๛ 𝙹'𝚊𝚒 𝚛ê𝚟é, 𝚕à? ๛
Mon assiette en face, les yeux rivés sur ma fourchette qui tourne autour de la nourriture, je regarde le temps s'écouler doucement. Les minutes s'égrènent comme des secondes. Je n'ai toujours rien mangé depuis cette horrible nuit. J'ai ramené saine et sauve Maëlys, c'est tout ce qui compte. Le reste, on s'en fiche, non ? Je n'ai même pas osé faire des recherches sur l'étrange créature que j'ai eu la chance d'éviter. Ruben est tranquillement resté chez lui, avec son frère, probablement en train de manger un caribou.
Lorsque je relève la tête, tous les regards sont braqués sur moi. Je me tais, ne sachant quoi dire. Cela ne servirait à rien de toute évidence.
Je décide donc de rester à la maison aujourd'hui. Je suis bien trop fatiguée pour reprendre le risque de me retrouver avec mes pires cauchemars.
Allongée sur le canapé, je regarde un film. Captivée par les images, je n'ai même pas fait gaffe que ma cousine m'avait rejointe. Elle s'assoit à coté de moi.
— Tu regardes quoi ? finit-elle par demander au bout de quelques minutes.
— Avatar, je réponds, sans détourner les yeux de l'écran.
En l'ayant regardé plus d'une fois, je connais les scènes par coeur.
Je soupire en remarquant que ma vie à moi ne ressemble en rien à la leur. Plus compliquée, et moins ennuyante. J'aimerai tellement faire de même. M'enfuir de ce monde pour quelques secondes et vivre dans un conte de fée. La réalité est dure à affronter.
— On ne peut aller dehors plutôt ?
Je mets en pause le film et la regarde droit dans les yeux.
— Avec ce qu'il s'est passé hier ? je fais sérieusement.
Elle détourne légèrement les yeux.
— Bah... qui te dit qu'il va revenir ?
Je me lève du canapé et me dirige dans la cuisine.
— Mon instinct.
— Allez... en plus il faisait nuit.
Je me verse du jus d'orange.
— Maëlys, je suis chargée de ta sécurité ! S'il t'arrivait malheur, on me tuerait !
Même de derrière, je la sens lever les yeux au ciel.
— Bon bah alors, j'abandonne.
Je peux enfin souffler en buvant mon verre. La porte se referme doucement, et peut enfin reprendre un calme olympien. Seul le chant des oiseaux crée une ambiance reposante.
En repensant aux paroles de ma cousine, ça me semble étrange quelle abandonne si facilement. Je la connais bien, elle est têtue.
Mais alors...
C'est pas vrai ! Elle n'a pas osé quand même !
Je sors prestement de la maison et me dirige automatiquement chez eux. Lorsque je pose le pied sur le seuil de la porte, aucun bruit. Je tends l'oreille mais rien.
J'opte alors pour la grange. Non plus. Je me passe la main sur le main en me demandant bien ce que je fous ici.
OK, respire Roxane, tu vas la retrouver, me rassure ma conscience.
J'espère que pour une fois, elle a raison. Je tente une dernière chance et me rends dans la forêt. Plus j'avance, plus j'ai l'impression que les arbres se décalent sur mon chemin. Au loin, je finis par la retrouver en train d'observer le paysage.
— Maëlys, tu m'as fait peur, je lance en haussant la voix.
— Tu vois bien que je ne suis pas allée bien loin, rétorque cette dernière sur un ton désapprobateur.
Je ne l'avais encore jamais vu comme ça.
Je m'assieds à ses côtés en levant moi aussi la tête. Le paysage est quand même magnifique le matin ; l'aurore qui se lève, la lumière entre les arbres et les bruits de la nature.
— Je ne préfère pas que tu restes ici. C'est trop dangereux.
— Et mon père, alors ? Il fait comment les nuits avec son tracteur ? Et pourtant, il est toujours en vie.
Je secoue la tête en pinçant les lèvres.
— Certes... mais...
— Non ! crie-t-elle en se redressant brusquement, le visage fermé, tu n'as pas le droit de m'interdir de me couper du monde extérieur !
Je souffle. Je n'ai eu le temps d'ouvrir la bouche que je ne la vois déjà plus à travers les feuilles.
Bravo. Et maintenant je fais quoi ? La rattraper et lui faire encore une leçon de morale ou la laisser se calmer? J'opte pour la deuxième option, et reste ici. Je continue de rester quelques minutes ainsi dans la rosée du matin puis pars m'enfoncer dans la forêt.
Mes pas craquent sur les feuilles mortes de couleurs orangées, esquive les racines en silence. J'écoute les chuchotis du vent en tentant de ne penser à rien. Je ne sais pas où je vais mais je vais. C'était une mauvaise idée de fermer les yeux car j'ai failli me ramasser le sol. Pour la peine, je m'assois sur un banc.
Comme ça, je ne ferai pas de gaffes. Ce qui est bien, c'est que je n'ai rien pris, ni téléphone ni signaux d'alerte si je me perds malencontreusement au beau milieu de cette forêt automne rouge. Je referme les yeux. Ça me fera du bien.
Je ressens alors les sensations suivantes ; une légère brise dans mes cheveux, un bien-être intérieur et un calme intense.
J'allais à présent décrire les émotions mais des voix parviennent jusqu'à moi, coupant court à ma méditation. Je rouvre les yeux et me concentre sur les voix. Je me retourne, perplexe mais rien. Rien ? J'ai entendue des personnes parler et il n'y a rien ? Non mais sérieusement !
Décidément, je deviens folle. Pour la peine, je vais partir. Non pas que l'ambiance n'y est pas, c'est le froid.
— Non mais t'es bête ou quoi, Rodolphe ? À droite, je t'ai dit !
Intriguée, je passe un regard par dessus mon épaule dans un arbre. Je m'avance doucement et surement prise d'une curiosité sans nom. Elle me jouera des tours celle-là.
— Oh ça va ! Tu ne vas pas t'y mettre non plus !
Je fronce les sourcils, complètement perdue Qui peut bien vivre dans un arbre, avec une taille humaine ?
Sort alors du trou un écureuil qui court de branche en branche. Je le suis des yeux. Il saute vers une branche puis revient dans le trou. Je reste à ma place, sans rien faire. Mes jambes se sont paralysées et ma bouche reste ouverte sans aucun son qui en sort.
Je secoue violemment la tête, en refoulant cette idée. Ce n'est pas possible. Je ne peux pas être capable d'un tel exploit.
Pourtant, les voix dans le tronc persistent :
— Prends cette cacahuète et mets-la là !!!
Une cacahuète ? Une cacahuète ? J'ai bien rêvé ou...?
— T'as qu'a le faire toi-même, si cela ne te plait pas ! Moi, pendant ce temps, je vais faire des rations pour l'hiver. Me geler le pelage, j'ai mieux à faire.
Des écureuils ? J'entends vraiment des écureuils parler entre eux ? Alors, c'est bien réaliste, je ne rêve pas. Je vois celui de tout à l'heure ressortir et se rendant compte de ma présence, se stoppe net, sur ses deux pattes arrières.
— Qu'est-ce que tu regardes, toi ? Me fait-il, avant de repartir en sautant d'arbres en arbres, me laissant perplexe.
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