Chapitre 1

11 février 2074, San Francisco, 3h56

Je me terre dans l'obscurité. Que faire d'autre ? J'entends des cris, des lamentations étouffées dans les couches de terre qui me séparent de la Surface.

La Surface.

Les Eclaireurs s'y rendent chaque jour pour trouver des provisions. Nous sommes tous faibles. Combien de temps tiendrons nous ? Cela fait déjà trois ans. Et ils nous traquent encore. Ils sont encore là-haut. Affamés. Dépouillés. Toujours là.

Je perçois la voix de Matt. Il est loin, dans le tunnel, mais je l'entends nettement, et la lueur de sa torche m'enveloppe doucement. Il appelle quelqu'un. Pas moi.

« Lucie ! Lucie, reviens ! »

Tu sembles inquiet. Je m'en fiche. Ici, c'est chacun pour sa pomme.

« Lucie ! Lucie ! »

Même si tu es gentil avec moi, tu n'es pas mon ami.

« Ava, tu n'as pas vu Lucie ? Elle est sortie du dortoir ! »

Mon amie, ma seule amie, c'était Iris.

« Ava, tu m'entends ? »

Je préfère ne plus créer de liens. Rester seule. Pour ne pas être regrettée.

« Eh ! Ava ! Dis-le, si je t'ennuie ! » me crie-t-il.

J'ai soudain l'impression que tu m'en veux. Je m'en fiche, Matt.

« J'en ai rien à fiche de Lucie ! »

Matt recule d'un pas. Je suis toujours assise, dans ce mélange de terre et de pierre, dans ce tunnel sombre qui est notre maison depuis trois ans.

« Ma petite soeur est peut-être morte. Et toi, Ava, tu dois te faire à l'idée qu'il y a encore de l'espoir. Arrête de te lamenter sur ton sort, ça ne fera pas revenir Iris. »

Quoi ? Je me tais alors que je devrais hurler. Hurler qu'il n'a pas le droit de parler d'Iris, que c'est mon amie, pas la sienne.

« Je ne te déteste pas, Ava. J'aimerais vraiment qu'on soit amis. »

Il poursuit sa route dans le couloir, puis après m'avoir dépassée il reprend ses appels. Amis ? Oui, nous pourrions l'être, un jour.

Je me lève, jette un œil à ma montre couverte de terre : quatre heures du matin.

Je ne me suis même pas rendue au dortoir des filles après le dîner. J'ai filé du réfectoire à mon couloir boueux. Les autres dorment encore profondément, et moi, j'ai passé la nuit assise dans le noir.

Enfin, non, pas encore toute la nuit.

« Matt, attends, je vais t'aider ! »

Il se retourne. Je le rattrape, et la lumière m'enrobe tandis que nous nous déplaçons dans le tunnel silencieux.

*

Je me souviens de ce que disait Iris. Elle était comme ma sœur. Elle me répétait sans cesse que j'étais une pile électrique, trop énergique pour devenir institutrice mais pas assez pour partir explorer des terres inconnues en quête d'autochtones. Elle souriait quand je lui racontais mes rêves.

Elle avait un sourire formidable, Iris. Le genre de sourires aux dents bien alignées comme dans les pages de publicité. Le genre de sourire qui vous oblige à être heureux.

Elle me regardait de ses yeux bleu-vert exactement comme les miens, et puis elle me souriait. Moi, je passais mon temps à remettre ses mèches de cheveux derrière ses oreilles ; je ne supportais pas qu'elle les ait dans la figure. J'admirais beaucoup Iris. Ses cheveux blonds ondulés s'arrêtaient pile au milieu de son dos, elle était vraiment jolie, intelligente, attentionnée, courageuse, et si drôle...

Une fille parfaite comme celles dont tout le monde est jaloux. Moi, je ne lui en ai jamais voulu d'être aussi géniale. C'était ma meilleure amie, et même si, avec mon acné et mes cheveux coupés de travers, j'étais loin d'être à sa hauteur, elle me faisait me sentir importante. Sûre de moi.

*

Le couloir est sinueux. On se croirait dans le corps d'un long serpent, mais on n'arrive pas à s'en amuser, parce qu'au dessus de nos têtes se trouve bien pire qu'un serpent géant. Ils sont fous, de plus en plus chaque jour.

On ne les a pas tous vus, mais on nous l'a raconté. Moi, je les ai regardés attaquer la directrice de mon foyer d'accueil, mais je ne l'ai jamais dit aux autres. Mes souvenirs sont trop flous. C'était il y a trois ans déjà, je n'avais que onze ans. Ils étaient là, je ne sais plus à quoi ils ressemblaient, mais ça criait ; je m'en rappelle, de ces cris.

Ils ont une tête horrible, à ce qui se dit. Pas que la tête, d'ailleurs. Mais je le verrais par moi-même, bientôt. Mon équipe à moi partira, j'ai l'âge réglementaire maintenant. Quinze ans.

Je sais déjà que Matt partira en même temps que moi. Lui aussi, il sera en stage de découverte. Il va essayer les autres services, et il ira peut-être dans l'équipe des Cuisiniers. Ou des Stratèges. Ou des Fermiers. Il me le dira.

Oh, j'oubliais, il y aura Tess. Tess a un an de plus que moi, elle est Éclaireur. Elle avait déjà l'âge réglementaire quand elle s'est installée ici, alors elle a vite eu le poste de chef d'équipe. Ça a été tellement rapide, pour elle.

Elle nous raconte chaque soir ses opérations, ceux qui ont failli l'attraper, ceux qu'elle a vite repérés.

J'ai hâte de voir qui seront les autres. Mes compagnons de guerre, comme disent les plus expérimentés.

Soudain, nous entendons des pleurs.

« Cest Lucie ! » s'écrie Matt.

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