VI. Paroxysme
Je crois que tu as compris qu'on s'en sortirait pas. Je le sens sur tes lèvres arrachées, je le sens sur le râle de ta peau. Le sol devient meuble sous nos os, la pierre coule. La Tempête a pénétré tous les recoins du monde. C'est fini.
Les humains de sable retournent au tombeau, ce soir.
Les murs se décrochent, la poussière pleut en rafales dans nos nuques encastrées, les lumières s'évanouissent sans un soupir, le marbre sous nos pieds dérive sur la mer de boue, le feu nous enserre de ses griffes, le feu nous caresse à en mourir. Il y a des cris, des cris partout, des cris dans le ciel et sur la terre. Le cri du monde qui refuse de s'éteindre.
Au loin, le clocher ne tombera jamais. Ils se sont réfugiés dans ses murs de glace, blancs comme le ciel. Ils ne disent pas un mot. Ils prient plus fort que les lois le permettent. Ils prient si fort. Ils respirent encore. Un feu brûle, tout près des statues. Le cri du monde le fait vaciller. Mais les beaux quartiers survivront à la boue. Ils prendront des photos de la poussière, des arbres arrachés, des tôles défigurées. Il peindront sans couleur l'océan vidé de ses vagues. Les humains de pierre peuvent rire, ce soir. La Tempête les enserre de la chaleur de ses bras.
Je sais que tu as compris, Jungkook. Tu aurais pu survivre, toi. Tu aurais du survivre dans l'église, sous la pierre. Tu aurais du vivre. Ta jolie fille, tes enfants, ta maison des beaux quartiers.
Faut pas renoncer, hein.
Mais tu as tout abandonné.
Ton corps dans mes bras refuse de s'éteindre. On est comme les deux nuances d'une flamme qui s'élève vers les étoiles, on danse encore. Si seulement on était éternels. Si seulement on avait encore la force de courir. On aurait été jusqu'à s'allonger dans l'herbe. On aurait été jusqu'à nager dans les océans turquoises. On serait partis. On aurait renoncé à tout ce merdier.
C'est si beau, d'y penser. Les larmes qui coulent sur nos corps embrasés savent que ce n'est pas vrai. Alors on s'étouffe encore, pour cette réalité là. On fait naître des couleurs entre nos âmes perdues. On s'étrangle en avalant le feu.
Je sais que tu as compris, Jungkook. Et je crois que je me suis trompé, moi aussi. Tu savais, toi aussi, n'est-ce pas ? Tu savais qu'on finirait par éteindre le soleil. Tu savais qu'on finirait par se jeter dans la boue. On ne prédit pas l'avenir, on oublie le passé. On n'a plus d'histoire, mais nos entrailles ne mentent pas. Tu savais, en quittant ton manoir, que tu n'aurais pas ta Révolution. C'était la lueur dans ton regard, qui implorait le mien. C'était ta peur et ta honte, ton dégoût du Taudis et ta haine de nos morts.
Tes lèvres sur les miennes sont plus que les couleurs du ciel. C'est la Révolution et c'est la liberté. On en a toujours rêvé. On n'a plus rien, alors on peut tout. On peut s'envoler et rire avec les oiseaux brûlés. On peut crier plus fort que les vents. On peut saisir la pluie et détruire le gris.
C'est fini.
Tes mains saisissent mes mains pour caresser le Soleil. Tes yeux tout près des miens. Ton regard est plus rouge que tout le sang qu'on a versé, plus bleu que le ciel qu'on n'a jamais vu. Tu as tué l'enfant bien avant la Tempête, tu as tué nos morts et tu as allumé la lumière. Jungkook, j'ai prié pour toi.
Cher Jungkook,
C'est stupide de t'écrire. Tu es à côté de moi. Tu peins sur du bois et les couleurs sont les plus belles que je n'ai jamais vues. Tu as de l'or sous les doigts, et même la boue devient une histoire. Ce visage est comme le tien, entier. Pas encore effacé par les morts primitives.
C'est stupide de t'écrire, mais je n'ai pas trouvé d'autre moyen de te remercier. Tes regards me fuient, tu as peur de moi, je crois. Tu as peur que je parte et que je ne revienne pas ? Je suis incapable de partir, Jungkook.
Je veux voir tes doigts colorer le bois jusqu'à l'apocalypse.
Et puis regarde-les. Namjoon vient de rentrer dans le Camp. Je ne l'ai pas vu sourire autant depuis des siècles, et c'est en te voyant que sa bouche se fend. Il a de belles fossettes Namjoon, je les avais presque oubliées. Et c'est avec toi, Jungkook, que Jin ose chanter à nouveau. Vos voix se mêlent, le soir, quand nos corps fatigués s'endorment contre la tôle. Et nos yeux se ferment alors comme sous une berceuse.
Alors bien-sûr, ce ne sera jamais assez. Mais les cicatrices de Yoongi sont presque refermées. Il a sa plus belle tête de bandit. Tu as permis tout ça.
Je peux entendre ton cœur, si calme. Il a le rythme de la vie. La vie qui se t'éteint pas tout de suite. Je prie pour toi, Jungkook. Je prie pour que tu restes longtemps avec nous. Et alors, peut-être qui-sait, on aura presque notre Révolution.
Merci.
Nos larmes ont séché et nos cœurs sont immenses, des sourires gravés pour l'éternité. On s'est endormis sous la Tempête, et on avait compris.
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