๛𝚃𝚊𝚞𝚛𝚘𝚗 ๛
Après avoir marché un certain temps, nous arrivons à la lisière d'une rivière, au beau milieu des bois, où se trouve une petite chaumière. Nous pénétrons dans la demeure, par un pont en bois de hêtre artisanal.
En silence, le vieil homme ouvre la porte et nous pouvons découvrir une table, en face de nous, sur laquelle repose une sorte de chaudron, des potions, des centaines de livres, des bougies installées de part et d'autre de la pièce, puis à droite, un fauteuil à bascule devant un feux de cheminée et enfin, à gauche des bricoles.
— Ne faites pas attention au bazar que j'ai mis, nous fait-il remarquer. J'ai tendance à ne jamais ranger, car généralement personne n'y rentre.
Mon regard s'attarde sur les différentes boites sur la table. Je m'avance d'un peu plus près et peux y lire « Runes ».
— Vous pratiquez les runes, vous aussi ?
Il se retourne, rapidement, comme s'il craignait qu'on lui vole quelque chose.
— Oui. Pourquoi ? Vous aussi ?
— Ah... euh... non... mais je connais des gens qui en possèdent chez eux.
J'espère fortement qu'il n'ait pas remarqué mon trouble. Ses yeux perçants me toisent. Il se dirige ensuite vers une sorte de petite cuisine, bien à lui j'imagine : un plan de table en bois aussi (tout est fait en bois de toute manière) sur laquelle une gazinière et des casseroles. C'est en bazar, je peux vous l'affirmer. Moi-même, je fais pire.
— Vous voulez que je vous serve quelque chose ? propose-t-il en ouvrant un tiroir et en sortir d'anciennes tasses et une boite en métal.
Je jette un coup d'oeil à Maëlys, qui se tient à l'entrée de la porte, le regard fixé sur ses ongles. Elle est intimidée, la pauvre. Elle finit par remarquer que je la regarde et hoche de la tête.
— Oui, s'il vous plait.
— Vous pouvez m'appeler Tauron. Je suis le gardien de ces forêts depuis de nombreuses années. Si je vous dis que ce n'est pas une bonne idée de trainer seul ici, c'est qu'il n'y a pas que vous qui en avez faits l'expérience. Je sais ce que je dis.
Il s'assoit face à nous, sur son fauteuil en posant les tasses chaudes sur une table basse, tandis que nous nous choyions sur deux tabourets.
— Mais..., commence ma cousine, fascinée et perplexe à la fois, c'est-à-dire que vous vivez ici ?
— Mais bien évidement ! Je vis sur ces terres depuis, si je dois donner un chiffre précis, 70 ans. Après la guerre qu'a sévi LINAEWEN, les habitants sont plus méfiants, prudents. Avec ces Feredir dans les parages...
Ses derniers mots sont sortis de sa bouche comme un goût amer et qu'on voudrait tout de suite recracher. Son visage est déformé par une grimace de mépris.
Je reste silencieuse, mais je sens qu'on cache quelque chose... Un lourd secret que personne n'ose révéler, de peur de se faire tuer à coup de hache ou épée.
Je n'ose ouvrir la bouche pour demander. Même Maëlys est du même avis que moi.
Tout à coup surgit de la pénombre une boule de poil blanche sur trois pattes qui vient en notre direction.
— Oh ! Tiens ! Voilà, Miskyn !
L'animal en question n'est autre qu'une chatte au pelage blanche taché de gris et marron qui saute sur la table basse, le regard curieux.
En voyant Tauron, elle grimpe sur ses genoux pour ramasser des caresses.
— Elle a perdu une patte un soir. Elle a voulu courir après les souris, comme elle fait d'habitude, mais je me suis rendu compte qu'elle mettait longtemps à rentrer, alors qu'en général elle ne prenait que vingt minutes. Des elfes sont venus à ma porte, par une nuit hivernale pour me ramener, toute en sang, la mine déconfite, en m'expliquant qu'elle s'était faite arracher une patte par un de ces satanés Feredir ! (il pousse un profond soupir en passant sa main dans sa douce et soyeuse fourrure). Fort heureusement, j'ai su la guérir. Avec le temps, elle a réussi à s'habituer à son nouvel handicap mais ça n'a pas été facile tous les jours.
— Je comprends.
Je n'ai trouvé que cela pour répliquer. Pas très original de ma part, je vous l'avoue, mais c'est déjà bien.
J'approche de mes lèvres la tasse en porcelaine pour y gouter une saveur de fruits rouges...
— Vous avez fait du thé aux fruits rouges, remarqué-je en buvant une gorgée.
— Oui. Je n'avais que ça dans mes tiroirs, désolé. Ce matin, j'ai oublié de faire les courses. Quel tête en l'air suis-je !
Il se tape du plat de la main son front. Je souris.
C'est étrange : Maëlys est restée silencieuse durant tout le temps, depuis l'incident avec le Taupoc.
En tournant la tête vers le haut, je remarque une pendule, très ancienne aussi (décidément, ils ont une certaine valeur pour les objets non-modernes), et aperçois les aiguilles qui tournent du nord vers le sud. Mince ! Il est déjà 4h56 du matin !
— Maëlys, tu as vu l'heure qu'il est !
Elle semble tressauter puis tourne les yeux vers la pendule. Son regard s'illumine.
— Il est 4h ! finit-elle par s'écrier, visiblement déçue. Ça passe trop vite...
— Oui, et tu devrais déjà être rentrée chez toi !
Ses deux grands yeux s'écarquillent comme deux grosses soucoupes, étonnée.
— Quoi ? Mais non... Je veux rester avec toi...
Je lance un regard au gardien des forets, qui me le renvoie, empli de reconnaissance.
— Je pense que vous devriez partir, sans trop vous offusquer. Non, non ! Loin de vous, que votre présence me dérange, mais laisser partir une jeune enfant dans la forêt Interdite est très dangereux. Sans vous faire peur, je crains fort que vous risquiez de ne pas la retrouver le lendemain.
Son expression sérieuse d'homme sage me donne des frissons dans le dos.
— Nous allons donc partir, fais-je d'une voix posée, mais qui cache un semblant d'appréhension.
Pour tout vous dire, traverser cet étrange endroit ne me rassure pas. Pas du tout. Mais il faut.
Je me lève, attrape la minuscule main de ma chère petite cousine et me dirige d'un pas déconcerté vers la porte. Lorsque son visage disparait derrière l'entrebaillement de l'épaisse porte, une main la stoppe brusquement.
— On pourra revenir, n'est-ce pas ? demande ma petite cousine, les yeux dans ceux de M Tauron.
Un silence de mort s'abat sur la chaumière, stoïques. Puis, ses traits se radoucirent pour faire place à une expression chaleureuse.
— Bien sûr.
Ensuite, nous partons.
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