Chapitre 4

Je me rappelle de ce que j'avais pris, avant de partir. J'avais cherché mon sac à dos, puis j'y avais fourré tout ce que je pouvais. Des vêtements, une brosse à cheveux, ma brosse à dents, mon ours en peluche, mon réveil, mes livres. J'en avais plein, des livres. Des romans que je lisais des dizaines de fois. J'en avais choisi cinq, et puis je les avais aplatis autant que possible au fond du sac. Il était lourd à porter, les réserves que j'avais emmenées me faisaient basculer en arrière si je restais sans bouger.

C'était obligatoire de ramener des trucs, je m'en souviens. On nous avait dit : « Prenez tout ce que vous trouvez de comestible, dans les placards, les caves, les réfrigérateurs, emportez tout ce qui peut être utilisé comme vêtement. Prenez tout ce qui pourrait servir d'une façon ou d'une autre, et vous serez accueillis à coup sûr dans la planque. »

Moi, j'avais piqué des vêtements aux autres enfants, j'en avais tellement qu'Adam m'avait offert un bocal rempli de bonbons. Je les avais cachés dans le dos de Peluche, et j'avais fait croire aux autres que je n'en avais eu que deux ou trois, pour qu'ils ne soient pas trop jaloux. Il m'en restait une bonne trentaine, de ces friandises cachées dans mon ours secret.

Pourtant, les centaines de réserves ramenées n'ont pas fait long feu. Depuis quelques mois, on mange la nourriture rapportée par les Éclaireurs, ou des légumes que les équipes de culture nous ramènent de la ferme où ils se rendent tous les jours avec l'hélicoptère. Elle est isolée, à la campagne, loin d'ici. Il n'y a que très peu de bestioles, mais elles sont terribles, à ce que Tess raconte.

Elle nous a dit que lors de son stage, un de ses équipiers, Connor, s'était fait arracher un doigt. On avait tous grimacé, certains l'avaient traitée de menteuse, jusqu'à ce qu'un garçon sans son pouce gauche et portant des lunettes de soleil débarque dans le réfectoire. Tess a ensuite expliqué qu'après s'être fait attaquer, il s'est enfui en courant, et est revenu deux heures plus tard, vivant mais aveugle. Personne ne sait comment cela a pu se produire, et même lui ne se souvient de rien, mis à part de s'être évanoui et de s'être réveillé dans une totale obscurité.

Il a choisi d'être Éclaireur, mais au bout de quelques temps c'est devenu trop compliqué pour lui à cause de sa cécité. Il a arrêté de partir en opération. Normalement, les anciens Éclaireurs deviennent Stratèges. Là, non. Il a été transféré aux cuisines. Il est doué, d'ailleurs. Avec trois brins d'herbe il peut préparer quelque chose de correct, comme s'il croyait que dans l'assiette n'étaient pas des plantes amères mais des produits gastronomiques raffinés.

Et tant mieux, quand on y pense.

*

Mon réveil sonne. C'est demain que ça commence. Mon stage de découverte. Je vais d'abord aller en opération, puis je passerai par le service technique du bunker, les cultures, les cuisines, l'infirmerie et enfin l'équipe des Stratèges.

Je suis tellement stressée... Mais, ce qui est le plus stressant, ce n'est pas tant de risquer sa vie au milieu des bestioles. Non. C'est de choisir.

« Fais ton choix. »

On l'a dit, ça, à Tess. Elle a glissé dans une conversation que l'ambiance était oppressante. On vous ordonnait de vous asseoir sur une chaise, puis ils vous disaient de choisir. Éclaireur. Fermier. Cuisinier. Technicien. Soigneur. Stratège.

Si vous réfléchissez trop, ils entrent dans une colère noire, et là il y a peu de chance que vous soyez affecté où vous voulez. Soi-disant que vous devez choisir le premier qui vous vient à l'esprit, pas le droit à l'hésitation, et bla, bla, bla... C'est quand même ce que vous allez faire pendant longtemps. Des mois, des années, ou peut-être même... jusqu'à la fin de votre vie ?

J'angoisse déjà. Et à la fois je suis toute excitée de faire mon stage...

Éclaireur. Fermier. Cuisinier. Technicien. Soigneur. Stratège.

*

« Un trou énorme, je te dis ! Je crois qu'ils ont creusé pendant des jours avant d'arriver à ce résultat ! »

Neil ne m'écoute que d'une oreille. Il a l'air de n'en avoir rien à faire, des bestioles. Comme si c'était moins important que... que fait-il, d'ailleurs ?

« Tu m'écoutes ? C'est important !

– Une minute, Ava, tu veux bien ? Je dois préparer l'opération d'aujourd'hui. »

Cette phrase... c'est idiot, mais elle résonne dans ma tête.

Je dois préparer l'opération d'aujourd'hui.

Je... dois... préparer... l'opération... d'aujourd'hui...

Qui m'a dit ça ? Pourquoi ça me rappelle quelque chose ?

Je sens la pièce tourner autour de moi. Et puis mes jambes ne soutiennent plus mon corps. Je bascule en arrière, Neil tente de me rattraper, mais je m'écroule quand même sur le sol glacé.

J'entends des cris de stupeur, les mots se mélangent dans mon esprit, formant un amas incompréhensible. Je ressens un violent choc à la tête... et puis plus rien.

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