Les enfants restent stoïques. Je n'avais jamais vu des êtres humains si sales, couverts de sang, de terre, maigres à faire peur. On les confondrait presque avec des bestioles.

En nous voyant, ils ont un mouvement de recul. L'un d'eux attrape par terre un morceau de viande qu'il lance dans la direction des zombies. Préoccupés par la nourriture, ils ne prêtent pas attention à mes équipiers, qui réussissent à liquider toutes les bestioles en un temps record. Ils semblent tous ébahis de voir des survivants.

« Je croyais que vous étiez tous morts. Tous. Je croyais qu'on était les seuls survivants, souffle le plus jeune des deux enfants.

- Comment vous appelez-vous ? demande Tess.

- Ethan, répond le plus âgé. Et mon petit frère, Luke. Ceux qui travaillaient ici étaient partis déjeuner, ils nous avaient demandé de surveiller la pièce en attendant. Je crois qu'ils ont été attrapés par les bestioles dans le couloir. »

L'aîné des garçons s'approche, il grignote quelque chose.

« Des graines pour oiseau, explique l'autre. Il ne nous reste plus que ça, depuis quelques mois. On a fini toutes les réserves de secours.

- Réserves de secours ? répète Neil. Qui a caché des réserves ici ?

- Adam. Il se doutait qu'il y aurait un problème, un jour ou l'autre, alors il a fait construire un garde-manger ici avec de la nourriture pour plusieurs années. La salle radio est la pièce la plus éloignée du reste de la planque, il fallait qu'on ait de quoi survivre en cas de souci. Adam avait pensé à tout, conclut l'aîné avant de poser la question à laquelle personne ne veut répondre. Comment va-t-il, d'ailleurs ? »

Puisque tous les regards sont posés sur moi, je change de sujet. Ils n'ont pas besoin de savoir qu'Adam est mort. Pas pour le moment.

Sur le chemin du retour, je pense à Iris. Elle n'était pas là où je l'avais crue morte. Elle n'était pas non plus à la salle radio. Elle errait peut-être dans les couloirs, bestiole à la recherche de nourriture, et nous l'avons probablement tuée sans faire attention.

Elle est peut-être sortie par la brèche, aussi. Si c'est le cas, je ne la reverrai jamais. Elle doit déjà être loin, maintenant.

*

Revenus à la planque, j'emmène les garçons au réfectoire. Il est déjà dix-huit heures, il faut qu'ils mangent. Sur le chemin, je croise Neil qui m'arrête une minute.

« Merci, Ava, tu avais raison pour tout. Grâce à toi, on a récupéré la salle radio. Tu viendras, demain matin, pour enlever les corps et nettoyer le tunnel ?

- Oui, je commence justement ma journée d'essai avec les Techniciens demain !

- Tant mieux. En attendant, occupe-toi bien d'eux. Ils reviennent de loin. »

Il jette un regard inquiet aux enfants débraillés et sous le choc avant de poursuivre son chemin dans le couloir. Je suis encore étonnée que, pour une fois, Neil m'ait remerciée pour quelque chose. D'habitude, il passe son temps à me rabaisser.

Après avoir dîné, je donne des vêtements propres à Luke et Ethan. Ils vont aux douches pour se laver et reviennent bien peignés, différents. Malgré leur maigreur, ils paraissent déjà plus humains. Ils semblent avoir déjà tout oublié.

En retrouvant le confort d'un vrai lit, ils s'apaisent, et les trois années passées dans l'horreur semblent fondre comme neige au soleil.