๛ 𝙼𝚒𝚛𝚊𝚐𝚎 𝚎𝚖𝚙𝚘𝚒𝚜𝚘𝚗𝚗é ๛
La fête bat son plein depuis quelques heures. Personne ne s'est rendu compte de la présence de la soeur d'Eliana. Pas le moins du monde. D'accord. Ça m'arrange, pour tout vous dire. Moi, de mon côté, je tourne en rond comme un lion dans une cage. Je ne sais plus quoi faire. Dois-je aller chercher Oxorion ? Je ne peux pas. C'est dans l'impossibilité totale. Il y a Eliana qui rôde autour de la maison, je ne vais clairement pas sortir dehors et me retrouver nez à nez avec elle. No way !
Par précaution, je me risque tout de même un petit coup d'oeil par la fenêtre. Je ne vois rien. Le soleil s'est couché pour faire place à la lune... lune qui d'ailleurs s'est cachée derrière d'épais nuages. Pas un chat dehors. Je réprime un profond soupir et me tourne vers Louison :
— Je ne vois pas ta soeur, c'est...
Elle a disparu, elle aussi. Nous y voilà bien ! Je suis tombée sur la famille germaine de Casper. Bon, bah je me retrouve toute seule !
Je descends en bas, pour ne pas éveiller les soupçons même si mon absence n'aurait perturbé personne, visiblement. Une musique des années 90 se diffuse dans la pièce illuminée d'un chandelier. Je ne préfère pas rester ici, je vais suffoquer. Après avoir mis un pied dehors, ça va tout de suite mieux.
Du moins... ça pouvait l'être... si une silhouette n'avait pas attiré mon attention. Une silhouette, une sorte d'ombre qui se déplace. Un vent froid glisse sur ma nuque et je frissonne. Je ne sais pas ce que j'ai, mais la peur commence à s'engouffrer dans tous les pores de ma peau, petit à petit.
Lentement. J'ai un mauvais pressentiment. Chaque fois que cette sensation commence à danser devant moi, je ne peux m'empêcher de m'embarquer dans de belles situations. Il n'y a qu'à voir où je me retrouve maintenant.
Dois-je suivre cette ombre qui me nargue depuis tout à l'heure ? Ou rester sagement à la maison ? C'est pas très drôle de s'ennuyer, je vous propose de prendre un peu de risques. Je décide de ravaler ma fierté et de descendre en bas. Le froid ne m'a pas quitté. Bien au contraire. Il y a une petite brise qui me suit depuis tout à l'heure.
Je jette un regard par-dessus mon épaule pour m'assurer que personne ne m'ait suivi et continue ma route, vers une contrée bien sombre. Aucun son ne se fait entendre. Seul le bruit de mes pas sur le chemin rocailleux résonne. Je ne sais où je vais et je n'ai même pas pensé à prendre mon téléphone. Quelle gourde ! Je l'ai laissé sur le lit, en parlant à Louison. En fait, j'ignore si je parlais à Louison étant donné que j'ignore depuis combien de temps elle est partie. Sans doute parlais-je dans le vide depuis belle lurette. Ça ne m'aurait guère étonné.
Les arbres prennent une drôle de teinte lorsque je passe devant eux. J'ai l'impression que les arbres bougent à mon passage. C'est une étrange impression. De la fumée a envahi l'atmosphère et toute forme de chaleur a disparu. Je ne m'étais même pas rendue compte que je me trouvais... dans la Forêt Interdite. Mon sang se glace à cette pensée. Merde. Que dois-je faire ?
Des souvenirs reviennent au galop. Oxorion. La scène se matérialise sous mes yeux. Ma mâchoire se crispe et je suis à deux doigts de faire une syncope. Non, pas ça. S'il vous plaît. Les voix chuchotent autour de moi, c'est glaçant. Si ce n'est pas mon sang. Oxorion est juste là, devant moi. Il me regarde. Je demeure stoique, les bras ballants. Il est là, purée. Il est vivant.
Mais le cheval noir, la belle créature que je connais, ses yeux noirs prennent une teinte rouge. Rouge comme le sang, comme le rubis. Les miens, par ailleurs, s'écarquillent comme deux grosses billes. Ce... ce... n'est pas Oxorion. Son corps, si forts et robustes s'allongent, craquent devant moi, pour prendre la forme d'un monstre aux dents banches immaculées et de grandes oreilles. Elle me fixent. Mes jambes tremblent comme deux feuilles, en automne ; prêtes à se briser à la moindre brise. Je ne joue pas avec les mots, je suis envahie par l'angoisse et la peur de mourir, ici même.
Avant, je n'avais pas peur. Je vivais insouciante, à l'idée que la mort n'était qu'un portail vers d'autres mondes subtils, vers d'autres vies. Mais là, mourir de cette manière, c'est un peu trop à mon goût. Ma bouche s'entrouvre alors que je fixe la créature mythique. Le temps est suspendu. Combien de temps cela va durer ? Quand va-t-elle passer à l'action ? Me manger comme le loup et la grand-mère. Mon petit chaperon rouge sauve-moi. Ne tarde plus, je suis en danger...
Après un temps indéterminé, la bête finit par s'avancer vers moi. Je veux fuir. Mais ne peux pas. Mes pieds ne répondent plus à ma demande. De plus en plus.
Dix mètres.
C'est la panique totale, je perds tout le contrôle et des larmes roulent sur mes joues.
Huit mètres.
Je vais mourir ici. Je ne peux pas... Pas si jeune. Six mètres. Oxorion tombe à terre, épuisé et ensanglanté. Je sanglote à chaudes larmes. Je ne vais pas supporter.
— Arrêtez ça tout de suite ! crie-je à plein poumon.
Ma voix reste coincée dans ma gorge. Le vent se lève davantage, des nuages noirs ont rempli le ciel étoilé. La météo prédit les évènements avant qu'ils ne se produisent, c'est connu. À moins, que ce ne soit moi qui ne provoque cela. Ma peur intérieure.
Trois mètres.
Je sens déjà l'odeur pestitentielle de la mort. Car, en effet, la mort n'a pas d'odeur, étant donné que c'est une allégorie, une chose abstraite qui n'est pas vraiment là... mais...
Deux mètres.
C'est alors, au moment où la bête allait me sauter dessus qu'une deuxième ombre apparait. Je ne parviens pas bien à la percevoir, avec le liquide lacrymal qui me brouille la vue. La créature hurle. C'est un son très rauque et strident à la fois. Je me bouche les oreilles, pour ne pas perdre mon sens appelé : l'ouïe.
Un éclair jaillit dans la nuit noire. Des nymphes dansent devant moi. Je crois que je suis en train de délirer. Lorsque j'ouvre les yeux, je vois un cheval cabrer dans la lumière de l'orage. Cela ne dure qu'une fraction de secondes mais pour moi, c'est puissant. Il cabrait si lentement, comme au ralenti, avec pour fond la pluie qui tombe en trombe sur mes frêles épaules. Elles tombent si brusquement que les branches doivent se plier à leur force naturelle. Ou surnaturelle, on ne le sait pas.
Les yeux rouges se déplacent autour. À droite. À gauche, si vite que je n'arrive pas à vraiment les suivre des yeux. La seule chose que j'ai retrouvé, c'est la détermination de mon corps. Je finis par rebouger. Courir. Il le faut. Fuir. Des hurlements secouent la forêt. Je ne m'arrête pas. J'ai les cheveux trempés. Je patauge littéralement dans la boue. Des ruisseaux dans un chemin sombre. À tâton serait le terme approprié. Quelque chose me suit. Ce n'est pas une créature. Ce serait plutôt une aura malveillante. Je tremble de peur. Je me stoppe net avant qu'un éclair blanc ne jaillisse devant moi.
Des sabots se font entendre derrière moi. Je me retourne. Rien. Le fauve saute sur Oxorion. Ces images hantent mes nuits, perturbant mon sommeil, comme des fracas de marteau dans ma tête. Pam Pam Pam Clap Clap. C'est invisible, abstrait, imaginaire et pourtant si présent. Je ne rêve pas. Je ne peux pas rêver. C'est réel.
Tu rêves..., me chuchote une seconde voix, à la tonalité doucereuse et assassine.
Je secoue si violemment la tête que je manque de me provoquer un torticolis. C'est le risque à payer quand tu rentres dans une folie douce. C'est comme rentrer métaphoriquement dans de l'eau glacée. Tu le sens, ton corps se refroidit très rapidement.
Un hennissement.
Mes pieds pivotent si vite sur eux-mêmes que je n'ai le temps de comprendre ce qu'il m'arrive. Ce qui est en train de se passer. Un cheval noir galope en ma direction. Comme au ralenti, sous les grosses gouttes de pluie.
Poétique.
Magique.
Tragique.
L'image ne s'efface pas, apparement.
Il freine. À côté. Puis au fond, des yeux bleus, verts, rouges sang. C'est dérangeant. Je grimpe sur le dos du cheval et il démarre en trombe. Clap Clip. Clap. La fumée disparait petit à petit. Nous sortons de la Forêt Interdite à temps.
Je reprends mon souffle, et descends de l'animal qui m'a sauvé la vie. Mes os sont congelés. Je ne sens plus mes orteils. Mais je suis en vie. Ses deux prunelles. Je suis figée.Ce cheval est le même que celui qui a cabré dans le flash lumineux. Il me regarde en silence. Oxorion... c'est...
—... Toi, soufflé-je.
Silence.
—... En effet.
Sa voix me fait l'effet d'une douche froide et je ne contrôle plus l'émotion qui me submerge à l'instant. C'est lui... c'est Oxorion. Je lui saute au cou, si contente, en pleurant. À ce moment-là, je ne voudrais plus jamais le lâcher. Il est vivant. Il a survécu.
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