III. Ce qu'en disait l'interné

La caméra 532-b projetait un petit disque rouge sur le sol de la cellule — pardon, de la chambre — 027 de l'asile. Le patient émergeait lentement d'un sommeil de drogues, roulé en boule à terre sous la lumière terne, à la manière de ces bêtes de zoo, tristes, pelotonnées sous la lampe chauffante de leur enclos.

Jacques Néron ouvrit un œil, puis l'autre. Il restait immobile mais ses pupilles dilatées à l'extrême laissaient à penser qu'il n'était pas si serein. Ses doigts aux ongles coupés courts s'agitaient au rythme du sang qui courait dans ses veines.

Quelque chose allait arriver.

La caméra 532-b n'était qu'un œil glauque dans le plafond. Elle filmait les moindres gestes de l'interné depuis son arrivée à l'asile, trois semaines plus tôt. De jour comme de nuit. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Jacques Néron s'était levé. Ses doigts couraient sur sa peau, avides. Son regard fiévreux parcourait la pièce vide, sans pour autant y déceler l'objet de ses désirs.

Aussi soudainement qu'elle était advenue, sa course frénétique s'arrêta. L'ongle de son gros orteil gauche était fendu. Il s'accroupit et l'arracha.

Aussi simplement que cela. L'illuminé tenait à bout de bras son ongle sanguinolent, triomphal.

Jacques Néron se déshabilla. Il avait dans ses yeux une étincelle étrange, rongée par la folie.

Du sang coulait goutte à goutte sur le sol de la cellule, tache rouge sur le béton gris et froid, décompte silencieux de la vie d'un meurtrier.

La caméra 532-b filmait, impassible. Personne n'interviendrait, les soignants étaient occupés dans une autre aile de l'asile.

Il parlait. Impossible d'entendre quoi que ce soit : le bruit de ses pas couvrait ses paroles. Ses lèvres bougeaient, oui, mais l'angle n'était pas le bon, la caméra était mal placée, il n'était pas possible non plus d'y lire son propos.

Il faisait courir l'ongle arraché sur sa peau, son bras libre, ses jambes, son ventre. Au fur et à mesure, des lignes blanches puis rouges zébraient son corps.

Mais il ne s'arrêtait pas.

L'œil rouge de la caméra 532-b ne cillait pas, et c'était sans doute là sa grande supériorité sur l'œil humain : il voyait tout, absolument tout. Il ne s'arrêtait pas, lui non plus. Il ne connaissait pas le battement des cils, ces images perdues à jamais dans un clignement de paupières. Il ne connaissait pas le repos.

Jacques Néron non plus, apparemment.

Plus l'ongle passait et repassait sur les griffures, plus elles rougissaient, s'ouvraient, déversaient les gouttes de sang qui erraient dans les veines sous-jacentes. Son corps se brouillait dans la frénésie et la douleur.

Si l'on ralentit la vidéo, l'angle de la caméra est parfois favorable à la lecture sur les lèvres de l'interné. C'est l'avantage de l'absence d'hydratation par les paupières, en somme.

Par reconstitution de ces images, captées au mieux et malgré les mouvements aléatoires du patient, on a pu établir qu'il répétait inlassablement :

« La surface... Sous la surface... La surface des choses... La surface... Sous la surface des choses... »

Et Jacques Néron grattait, griffait, lacérait encore, toujours plus loin, toujours plus profond sous la surface épidermique.

En médecine, il est une artère particulièrement exploitée : il s'agit de l'artère radiale. Elle est située dans l'avant-bras et on y pratique souvent les prises de sang. On peut également y mesurer le pouls.

En effet, l'artère radiale est relativement superficielle et facilement perceptible.

D'ailleurs, à force d'enfoncer si profondément le tranchant de son ongle dans les zébrures qui couraient sur sa peau, Jacques Néron rencontra cette artère et la trancha.

Ses mouvements devinrent de plus en plus lents. Son sang coulait dans un débit aussi rapide que son cœur endiablé le permettait, quoiqu'il ralentissait à mesure que sa pression artérielle diminuait.

Lorsque Jacques Néron s'effondra, il n'avait toujours pas trouvé ce qui se cachait sous la surface des choses.

L'œil de la caméra 532-b fixait son corps immobile, contraste surprenant avec l'hyperactivité qui avait régné dans cette chambre aux murs nus.

Mais il n'y avait plus rien à voir.

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