Chapitre 30

« Vous nous avez sauvé la vie ! s'exclame Zoé, soulagée.

- 'Manquerait plus qu'elle nous ait laissé crever, tiens ! ronchonne Kim.

- C'est normal, je ferais n'importe quoi pour aider des jeunes qui veulent rejoindre le Maine. C'est vrai qu'on se passerait bien des bestioles et des criminels, dans le coin. »

Un berger allemand surgit soudain du coffre, s'installant sur les genoux de Lucie pour nous renfiler l'un après l'autre.

« Je vous présente Dexter », commente Rosa sans le moindre regard à son chien visiblement amical.

Lucie éclate de rire tandis que le canidé, dont le pelage beige est constellé de petites tâches brunes, lui lèche le visage.

« Dexter, couché », lui ordonne sa maîtresse en ralentissant la cadence.

Rosa n'a pas l'air bavarde, et tous mes camarades ont l'air fascinés par Dexter. Je décide donc de lire un peu le carnet d'Adam, il y a pas mal de dessins inutiles mais pas grand-chose qu'on pourrait apprendre sur le camp. Visiblement, mon ami n'avait pas beaucoup plus de connaissances que nous sur le Maine.

Je me demande soudainement ce que contient la dernière page qu'il a écrite.

Cher journal,

Je commence à croire que l'on n'ira jamais au camp. Personne n'a l'air affligé que l'un des couloirs se soit volatilisé. Mais moi, si. Et Neil s'est bien gardé de parler du camp, je suppose qu'il ne veut pas nous alarmer. Mais alors que compte-t-il faire pour nous sortir de là ? Il va nous sortir de là, n'est-ce pas ?

Ça fait quelques jours que je réfléchis et je crois bien que je vais m'en aller. Sortir une bonne fois pour toutes. Je suivrai les Éclaireurs quand ils partiront en opération, et ensuite je m'éloignerai pour rejoindre le camp du Maine. Je suis sûr que j'y arriverai, c'est un peu loin mais marcher ne me gêne pas. Peut-être que j'emmènerai Ava, mais je ne veux pas la mettre en danger. Et puis, elle ne m'écoutera pas.

J'espère que mon plan fonctionnera. Je te réécrirai lorsque je serai dehors.

Lorsque mes yeux se posent sur ses derniers mots, je ne peux retenir un sanglot. Comment ai-je pu ne pas remarquer qu'il voulait partir ? Comment ai-je pu être si inconsciente ?

Soudain, Rosa freine subitement, nous faisant tous pencher vers l'avant. Lorsque nous relevons la tête, nous nous apercevons qu'un homme d'une soixantaine d'année, affublé d'une barbe grisonnante et d'une chemise de bûcheron, se tient au milieu de la route paisible, un fusil de chasse à la main. Il le braque vers nous, les yeux hirsutes comme un fou. Je passe sur le siège avant.

« C'est quoi ce bordel ? hurle Kim.

- Ce bordel, comme tu dis, c'est Scott. C'est un malade mental, il a profité de la guerre pour s'évader de l'hôpital du coin et depuis il tue tout ce qui bouge », explique Rosa alors que l'homme s'approche de la voiture, un sourire traumatisant aux lèvres.

Rosa veut démarrer pour lui foncer dessus, mais Scott crève les pneus de deux tirs consécutifs.

« Tous. Vous devez tous mourir ! se met-il à brailler. C'est la fin, nous devons tous rejoindre Dieu, il nous appelle ! Dieu nous veut à ses côtés, notre Dieu veut balayer cette Terre de la vermine ! Vous devez le rejoindre, il sera bon avec vous ! »

Il tire dans le pare-brise où se forme un éclat épais, puis recharge son fusil sans cesser de brailler les mêmes phrases. Rosa se tourne vers moi, affolée, et prend mes mains dans les siennes.

« Allez jusqu'à Chicago, puis passez par les souterrains. Le métro, il vous mènera directement au point d'embarquement. »

Un second coup de feu retentit. Dexter aboie sans arrêt et grogne mais Scott continue d'avancer. Lucie fond en larmes, Zoé se plaque derrière le siège.

Lorsque je tourne la tête à ma gauche, mon cœur manque un battement. Rosa ne bouge plus, elle a les yeux écarquillés et, au milieu de son visage, du sang dégouline d'un orifice sur son front. Je me sens prise de nausées et, avant que j'aie le temps de réagir, je vois Scott plaquer ses mains contre la vitre de Rosa. Il l'observe avec satisfaction.

« Elle a rejoint Dieu. Il sera clément. »

Je suis figée par la peur, mes équipiers sont eux déjà sortis du véhicule et quittent l'autoroute pour filer vers les champs à notre droite. Je sens qu'on me tire par le bras, qu'on m'éloigne d'ici, mais ma vision est brouillée. Je vais vomir. Le cadavre de Rosa, tout ce sang, ça tourne dans ma tête telle une toupie. Et les cris de Scott qui nous court après, ses coups de feu à répétition, le frottement des tiges qui s'écartent à notre passage, toutes ces tiges identiques et qui nous bouchent la vue, tout m'a l'air si lointain, comme si j'étais au fond d'un océan.

Mes jambes bougent sans que je ne le veuille, je ne ressens ni fatigue ni peur, je ne suis plus vraiment là. Je m'arrête. Je regarde Scott.

Il s'arrête lui aussi, à bonne distance. Mes amis continuent de courir, les hauts plants s'écartent sous leurs pas. Le vieux fou sourit, on croirait qu'il vient de voir la plus belle chose de sa vie. Et puis, en une seconde à peine, il retourne son fusil et tire dans son ventre. Une fois. Deux fois. Sans cesser de sourire.

Les effusions de sang giclent jusqu'à moi ; Scott tombe à genoux et son arme s'enfonce dans le sol sablonneux ; puis il s'écroule face contre terre.

Mes jambes tremblent, chancellent, cèdent. À quatre pattes, je me mets à vomir encore et encore. Ma tête me fait si mal, les coups de feu vibrent encore dans mes tympans et je peux entendre la voix de Zoé et l'aboiement de Dexter au loin. Je m'effondre dans l'herbe en pleurant et, peu à peu, je perds conscience.

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