Chapitre 36

« Je sais que c'est une requête importante, mais pensez à toutes les vies que nous allons sauver ! »

Je ne sais pas vraiment qui j'essaye de convaincre. Une secrétaire, je crois. Le type qui fait office de directeur du camp est trop occupé pour s'occuper des requêtes des survivants. Et tant mieux, parce qu'il n'accepterait probablement pas aussi facilement les requêtes que Neil.

« C'est dangereux, et nous avons trop peu d'avions pour en envoyer un à l'autre bout du continent ! s'exclame la jeune femme en griffonnant sur quelques papiers.

- Écoutez moi bien : Je suis sortie d'un bunker, j'ai traversé tout le pays en frôlant la mort à de multiples reprises, j'ai pris un bateau qui a coulé en route, mon voyage a coûté la vie à des gens innocents... Et vous êtes en train de me dire que mes camarades restés là bas vont rester sous terre et mourir ? »

La secrétaire redresse ses lunettes et soupire, puis prend une nouvelle feuille.

« On a bien un avion de ligne qui n'a pas volé depuis un moment, mais nous craignons de nous faire repérer par l'Élite si nous l'utilisons.

- On sera prudents. Merci infiniment, madame. »

Je me lève de ma chaise et quitte le bureau, fière d'avoir été si convaincante. Ils m'auront probablement préparé cet avion avant demain.

*

« Vous êtes bien attachée, mademoiselle ? » me demande le pilote.

J'acquiesce. Il rentre dans la cabine de pilotage, puis le moteur se met à ronronner et nous décollons rapidement.

Le voyage est long. Mais j'ai hâte de revoir mes camarades. Elijah, les petits Luke et Ethan, et tant d'autres. Hier, j'ai appelé le commandant : Il était ravi d'apprendre que nous avions enfin atteint le camp. La mort de Tess l'a attristé, il espérait que nous survivrions tous, mais comme il l'a dit tout n'est pas si simple.

Au milieu des nombreux sièges vides, je m'imagine combien les enfants de la planque seront heureux. Je me demande si Neil va bien.

Bientôt, le fracas de l'engin qui se pose me secoue et je reconnais ma ville natale : San Francisco. Elle m'a manqué après notre départ, et m'y revoilà comme au bon vieux temps.

Je descends les marches en vitesse et court à travers les rues désertes. Des soldats armés m'entourent pour éviter une attaque de bestioles, pourtant je me sens libre comme l'air. Je suis mon instinct à travers la ville ; je traverse les routes et m'élance sur les pentes les plus raides. Le cadavre en décomposition de Connor est encore au même endroit, face contre terre. Je le contourne et rejette la vague de souvenirs qui m'envahit.

Enfin je l'aperçois. Cette porte invincible jaillissant de terre, l'entrée de la planque. Je m'agenouille devant et frappe pour que l'on m'ouvre, j'ai peur de tous les retrouver morts. Au lieu de ça, c'est le visage d'Elijah qui se dessine dans la pénombre, couvert de terre et de sueur. Lorsqu'il me reconnaît, il me prend dans ses bras et nous fait descendre dans les profondeurs. Il me montre les enfants tous faibles qui s'émerveillent en me voyant, il m'explique que les réserves sont épuisées et que nombreux sont ceux qui n'ont pas survécu. Je demande où est Neil ; il me répond « mort ». Depuis que plus personne ne gère la planque, ils vivent dans la crasse et dans la terreur, Luke et Ethan vont bien, ils sont fiers d'être encore là pour mon retour. Ils savent qu'ils vont partir, ceux qui restent se préparent et montent un à un dans l'avion qui bientôt est plein à craquer. Elijah me tend une lettre, froissée et salie par le temps. Je l'ouvre, curieuse, tandis qu'il monte lui aussi dans l'oiseau de fer.

Ava,

Je t'écris ceci dans mes dernières heures en tant qu'humain. Je me transforme peu à peu, j'aurais voulu que tu sois revenue pour assurer un avenir à tous ces enfants mais tu n'es pas là. Je te demande pardon pour tout ce que j'ai fait de mal, je suis vraiment un leader pitoyable.

Je prie pour que tu t'en sortes, je sais que tu es une personne forte et déterminée. Si j'ai tenté de t'empêcher de partir, c'est parce que je craignais que tu ne reviennes jamais. J'espère avoir eu tort.

Ici c'est le chaos, tout le monde a peur et nous manquons de nourriture. Bon sang, ce que j'aimerais que tu règles tous mes problèmes comme tu le faisais autrefois. La Ferme elle-même ne suffit plus à tous nous maintenir en vie.

Bientôt, je ne serai plus là, et plus personne ne pourra veiller sur la planque. J'espère que tu trouveras le camp, ou si ce n'est pas le cas, que tu reviendras vivante pour protéger ceux qui ont besoin de toi. J'espère que Tess va bien, elle aussi. C'est ma meilleure amie, tu sais.

Si tu lis cette lettre, alors tu es de retour dans la planque. Et je t'en remercie. Prends bien soin de toi et de tous ceux que tu croiseras, depuis toujours c'est ce que tu fais le mieux.

Adieu,

Neil.

Je la replie, la glisse dans le carnet d'Adam. Là où reposent tous les souvenirs de cet endroit.

Je ne peux m'empêcher de me rendre une dernière fois au dortoir, là où est restée ma photo d'Iris. Je contemple une dernière fois son visage poussiéreux emprisonné hors du temps et de l'espace, puis je ferme la porte et quitte pour la dernière fois ces lieux sombres où j'ai passé plus de trois ans.

En montant dans l'avion pour quitter ma ville pour de bon, je laisse mon regard errer sur les terres dévastées. Autrefois, ici, des enfants jouaient, des parents travaillaient, des grands-parents se plaignaient du bruit du trafic. Aujourd'hui il n'y a plus que ruines, bombes et morts. C'est la dernière image que j'aurai de San Francisco.

Tandis que je rejoins rapidement mon carrosse volant, une brise légère se lève et caresse ma nuque ; je frissonne. Le ciel dégagé semble avaler le monde, je peux déjà sentir les premières effluves du printemps. Au loin, le gazouillis léger des oiseaux m'inspire une berceuse, clamant au-delà de la guerre un doux chant d'espoir.

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