2 - Jacob
Jacob
Je reste en retrait, comme toujours, pour éviter qu'on comprenne que je suis aux commandes. Posé contre un mur, je regarde Tony finir de ligoter nos deux invités qui se sont évanouis. Il attache leurs chevilles ensemble qu'ils relient ensuite à leurs poignets avant de me rejoindre.
Je tourne la tête quand les portes du local s'ouvrent. Armes à la main, mes hommes laissent entrer trois inconnus en costard-cravate. Celui qui se positionne en leader tient une mallette. Serait-ce les messagers des Rohan ? Non. Connaissant l'homme, il aurait envoyé l'un de ses enfants pour procéder à l'échange et je n'ai aucune idée de qui sont ces types.
Les trois inconnus rentrent comme s'ils possédaient les lieux. L'homme du milieu bombe le torse, nous toise chacun notre tour. Il évite finement les deux ficelés au sol. Celui à sa gauche garde les mains dans ses poches. Je le reluque quelques instants. Deux solutions : il veut se la jouer cool et détaché, ou bien elles tremblent et il ne veut pas le montrer. Il montre un air sûr, pourtant son regard est fuyant. J'acquiesce dans le vent, les commissures de mes lèvres vers le bas, je cache mon amusement. Le dernier est leur homme de main, sa posture, son corps, son regard, ça ne fait aucun doute. Il sait comment se passe ce genre de situations. Tout comme moi, il nous scrute à tour de rôle.
Je les étudie, leur attitude, leur comportement, ils ne savent pas qui est qui, ils ne me connaissent pas. C'est soit un piège, soit ils ne sont pas envoyés par Gérard Rohan et dans ce cas-là, ils pourraient nous servir à quelque chose.
Nos trois invités s'arrêtent à quelques pas de Sam, qui a lui-même le cul posé contre la chaise se trouvant face aux ligotés.
- Mister Lay? demande celui du milieu en anglais.
Sam se tourne vers eux, bombe le torse. Mes hommes ont pour ordre de toujours suivre le mouvement. Peu importe qui on pense qu'ils sont, ils doivent jouer le jeu et je prends le temps de relever tous les éléments dont je peux avoir besoin.
- Qu'est-ce que vous amenez là ? leur répond-il en regardant la main du gars.
Sam et moi n'avons strictement rien en commun, s'ils savaient à qui ils devaient s'adresser, ils ne lui auraient jamais adressé la parole. Sam a les cheveux longs, attachés en une queue de cheval, d'un blond très clair. Il fait une tête de moins que moi, et je suis loin d'avoir une queue de cheval ou même les cheveux aussi clairs. Qui plus est, ce n'est pas mon vrai nom de famille, seulement l'un de mes alias. Gérard Rohan connait malheureusement les deux, alors je m'interroge.
- Vous y trouverez la somme qui vous est due, reprend-il en tendant la mallette. Est-ce que l'on peut récupérer notre marchandise ?
Ils attendent tous mes ordres sans le montrer. Mike et Peter, mes hommes qui sont positionnés à côté d'eux, contre le mur, me regardent, mains sur le manche de leur arme encore rangée dans leur ceinture. Quand l'inconnu de gauche tourne la tête vers les deux gars ligotés, qu'il s'empêche de réagir, j'acquiesce.
En un quart de secondes, mes gars pointent les flingues sur nos chers nouveaux venus, les encerclent et Tony se positionne en muraille infranchissable devant les détenus. Nos invités changent d'attitude, sauf le premier. Le premier a l'habitude, il reluque tout le monde, il compte les armes, il prépare sa jambe, il a sans doute une lame cachée quelque part. Celui de gauche panique un peu, son regard lâche les ligotés pour prévenir toute attaque qui pourrait lui être dirigée.
- Wow, wow ! s'exclame celui du milieu d'une main levée vers Sam. Ce n'est pas ce qui était prévu ! Vous avez votre argent, on procède à l'échange, c'est tout !
Je m'empêche de ricaner, Sam se gratte le sommet du crâne avec le canon du pistolet, fait semblant de réfléchir. Tony affirme sa position, écarte les jambes, croise les bras. C'est une masse bodybuildée de presque deux mètres, le gars qui s'était lancé la mission de les récupérer se fige devant lui. Je souris sans bouger de ma place.
- Il serait peut-être convenable de commencer par décliner vos identités, vous ne croyez pas ? reprend Sam.
- Je viens au nom de la famille Rohan.
- Vos noms... à vous trois, insiste-t-il d'un ton ferme.
Notre homme ne répond pas. C'est parti alors, je me mets en action. Je m'approche des prisonniers tout en continuant à examiner les nouveaux venus. L'homme de gauche a le bout du sourcil qui sautille légèrement. Je le fixe, je lui souris. « Lui ? » murmuré-je en montrant l'un des gars. Ils sont là pour les sauver, pas pour les échanger, c'est évident.
Comme par magie, celui que je pointais vient d'ouvrir les yeux. Étonnamment, il ne semble pas aussi paniqué qu'il l'était plus tôt... Alors je le chope par le crâne, je le redresse, il écarquille les yeux. Je préfère.
- C'est tes copains, hein ? lui demandé-je d'un sourire narquois.
Il essaie de parler à travers le scotch. Incompréhensible.
- Chut, chut, lui fais-je, tu te doutes bien que je ne te comprends pas. Oui ou non ?
Il fait non de la tête. Je le laisse tomber sur le sol en me relevant. Je rejoins mes nouveaux invités. Je les regarde de haut en bas, leur tenue, le positionnement de leurs mains, de leurs doigts, leur respiration. Je tourne autour d'eux tel un prédateur pour voir leur réaction quand la pression monte. Sans aucun doute, le mercenaire ne sourcille pas, il garde un œil discret sur moi.
- Je peux savoir ce qu'il se passe ?! s'énerve leur leader.
C'est donc lui que je rejoins. Il fait pratiquement ma taille, je me colle autant que je le veux, et il a un léger mouvement de recul... mais il reste où il est. Je souris, je remarque la brillance sur son front, sa respiration qui est contenue. Je souris un peu plus.
- Je crois qu'on t'a posé une question, repris-je en murmurant.
Ma main rejoint sa cravate, la desserre un peu quand il déglutie.
- Je-je...
- Qui es-tu, dis-moi ? Qu'est-ce que vous foutez ici ?
- Et toi, t'es qui ?
Je lui fais un clin d'œil et je sors mon téléphone sans le lâcher. Mes hommes continuent de pointer les armes sur eux. J'appelle Gérard Rohan en haut-parleur.
- Dis-moi, Gérard, tu m'expliques pourquoi j'ai un homme devant moi, qui dit être là en ton nom... mais qui n'est pas foutu de décliner son identité ? dis-je sans lâcher mon nouvel ami du regard.
- Qu'est-ce que tu racontes ?
- Tu te doutes bien que je ne suis pas aussi patient que tu sembles le penser ? continué-je en posant ma main libre sur son épaule. Je vais finir par buter tout le monde et tu te démerderas pour gérer ta petite rébellion parisienne.
- J'sais pas de quoi tu parles, vraiment. Laisse-moi une demi-heure, ma fille est chemin.
- T'as vingt minutes.
Je raccroche, je fais un signe de tête à mes hommes. Ils assomment les intrus quand ils font une tentative de... de je ne sais quoi. Ils les emmènent avec eux, dans une autre pièce. Cette histoire commence à me les briser.
- Si dans vingt minutes, ils ne sont pas là. Vous butez tout le monde. Tony, je te laisse en charge, le garde du corps devrait se réveiller avant les autres. Essaie d'avoir des infos.
En sortant mon portable pour appeler Gérard, j'ai vu un message de mon frère qui me disait être bien rentré aux États-Unis. Il me remercie pour l'avion. Quel con. Je l'appelle en sortant du local, par derrière.
- J'espère que tu n'es pas en train de me dire que t'as pris mon avion ? enchainé-je d'un ton sombre avant qu'il parle.
J'essaie de ne pas m'emporter, il a le don de me taper sur les nerfs.
- Quoi ? Tu crois que j'allais rentrer comment ?
- Tu te fous de moi ou quoi ? Je m'occupe de gérer tes affaires pour que le paternel n'ait pas vent de tes conneries et tu trouves le moyen de me foutre dans la merde ? Tu penses peut-être que je paye un putain de jet et un putain de pilote pour me taper un putain de vol commercial ?! dis-je à bout de nerfs.
Un bruit métallique retentit dans le local derrière moi.
- Je dois y retourner. T'as intérêt à avoir réglé tes conneries avant que je sois rentré.
- T'inquiète frérot, mais fais attention à ta santé, c'est moi qui suis connu pour perdre mon calme, s'amuse-t-il.
Je serre les dents.
- Je trouverai de quoi me faire pardonner, murmure-t-il dans le combiné. Faut vraiment que tu te prennes des vacances.
- Ta gueule, putain.
Je raccroche... et j'y retourne. Dans la salle où Tony a emmené tout ce beau monde, il faut croire que le premier gars s'est réveillé. Quand je me ramène dans la pièce, Sam est assis sur la table et regarde Tony se battre, le sourire aux lèvres. Il attrape une chaise qu'il éclate sur le dos de son adversaire. Le mec tombe à terre et Tony se rue sur lui. Après trois coups de poing dans la tronche... notre nouvel ami est K.O.
- Hum, je ne risque pas d'avoir mes infos maintenant.
- Désolé, Monsieur, il m'a énervé.
Je ricane en lui tapant sur l'épaule. Je viens l'aider à l'attacher, Sam se met à les fouiller.
- Tiens, boss, une clef, me sort-il des poches du leader.
Je retourne dans la salle pour ouvrir la mallette : des câbles de toutes les couleurs, une boîte noire et un minuteur qui s'enclenche. Une bombe ? Génial. J'appelle les gars qui se pointent. Tels des experts en la matière, on croise tous nos bras, on regarde attentivement l'engin, les yeux plissés...
- Des idées ? demandé-je. Je sais qu'on ne déplace pas une bombe activée.
Ils acquiescent, très concentrés. Je m'en amuse. Il nous suffirait de nous barrer, mais il faut croire qu'on est un peu plus têtus que ça.
- Autre chose ? Mike, t'étais dans l'armée, alors dis-nous tout.
- J'étais sniper, patron, pas le même domaine.
- Eh bien, jouons un peu.
Le chrono passe à quinze minutes.
- Amenez tout ce beau monde ici, ordonné-je. Voyons voir comment ils vont réagir.
Les cinq ligotés finissent autour de la chaise qui porte la valise. Chacun de nos nouveaux compagnons a le droit à des petites claques pour les ramener parmi nous. Il suffira de l'un d'entre eux et de sa crise de panique pour réveiller tout le monde.
- Alors du coup, les gars, je vous conseille de parler... Sinon, boom.
- Plutôt vous laissez crever avec nous, ricane-t-il, vous ne savez pas la désamorcer.
Je fronce les sourcils, je le regarde. C'est possible d'être aussi con ?
- Alors, je ne sais pas si tu le sais, mais à la différence de vous, on peut se barrer, nous. Rien ne nous retient ici.
Le leader crache par terre.
- Eh bien cassez-vous, on ne vous dira rien.
- A vos ordres, chef, me moqué-je.
Je me tourne donc vers mes hommes. Je leur tends une main, tel un gentleman.
- Après vous, les amis.
- Merci, très cher, s'amuse Sam d'une révérence.
Je passe mon bras sur ses épaules. On récupère nos sacs. Le chrono passe à dix minutes, et on y va.
- Revenez-là putain ! panique le froussard. Si vous nous laissez partir, on vous dit comment l'arrêter.
- Alors, toujours pas. Les échanges de procédés ne fonctionnent que quand il y a, en effet, matière à échanger. Là, c'est assez simple, vous crevez, on se casse.
- Rohan nous veut ! Il vous le fera payer si on meurt !! s'excite notre cher leader.
- Toujours pas, m'amusé-je devant la porte. Sept minutes.
- D'accord ! D'accord ! Le putain de fil jaune !!
Il se met à gueuler. Je pars le détacher. Je l'aide à se lever.
- Les gars, dehors, ordonné-je.
Sauf qu'aucun de ces imbéciles ne bougent. Je souffle, très bien, suicide collectif alors. Je lui passe le couteau qu'il étudie un instant, puis il regarde ses camarades. Je m'écarte, je rejoins les miens, et je l'admire faire.
- Allez, mon enfant, insisté-je.
Cet enculé me tourne le dos... et coupe le fil bleu. Il croit vraiment que je ne l'ai pas vu ?
Le minuteur s'arrête. Il nous a menti. Il a donc signé son arrêt de mort. Je sors le flingue accroché à ma ceinture, il se retourne en m'entendant faire. Le bras tendu vers lui, je le vise, il se fige. Je m'approche, mes hommes les entourent... et nos rebelles sursautent, se jettent au sol quand la porte explose contre le mur. Je ne bouge pas, je le vise toujours.
La fille de Rohan est là, essoufflée. Elle se met en face de moi pour s'excuser. Tony l'ignore et m'amène l'imbécile qui a essayé de nous arnaquer. Elle rejoint mes côtés, ses hommes rejoignent les miens. Je reste dans la même position, mon flingue droit sur le leader. Elle me murmure le nom de ces gars, elle m'explique qu'ils sont tous recherchés par le groupe. Je ne lâche pas ma proie du regard. Les hommes des Rohan viennent embarquer tout le monde. Je souris. Je m'amuse de le voir soulagé, sauf que je n'ai pas prévu de le laisser partir.
- Écartez-vous.
D'un léger acquiescement, la fille de Rohan leur ordonne de m'écouter. Ils se poussent, je réduis les mètres qui me séparent de notre rebelle. Je m'approche au point d'être pied à pied, au point de ne voir rien d'autre que son regard tremblant. Je pose mon flingue contre sa tempe. Je le fixe, le regard noir.
- Tu comptais nous faire sauter avec toi, hein ?
Il ne dit rien.
- T'as vraiment pensé pouvoir nous avoir si facilement ?
Je souris. Il ne répond pas. Je souris.
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Alors... vos premières impressions sur ce cher Jacob ? :)
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