II. Prémices
Il est impressionnant Yoongi, avec sa mine de dictateur, son visage pâle couvert à moitié de cicatrices brunes. Il fait presque peur Yoongi, avec son regard brûlé.
- Qu'est-ce que vous foutez, les gars ! La Tempête arrive, vous avez oublié ? Alors à moins que vous vouliez tout cramer à ma place, vous devriez peut-être vous grouiller de rentrer au Camp au lieu de rester sous la flotte comme des rats.
On ne discute pas. Jungkook parce qu'il n'a pas grand chose à en dire, et moi parce que j'ai pas forcément envie de me battre avec Yoongi dans la boue trempée. Je serais pas grand chose, sans lui. Aucun d'entre nous n'aurait survécu, sans lui. Ça, c'est la vérité.
Grâce à Yoongi et Namjoon, on a eu une Révolution à laquelle s'accrocher. On attendait la Tempête avec impatience, pour son chaos, pour ses chances. On l'attendait pour mettre le feu au poudres avec nos petits briquets et nos bidons d'essence. On y croyait si fort, et je crois bien que Jungkook y croit encore. J'aurais du lui dire.
Mais ses yeux s'écarquillent comme à l'approche d'une éclipse. Comme si la Terre allait arrêter de tourner, la Ville arrêter de grouiller. Comme si tout allait enfin changer. Et il nous voit avec nos mines pâles, nos visages de cire, il ne comprend pas. J'ai essayé de lui dire, que nos vies ne valaient pas tant. Que l'amour ça n'existait pas. Que les rêves ne se réalisent pas. J'aurais du lui dire mieux que ça. J'aurais du lui dire. Mais je renonce, moi, à chaque fois. Alors je n'ai rien dit et j'ai attendu la Tempête avec les autres. Comme si on allait enfin en faire quelque chose, de cette maudite averse.
Alors on court, on va se terrer dans nos trous, à la lumière des lampes à pétrole, en attendant le calme. La carcasse de notre abri tangue au gré de la houle qui se lève, comme en haute mer. On nous accueille avec des regards qui se veulent soulagés. C'est un peu triste peut-être, mais on a tous oublié comment avoir peur de mourir.
Je m'assois à côté de Jimin, sur un banc en fer rouillé. Lui, c'était le plus vivant. Il adorait la vie, Jimin, plus que personne. Il croquait à pleine dents les pommes qu'il volait, avant même d'arriver au Camp. Et un jour, il avait même réussi à trouver des pellicules dans le sac d'une dame des beaux quartiers. Il avait passé des jours entiers à photographier la lumière dans les flaques.
À présent, je crois qu'il est aussi éteint que moi, si c'est possible, si c'est mesurable. Même si j'aurais juré le voir enterrer son briquet dans la boue, à l'autre bout de la ville. Il aimait un peu trop Yoongi, le beau Jimin. J'ai bien peur qu'il ait cru pouvoir le sauver. Jusqu'à ce qu'il le voie, qu'il le voie vraiment, et nous tous aussi. C'était avant que Jungkook arrive, c'était avant qu'il ramène la vie. Je l'ai vu sourire, Jimin, quand Jungkook est arrivé.
Pardon Jungkook.
J'aurais du te raconter.
Te dire comme le ciel s'est enflammé cette nuit-là,
Te dire comme on a tous cru y voir le Soleil.
Te dire comme la Ville était vide.
Te dire comme la Tempête était belle.
J'aurais du te dire comment Yoongi souriait en regardant son propre corps s'enflammer.
Et surtout,
J'aurais du te dire comme Yoongi pleurait.
Mais au lieu de ça, au lieu de tout ça,
Je t'ai embrassé.
Comment on peut espérer que Jungkook comprenne quoique ce soit ? Il y en a trop, dans le Taudis. Trop de spectres et de fantômes qui rôdent la nuit, et dans nos gorges scellées. Il ne sait pas qu'on porte nos briquets comme des tombes, comme la faux qui s'abattra sur nos cous.
En face de nous, adossé au mur, il y a Namjoon qui nous toise. Qui nous surveille, plutôt. Il va sans doute bientôt nous sortir son beau discours sur la Révolution, sur pourquoi il faut survivre, pourquoi il faut avoir confiance. Il aura toujours sa belle voix calme, grave, qui ne fait pas trembler les murs comme Yoongi, mais qui les caresse. Il aura toujours son air digne et grand, mais même lui il n'y croira plus tellement.
- Il manque encore Hoseok et Jin.
Namjoon tourne brusquement sa tête vers Yoongi, qui vient de prononcer les noms comme des arrêts de mort.
- Jin ?
- Ouais, il est parti ce matin chercher les plans. C'est sa cinquième Tempête, mais il a toujours rien compris, celui-là. Si ça continue, c'est lui qui lancera la flamme.
- Et Hoseok ?
- Rien à craindre, il fait juste le tour du Taudis pour vérifier les flaques.
- Je vais chercher Jin.
Jungkook est complètement fou, parfois. Lui qui me balançait son beau discours sur la vie y a à peine une heure, voilà qu'il serait prêt à perdre sa tête. Sa jolie fille, ses beaux enfants et sa maison dans les beaux quartiers, pfiou ! En cendres. C'est peut-être qu'il a plus d'espoir que nous tous réunis. Il sait pas qu'on le suivrait, nous, sans broncher, juste pour sentir le vent et la pluie hurler contre nos corps.
- Pas question, rétorque Yoongi. C'est ta première Tempête, t'y connais rien Jungkook.
- Alors vous allez le laisser pourrir dans les rues sans rien faire ?
Yoongi soupire en silence et je vois bien qu'il réprime sa joie.
- Non, je viens avec toi.
- Moi aussi.
Je n'ai pas réfléchi, et les autres me regardent avec un air un peu surpris. Alors je sens que je n'ai aucune excuse, juste un mensonge que je ferai semblant que regretter.
- Je ne veux pas renoncer.
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