Chapitre 4
La lumière m'assaillit, et je papillonnais des yeux une bonne dizaine de fois avant de m'habituer à la soudaine clarté. Je me trouvais dans la même tente orangée que j'avais aperçue la dernière fois que j'avais ouvert les yeux. Je fermais les yeux, et fis le point sur mon état d'après ce que je ressentais. Première chose étrange, mon œil gauche était innopérationel, allez savoir pourquoi. Ensuite, je sentais de légers élancements dans mon dos. J'étais allongée sur un matelas plus que confortable, ma tête s'enfonçant dans des coussins moelleux. Un léger mal de tête se pointait. Je pris une inspiration, avant de me redresser, ignorant les protestations de mon dos, puis regardais autour de moi.
Il y avait plusieurs lits dans la tente orange, qui se trouvait être sans doute une infirmerie vis la table avec différents flacons au centre. Il y avait plusieurs lits mais, à part le mien, un seul était occupé. Je levais un peu la tête pour voir de qui il s'agissait, et compris que c'était António. Son épaule et tout son torse était enrobé de plusieurs couches de bandage blanc, quoiqu'écarlate à certains endroits. Je ne pourrais dire s'il est inconscient ou simplement endormi.
Je posais mes pieds sur le sol battu et tentais de me lever, mais retombais aussitôt sur le matelas. Je ne sentais plus mes jambes. J'étais sans doute restée immobile trop longtemps. Je me concentrais, et tentais de nouveau l'expérience. Je m'essayais une dizaine de fois, mais dû me rendre à l'évidence. Je devrais patienter, et la patience, ce n'était pas mon fort. La preuve, c'est qu'à peine trois minutes plus tard (ou trois secondes, je en sais pas trop), je me levais et me mis à courir. Où plutôt j'essayais de courir. À peine cinq pas et je m'effondrais par terre comme une chiffe molle. Je grognais. Si quelqu'un avait été là pour voir ça, il avait dû apprécier le spectacle. Je devais avoir l'air pathétique, une chance que personne n'avait vu ça. Un éclat de rire me parvint, me signalant que j'avais tort. Quelqu'un avait effectivement vu ça.
Je me tournais vers l'intrus, inquiète, mais la pression sur mon cœur se relâcha lorsque je compris qu'il s'agissait seulement de Juán. Il m'aida à me relever et, contre toute attente, je me serra fortement contre lui. Il ne devait pas se rendre compte de sa force, parce que j'avais l'impression qu'il me broyait les os. Je poussais un grognement de douleur, et il me lâcha aussitôt. Résultat, je tombais à nouveau sur le sol, n'ayant plus d'appui.
- Désolé, s'excusa-t-il en me relevant à nouveau.
- T'es vraiment pas doué, me moquais-je.
Il afficha une mine faussement offensée, ce qui me fit rire, et il me souleva pour ensuite me reposer sur mon lit malgré mes protestations.
- Est-ce qu'il va bien ? demandais-je en désignant son frère.
Il me sourit.
- Oui, il va s'en sortir, et je crois même qu'il va nous tuer lorsqu'il se réveillera, parce qu'on ne pourra pas le laisser sortir tout de suite, répondit-il.
- Et toi ? Et ta sœur ? Vous allez bien ? Vous n'avez pas eu de problèmes à cause de moi ? m'inquiétais-je.
Cette fois, il éclata d'un rire franc.
- Tu es une personne incroyable, amiga ! Tu reste inconsciente pendant trois semaines et toi, tu ne fais que t'inquiéter pour les autres ! s'exclama-t-il.
Je me figeais, le regardant avec de grands yeux, choquée.
- Pardon ?
Il grimaça, comprenant sa faute. Il se frotta l'arrière du crâne, gêné.
- Ok, je crois que je n'aurais pas dû l'annoncer comme ça, grogna-t-il.
- Non, tu crois ? répliquais-je. Trois semaines, sérieusement ?
- Plus que sérieux ! Ça n'a pas prit beaucoup de temps avant que tes blessures au dos ne s'infectent, et le couteau de Frollo... ça t'a touché assez profondément, on avait peur que ton cerveau n'ait été endommagé par le coup, expliqua-t-il.
- Trois semaines, répétais-je, toujours sous le choc de l'annonce. Et António ? Il ne s'est pas réveillé depuis ?
- Non plus mais il a plus de chance que toi, sa plaie ne s'est pas infectée grâce aux soins qu'il a reçu très vite. Ça aurait été bien plus grave si on était arrivés cinq minutes plus tard, affirma-t-il.
- Je suis désolée, soufflais-je en croisant les bras sur ma poitrine. Tout ça c'est de ma faute, c'est moi qui aurais dû prendre le coup, pas lui.
Esméralda entra à ce moment là et vu son air scandalisé, elle devait avoir tout entendu.
- Comment peux-tu dire ça ? Frollo t'aurait tué si mon frère n'avait rien fait ! s'exclama-t-elle. Enfin, Juán, qu'est-ce que tu lui as dit pour qu'elle pense une chose pareille ?
- Et voilà, c'est toujours sur moi que ça retombe, soupira-t-il en levant les yeux au ciel.
Je lâchais un petit rire, et la gitane prit place à côté de moi. Elle étala une crème étrange sur mon œil gauche, toujours inactif, puis m'obligea à lui tourner le dos pour qu'elle s'occupe de celui-ci.
- Est-ce que... je suis rendue à moitié aveugle ? ne pus m'empêcher de demander.
- Non, nos guérisseurs nous ont assurés que tu retrouverais la vue peu de temps après ton réveil, sauf que ton œil restera comme ça, lâcha Juán.
- Comme quoi ? m'inquiétais-je.
- Euh...
- Idiot, grogna Esméralda. Arrête de lui faire peur ! Ton œil est simplement devenu blanc, avec un peu de mauve pâle à l'intérieur. Ce n'est rien de grave.
- Super, voilà que je fais encore plus peur, grognais-je. Faut croire qu'on tient vraiment à me faire coller le titre de sorcière.
Je reçu une claque sur l'épaule.
- Aïeuh ! m'exclamais-je en me tournant vers elle. C'était quoi, ça ?
- Arrête de raconter des âneries et laisse moi finir mon travail, répondit-elle simplement.
Son frère étouffa un rire mais en voyant le regard menaçant de la gitane, il sonna la retraite et quitta la tente.
- Que va-t-il se passer... tu sais, pour moi ? demandais-je alors.
- Nous sommes parvenus à convaincre tout le monde que tu n'étais pas un danger. Déjà, la majorité était de notre côté vu le petit spectacle que tu as donné à la Fête des Fous, tu sais, sauver le bossu et tout ça. On a convaincu le reste en expliquant comment tu nous avais sortis de la cathédrale et sauvé la vie de mon frère, raconta-t-elle.
- Bien sûr, vous avez accidentellement oublié que c'était de ma faute si il était dans cet état et si vous étiez prisonniers de Notre-Dame au début, dis-je sur le ton de la conversation, un bri de reproche dans le voix.
- Ça ne fait même pas deux jours qu'on s'est rencontrés et tu nous connais mieux que la plupart des gens ! s'esclaffa-t-elle.
- Et donc, après les avoir convaincus, qu'est-ce qu'il va m'arriver ? demandais-je, ramenant le sujet principal.
- Tu vas rester ici, bien sûr ! affirma-t-elle. Voilà, j'ai fini.
Je me retournais vers elle, surprise.
- Tu veux dire... je reste avec vous ? m'étonnais-je. Je peux vivre ici ?
- Oh, bien sûr, il faudra que tu te trouves une spécialité, question de gagner de l'argent, mais oui, c'est ça, confirma-t-elle avec un grand sourire. Et...
- Merci !
Je la serrais contre moi, émue. Je ne m'imaginais pas repartir errer dans les rues de Paris, au risque de retomber sur Frollo ou ses gardes, qui ne manqueraient pas de m'arrêter sous prétexte que je suis une sorcière. Et vivre ici, avec des personnes que je pouvais certainement considérer comme mes amis, et des gens qui me respectent malgré mes différences, c'était tout simplement... un rêve. Oui, un rêve devenu réalité.
- Tu vivras dans ma tente, le temps que tu trouves assez d'argent pour t'en acheter une et l'installer ici, m'informa-t-elle. À moins, bien sûr, que tu ne veuilles rester avec moi et Djali.
- Si ça ne te dérange pas, dis-je en haussant les épaules.
- Pas du tout ! Un peu de compagnie me ferait le plus grand bien, affirma-t-elle.
J'hochais la tête, et une nouvelle question germa dans mon esprit.
- Qu'est-ce que tu veux dire quand tu parles de trouver ma spécialité ? demandais-je, curieuse.
- Et bien, les gitans n'ont pas accès à de véritables travails. La plupart deviennent donc danseurs, d'autres musiciens, quelques uns deviennent chanteurs, acrobates, animateurs de foule ou dresseurs, vendeur de vêtement et de tapisseries, et même voleur est considéré comme un travail ici, bien que ce soit moins prisé. La moitié de l'argent que tu gagnes chaque jour est remis au Collecteur et tu gardes le reste pour toi.
- Le Collecteur ?
- C'est un travail très important, car il collecte et surveille l'argent amassé. Cet argent permet d'acheter de la nourriture, des vêtements et des habitations ou autre dans des cas d'extrême urgence. On l'appelle le Collecteur car c'est celui qui s'occupe d'un travail collectif. Si tout le monde gardait tout l'argent, chacun le dépenserait pour soi et, venu les temps de famine, de grands froids ou de maladies, une vague de mort risquerait de s'abattre sur nous, expliqua-t-elle.
J'hochais la tête, ayant comprit, et elle se leva en tapant des mains.
- Je t'expliquerais le reste plus tard. Tu crois être capable de marcher ?
Je souris en remarquant que je sentais de nouveau mes jambes. Je me relevais et tanguais un peu, mais parvins à rester debout. Je fis quelques pas hésitants, avant de retrouver un parfait équilibre.
- Oui. Où va-t-on ?
- Te chercher des vêtements, déclara-t-elle.
Je remarquais alors que je portais une simple toge blanche.
- Et ton frère qui m'a vu comme ça, soupirais-je en levant les yeux au ciel. Il ne va plus me lâcher !
- Ça, tu peux en être certaine !
Je sursautais alors que le concerné entrait, tout sourire. Il me lança une pomme, que j'attrapais au vol.
- Ça te tiendra au ventre le temps qu'on arrive au souper, déclara-t-il. Alda, ta tente a été un peu agrandie et un autre lit a été installé
- Merci. Alors, on y va ?
- Et comment !
Je dévorais ma pomme en un rien de temps, alors que nous sortions de la tente pour nous mettre à déambuler dans les rues de la cité souterraine. Celle-ci semblait s'étendre sur des kilomètres.
- On y est !
Nous nous arrêtâmes devant une tente rouge et dorée, assez grande, et je devinais aisément que c'est là-dedans que je vivrais en compagnie d'Esméralda. Lorsque nous entrâmes, nous fûmes accueillies par une chèvre, sans doute Djali. Elle s'approcha de moi, méfiante, avant de me sauter dessus et de se mettre à me lécher le visage. J'éclatais de rire en tentant de la repousser.
- Suffit ! s'interposa Esméralda en la faisant reculer, tout sourire. Il faut croire qu'elle t'aime bien, c'est rare qu'elle apprécie autant un étranger.
- Je l'aime bien également, m'esclaffais-je. Oh, beurk !
Je tentais de me débarbouiller le visage de toute cette bave collante, alors que ma nouvelle colocataire éclatait de rire. Pendant un instant, je cru même voir Djali sourire. Ok, le coup de Frollo m'a peut-être endommagé le cerveau, ou c'est juste des hallucinations liées aux médicaments. Je décidais d'oublier, et m'approchais d'Esméralda, qui fouillait dans un coffre.
- Tu cherches quelque chose ?
- Oui, je... attend un peu... je... voilà !
Elle sortit alors une longue jupe noire ainsi qu'un corset turquoise, avec un haut de cuir à passer par-dessus, noir également.
- Tu essaieras ça après t'être lavée, m'ordonna-t-elle.
Je la suivis jusqu'à une petite pièce en annexe, creusée à même le roc, dans laquelle se trouvait une source d'eau chaude naturelle. Je m'y lavais en vitesse, avant de me sécher et d'enfiler les vêtements. Lorsque je revins la voir, elle ouvrit de grands yeux. Sa bouche s'ouvrit également, sans doute pour dire quelque chose, mais aucun son ne sorti.
- Esméralda ? l'appelais-je, inquiète. Qu'est-ce qui ne va pas ?
- Je... regarde.
Elle pointa un miroir à ma droite. Intriguée et inquiète, j'obéis, et reculais d'un pas, choquée. La jupe, qui se trouvait être un pantalon, m'allait très bien, tout comme le haut. Le serre-taille noir était décoré d'arabesques dorées, et des bretelles noires le maintenait en place sur le corset turquoise. Enfin, c'est surtout mon visage que je regardais. Mes tatouages étaient toujours là, noirs comme l'encre sur mon visage pâle comme la mort. Mon œil droit était doré, presque jaune (je le savais déjà, bien sûr) alors que mon œil gauche était blanc avec une légère teinte de violet dedans, une cicatrice encore rougeâtre le barrant du milieu de mon front jusqu'au haut de ma joue gauche. Mes cheveux étaient plus longs que jamais, et terriblement emmêlés, quoique secs, c'était déjà ça. J'étais également affreusement mince. Il faudrait que je mange plus. (NDA : Le costume décrit est celui que les nains ont donnés à Blanche-Neige dans le film Miroir Miroir)
- Tu es...
- Affreuse, dis-je en tournant la tête.
- Non ! Tu es magnifique ! C'est sûr et certain que tu gardes ces vêtements, ils te vont comme un gant ! assura-t-elle.
- Tu plaisantes ? Ce sont les tiens !
- Je te les offre, ils ne me font plus de toute façon, répondit-elle en agitant la main. Suis moi.
J'obéis, et m'asseyais sur le lit qu'elle me désignait. Elle prit place derrière moi et commença à me démêler les cheveux. En la voyant ainsi s'afférer autour de moi, je me questionnais. Pourquoi agissait-elle ainsi ? Pourquoi était-elle si prévenante, si gentille ? Et c'est seulement lorsque je la vis sourire une fois son travail accompli (soit me brosser les cheveux puis me donner une allure présentable), que je compris. C'était l'instinct maternel, tout ça. Je le savais, parce que je l'avais déjà vu chez des femmes avec leurs enfants, du haut du clocher. Elle s'inquiétait pour moi, s'occupait de moi, comme une mère le ferait avec sa fille. Cela me fit chaud au cœur. Je ne voulais pas me résonner, me dire que je faisais peut-être fausse route. Tout ça me faisait un bien fou, car jamais Frollo ne s'était occupé de moi ainsi. C'était nouveau, mais agréable. Ça voulait également dire qu'elle me considérait comme faisant parti de la famille, ce qui me rendait encore plus heureuse. Et puis, moi aussi, j'aimais beaucoup Esméralda, quoique plus comme une grande sœur. Enfin, ça devient un terrain glissant et compliqué.
- Maintenant, allons-y ! s'exclama-t-elle avec un grand sourire.
- Où ?
- À la place centrale, dit-elle en haussant les épaules.
Elle me poussa dehors.
- Pourquoi ? demandais-je.
- Parce que c'est l'heure du souper. Vois-tu, ici, nous mangeons tous ensemble. Ça nous permet de forger des liens en plus de profiter de la présence des autres. Ce n'est pas obligatoire, certains préfèrent parfois manger rien qu'entre eux, mais c'est ce que font la plupart des gitans vivants ici.
Nous arrivâmes alors à ladite place centrale, où des dizaines de groupes mangeaient ensemble, parlaient avec animation et riaient à tout va. C'était une ambiance joyeuse et festive, totalement le contraire des repas silencieux avec Frollo, qui ne me manquait absolument pas. Elle me prit la main et me tira à travers tout le monde, avant de m'obliger à m'asseoir à se droite dans une groupe déjà formé. Juán en faisait parti. Lorsqu'il nous vit, il vint s'asseoir à ma droite.
- Alda, tu t'es surpassée ! s'exclama-t-il en prenant place, m'examinant sous toutes les coutures. Sublime !
Mes joues s'enflammèrent et je baissais la tête, alors que tous deux éclataient de rire devant ma gêne. Il faut dire que je n'étais pas vraiment habituée aux compliments.
- Regarde là, elle est toute gênée, ria-t-il. C'est mignon !
Il me frotta le crâne de son poing, m'arrachant un cri d'indignation.
- Hey !
Je parvins finalement à me défaire de son emprise, et je lui donnais une petite tape sur l'épaule. Je remarquais alors qu'il était (encore) torse nu.
- Dis, tu sais c'est quoi, un chandail ? demandais-je en levant les yeux.
- Je ne voudrais pas te priver de ce spectacle, plaisanta-t-il.
- Frimeur, toussais-je.
- Pardon ? s'offusqua-t-il.
- J'ai rien dit, répliquais-je avec un air innocent. Et toi, Esméralda ?
- Moi non plus, assura-t-elle en embarquant dans mon jeu.
- Tu entends des voix, lui lançais d'un ton faussement compatissant.
- Tu veux jouer à ça ? Très bien, mais tu vas perdre, bouda-t-il en croisant les bras.
- Oh regarde le, il boude. C'est mignon ! me moquais-je en lui ébouriffant les cheveux.
- Hey !
Nous éclatâmes de rire et il se joignit bientôt à nous. Un bol rempli d'un ragout fumant à l'odeur alléchante se présenta alors sous mes yeux. Je le prit et lançais un regard étonné à la dame. C'était une vieille gitane, qui me sourit gentil.
- Bienvenue parmi nous, dit-elle.
- Merci, répondis-je avec un sourire hésitant.
Elle partit servir d'autres personnes, et je me mis à manger avec appétit.
- Dis, elle est grosse comment, cette ville souterraine ? demandais-je en me tournant vers Esméralda.
- Je n'en sais rien, mais elle est énorme. Elle a été agrandie au fur et à mesure que la population augmentait, et nous l'agrandissons encore lorsque c'est nécessaire. Vois-tu, ici, nous nous serrons tous les coudes. Lorsqu'on donne quelque chose, on ne demande rien en échange. On aime les plaisirs simples, et bien qu'on s'adonne parfois à quelques moments de vanité, nous ne sommes pas comme ces bourgeois qui ne pensent qu'à eux, leur apparence et leur argent. Si jamais l'un de nous éprouve des problèmes avec son travail, alors on s'arrange pour lui fournir le nécessaire pour qu'il puisse vivre jusqu'à ce que le problème soit résolu. Notre société est basée sur la confiance, l'entraide et l'amitié. Ce sont nos valeurs les plus importantes, et nous sommes toujours prêts pour tendre la main à quelqu'un. Bien sûr, on a aussi quelques défauts.
- Comme quoi ?
- La rancune. La plupart d'entre nous ont beaucoup perdu et, malgré nos plus profondes valeurs, il nous est impossible de ne pas désirer la vengeance. Nous avons également un sale caractère. Nous sommes combattifs, prêts à se battre pour nos convictions, mais si une guerre doit un jour éclater entre les gitans et le reste de Paris, ce ne sera pas nous qui tirera en premier. Quelques uns d'entre nous ont bien sûr, mal tourné, mais nous ne laissons aucunement les autorités de la ville s'occuper de leur cas. Nous préférons nous occuper nous-mêmes de ce genre de problèmes, car nous sommes un peuple fier et orgueilleux. Nous avons notre propre systèmes politique, nos propres lois, et notre propre dirigeant, Manolio. D'ailleurs, chaque fois que de nouveaux membres veulent se joindre à la société, il signe un contrat et doit se faire accepter par tout le monde ou, du moins, la majorité. Le choix du chef pèse beaucoup plus que les autres, bien sûr, mais il ne peut rien décider seul. Seuls les natifs ne passent pas par là.
- Ça me semble être un monde parfait, soufflais-je. C'est juste... comparés à vous, les parisiens ressemblent à des animaux sauvages et primates ! Ils sont stupides, avares, ne connaissent pas la loyauté et ne possèdent aucunement le sens de la justice. Tant qu'ils ont ce qu'ils veulent, qu'ils possèdent leur confort, ils ne se préoccupent pas des autres et de leurs problèmes. Ils ne se soucient pas d'eux, ils se moquent d'eux, et lorsque les rôles sont inversés, par contre, ils osent demander de l'aide à ceux qu'ils ont rejetés auparavant. Paris, la France, le monde entier devrait prendre exemple sur vous au lieu de vous chasser ou de vous considérer comme de simples attractions !
Je soufflais un peu après ma tirade, alors que Juán et Esméralda me regardaient avec de grands yeux.
- Tes paroles nous touchent beaucoup, petite enfant, surtout venant d'une personne ayant été élevée dans les mœurs, les coutumes et les croyances de ceux que tu appelle primates, déclara alors une voix assez grave, de l'autre côté du feu.
Je levais les yeux et regardais celui qui venait de parler. Il m'était familier. Je me souvins alors qu'il s'agissait du colosse qui avait transporté António dans la tente médicale lors de notre arrivée.
- Quel est ton nom, petite enfant ? demanda-t-il.
- Amélyssa, et vous monsieur ?
Il éclata de rire, bien vite suivit des autres. Je lançais un regard interrogateur à Juán, qui se calma un peu pour me répondre.
- Ici, ces mesures de politesse ne sont pas nécessaires. On s'appelle par nos noms ou nos surnoms, pas de monsieurs ou d'autres trucs comme ça, dit-il. Et surtout pas avec Lorenzo !
J'hochais la tête, et pris le temps d'observer chacune des personnes présentes. Au total, nous étions treize autour du feu, chacun installé sur un coussin. Deux étaient vides. J'imagine que l'un est pour António, mais pour qui est le second ? Je remarquais bien vite qu'ils détournaient leur regard chaque fois qu'il se posait sur le second coussin. Ça devait être quelque chose de grave. Je décidais donc de poser mes questions plus tard. Ils se présentèrent.
En partant de ma droite, il y avait Juán, puis la veille femme qui m'avait servit le ragout du nom de Sheyenne, sa fille (le même âge que moi) du nom de Shana, son époux Pedro, leur fils de neuf ans Tiago, un homme de la trentaine avec une barbe mal rasée appelé Tayson, sa femme Keja, le colosse Lorenzo, ses jumeaux de 27 ans Miguel et Manuel, un garçon d'environ mon âge à l'air sombre et peu bavard, Darjan, puis Esméralda.
D'après ce que j'avais comprit, cette ville était constituée de plusieurs clans, de petits groupes qui travaillent ensemble dans des spécialités différentes pour rapporter plus. À la fin, tout l'argent qui restait après être passé par le Collecteur était distribué à tout le monde à part égale si, bien sûr, tout le monde avait bien travaillé. Si l'un d'eux ne faisait rien, il n'avait rien. J'admirais leur fonctionnement et surtout la confiance aveugle qu'ils plaçaient les uns dans les autres. Je souris alors que Tayson racontait une blague. Je me sentais bien, à ma place, et j'avais hâte de commencer ma nouvelle vie pour de bon. J'avais hâte de laisser mon passé derrière moi, et de regarder vers l'avant. Oui, j'avais vraiment hâte.
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