois avant de se tourner vers Romain qui me fixe. Il a l'air surpris, les deux ont l'air surpris, sans doute à cause de ma révélation dénuée de sentiments.

- Euh d'accord... Vous vivez ensemble ? demande-t-il ensuite.

- Oui.

- Non, réponds-je en même temps.

Le policier reste perplexe.

- T'as oublié que l'appartement était à ton nom ? lui demandé-je en retirant sa main.

- Je suis désolé d'avoir dit ça, reprend-il doucement. On change le bail dès demain si tu veux.

- Monsieur, l'interpelle le policier. Étant donné qu'il s'agit de votre appartement, je me dois de vous demander si vous souhaitez porter plainte pour dommages et intérêts.

- Hein ? s'étonne-t-il.

Et les quelques secondes qui passent en silence me font sourire, je suis sûre qu'il est en train de réfléchir à ce qu'il pourrait y gagner. C'est vraiment avec ça que je sortais ?

- Non, non, je vais voir avec mon assurance, finit-il par dire.

- Très bien.

On reste ensuite assis dans la même position à regarder le spectacle de désolation qui a lieu devant nous ; Romain, bien plus préoccupé que moi. Les pompiers emmènent la poubelle avec eux, ils ouvrent toutes les fenêtres, vérifient que tout va bien, et nous laissent finalement dans un silence de mort.

- Tu m'en avais fait des trucs fous... Mais ça, c'est le meilleur, s'amuse-t-il doucement.

Je ne réponds pas. Je me lève. Je laisse tomber la couverture de mes épaules.

- Emma... ?

Je me dirige vers la chambre et j'attrape une valise que je remplis de mes affaires. Je fais la même chose avec la salle de bain. Je fouille l'appartement. Je récupère mes papiers. Romain me suit mais s'arrête contre la porte sans parler, comme si j'étais une gamine en pleine crise. Il se pousse quand je passe à côté de lui, attend que je me calme. Seulement quand je mets mon manteau, alors que je ne suis même pas habillée, il m'arrête par le bras.

- Tu pars combien de temps ?

- Je ne reviens pas.

- C'était une erreur, mais on est plus forts que ça, on peut travailler dessus, sourit-il doucement. S'il te plaît.

- Non, on ne l'est pas.

Je donne un coup d'épaule pour me libérer de sa poigne qu'il resserre.

- Tu devras bien revenir chercher le reste de tes fringues, signale-t-il autoritaire.

Je souris, un simple rictus, seulement du côté droit.

- Tu devrais arrêter de poser tes mains sur moi si tu y tiens un minimum.

Il me lâche, étonné. S'il croit que ce genre de remarques va me faire rester, c'est qu'il me connaît très mal. Je ricane, est-ce qu'il me connaît vraiment au final ? Je sors en claquant la porte, et le silence de la cage d'escalier, quand les échos s'évanouissent, me met en pause. J'ai l'impression de ne pas assimiler la situation convenablement. Cinq années de relation qui se terminent comme ça. Je ne sais pas quoi faire, je suis complètement paumée ; perdue entre mes envies de liberté qui se réveillent et ces barrières que j'ai appris à maintenir. Cinq ans à vivre cette vie, à jouer à ce jeu. Des années de thérapie m'ont dit ce que je devais ressentir, alors, aujourd'hui, dans cette situation, je n'en sais rien.

Je devrais pleurer, non ? Pourtant, j'ai l'impression de me sentir renaître.

Mon portable sonne et l'idée que ce soit Romain me donne envie de l'insulter pour oser m'appeler après m'avoir trahie. Sauf que... Ce n'est pas lui. C'est ma cousine. Je réponds, et comme une autorisation étrange, les larmes se mettent à couler sur mes joues pour une raison qui m'est inconnue ; je ne me sens pas triste, mais pour quelle autre raison est-ce que l'on pleure ? Je m'assois sur les marches.

- Alors ? Tu ne m'as pas rappelée !

- Je devais faire ma valise avant, je suis partie de chez lui. Il m'a trompée.

- Ah... Tu vas aller où ?

- À l'hôtel, je pense, je ne me vois pas retourner chez mes parents, dis-je en prenant une grande respiration. Je vais aller à l'hôtel puis je chercherai un appartement.

Les larmes se stoppent. Je les essuie en me demandant toujours ce qu'elles signifient. Je suis perplexe face à mes propres sentiments, face au sourire qui se dessine quand je me lève.

- T'as de l'argent sur ton compte ? reprend Anna.

- Quoi ?

- Réponds.

- Euh oui... J'ai eu ma prime de fin de contrat.

- Alors, rejoins-moi ! On va s'éclater, toutes les deux, à Los Angeles !

- T'es bête, ris-je doucement.

- Pourquoi ? T'as fini tes études, t'as pas de boulot, t'as rien de prévu !

- Tu sais réconforter toi, c'est fou.

- Mais c'est une super opportunité ! Prends du temps pour toi, tu vas te prélasser au soleil pendant que j'irai bosser ! En plus, j'ai cumulé des kilomètres fidélités à force de faire les allers-retours entre la France et ici, ça pourrait te faire passer en première classe ! C'est pas génial ?

Au moins, maintenant, je sais pourquoi je souris.

- Ça peut, en effet, être une bonne idée.

- C'est une idée formidable, tu veux dire ! Tu prends un taxi, tu te trouves un hôtel près de l'aéroport, et tu m'appelles pour qu'on réserve ensemble.

*

Ceci étant dit, cela étant fait, me voilà en train de me balader dans les longs et larges couloirs blancs de l'aéroport. Je fais une pause dans une boutique souvenir pour racheter un briquet à clapet, à l'effigie de Paris cette fois, que la dame enferme dans un sachet transparent en me disant que je suis dans l'obligation de le garder à proximité pendant tout le vol.

Je reprends la route vers mon embarquement. L'achat de dernière minute ne m'a pas permis d'accéder à la classe affaire qui me faisait rêver. À la place, je découvre ce qu'est la premium economy. Un entre-deux à ce qu'il paraît. Un entre-deux auquel je ne connais rien.

Je remarque une file appelée « premium » où pas un chat se trouve malgré l'attroupement dans la file d'à côté. Je décide d'y tenter ma chance.

- Bonjour, souris-je à l'hôtesse.

- Bonjour madame, en quoi puis-je vous aider ?

- J'ai ce billet... commencé-je en lui tendant, mais je ne sais pas où aller et si je peux déjà embarquer.

- Bien-sûr madame, votre embarquement a commencé il y a quinze minutes.

Elle me prend le billet des mains, vérifie mon passeport, et me souhaite un bon vol de son sourire d'hôtesse. L'euphorie du départ s'empare automatiquement de moi. Je sautille à moitié, mon bagage à main à l'épaule, en retrouvant l'accueil de l'avion où chaque sourire me souhaite la bienvenue. Un homme m'accompagne même à mon siège. Il me fait passer les fauteuils solitaires de la première classe et j'admire la classe économique premium qui m'attend. Les sièges fonctionnent par deux sur les rangées des côtés et par trois au milieu. Maintenant que j'ai découvert ce nouvel univers, je prie silencieusement pour avoir un compagnon de vol potable.

- Voici votre siège, mademoiselle, me sourit le steward. Permettez que je prenne votre bagage ?

Pause. Je devrais peut-être devenir croyante ?

Devant mes yeux se trouvent un charmant, bien charmant ; de profil en tout cas ; jeune homme qui requiert toute mon attention. Mon corps prend le relais, je me sens sourire au steward en lui donnant mon sac, je sais même que je le remercie, et pourtant... Pourtant mes yeux ne quittent pas leur proie. J'analyse la forme de son corps sous son haut, les mains et les doigts qui tiennent le téléphone. Je regarde, je fixe même, la mâchoire carrée tournée vers le hublot, me demandant terriblement à quoi il peut ressembler.

Le steward me souhaite un bon vol et s'en va assister un nouveau client, ce qui a pour mérite de retenir l'attention du bel inconnu qui me dévoile enfin ses yeux... et cette couleur... Le bleu y est si sombre qu'il en est envoûtant et les stries de jaune, hypnotisant. Alors maintenant, je pense pouvoir dire en toute certitude que j'en ferais volontiers mon quatre-heures.

Hmm? Do you need some help? me demande-t-il d'un sourire particulièrement insolent.


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