Prologue

Les confessions (Liv. IV, chap. III)
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J'eus l'occasion de dire à un homme de grand esprit, très habile médecin (Vindicianus), que je me plongeais dans des livres d'horoscopes ; il m'invita avec une bienveillance paternelle à les rejeter, à ne pas gaspiller dans ces chimères du temps et du travail qui permettraient œuvre utile. Lui aussi avait, dans sa jeunesse, cultivé l'astrologie au point d'avoir songé à en faire sa profession. Mais il en avait découvert l'absolue fausseté et n'avait pas voulu gagner sa vie en faisant des dupes.

Je lui demandai alors comment, à partir de telles erreurs, on peut prédire beaucoup de choses vraies. Il répondit qu'à son avis la cause en était le hasard, fort répandu partout dans la nature. Consultez un poème quelconque chantant n'importe quoi dans une intention quelconque : vous y trouverez souvent un vers, au hasard, et sans qu'il y ait lieu de s'étonner, qui réponde à merveille à l'affaire qui vous occupe. De même, il arrive que l'esprit humain en vertu de quelque instinct supérieur et inconscient de ce qui se passe en lui, émette par hasard et non par l'effet d'un art, quelque sentence qui convienne aux faits et gestes du questionneur.

[. . . ]

Mais, à cette époque, ni ce médecin (Vindicianus), ni mon très cher ami Nébridius, qui se moquait de toute cette gent divinatoire, ne purent me persuader d'y renoncer. Ce qui m'impressionnait le plus, c'était l'autorité des auteurs qui en ont écrit; je n'avais pas encore trouvé de preuve évidente qui me fît voir clairement que les réussites des astrologues étaient l'œuvre du hasard, d'une rencontre, et non de l'art d'observer les astres.

Les confessions, Liv. VII, chap. VI
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C'est vous, vous seule, sagesse divine, ..., qui êtes venue à bout de l'entêtement que j'opposais au fin vieillard Vindicianus, Comme à l'adolescent Nébridius, à l'âme merveilleuse. Le premier affirmait avec véhémence, et le second ne cessait de me répéter, toutefois avec moins d'assurance, qu'il n'y a point d'art de prédire l'avenir, que les conjectures ont souvent l'appui du hasard, qu'à force de parler on finit bien par dire quelque vérité; il suffit de ne pas se taire pour tomber juste en quelque point.

C'est donc vous qui m'avez donné un ami, Firminus, qui connaissait mal l'astrologie mais aimait à consulter les astrologues, malgré certaine aventure dont son père lui avait parlé et qui était propre à ruiner sa croyance en l'astrologie...

Firminus tenait de son père l'anecdole suivante.
Au moment où la mère de Firminus le portait en elle, la servante d'un ami de la famille se trouvait grosse, elle aussi... Or il advint qu'elles accouchèrent toutes deux au même instant, de sorte qu'on dut tirer le même horoscope, jusque dans les moindres détails, et pour Firminus, et pour le petit esclave...

Et pourtant Firminus, fils de grande famille, courait les routes brillantes du siècle, voyait s'accroitre ses richesses, s'élevait aux plus hautes charges, tandis que l'esclave, sous un joug sans relâche, servait toujours ses maîtres.,.
Mes résistances fléchirent, puis tombèrent: je conclus que les horoscopes vrais procèdent du hasard et non d'un art, et que les horoscopes faux ne sont pas dus à l'ignorance d'un art mais à un mensonge du hasard.

Sorti de l'ornière, je ruminais des répliques à l'objection que pourrait me faire tel de ces fous qui pratiquent pareil métier et que désormais j'entendais attaquer: le récit de Firminus était-il sûr?
C'est alors que je réfléchis aux enfants qui naissent jumeaux. Le plus souvent, ils se suivent de si près que l'intervalle de leurs naissances, quelque importance qu'on prétende lui attribuer, est inappréciable et ne saurait se traduire par une différence dans les signes, sur lesquels l'astrologue fonde un horoscope vrai.

Ainsi l'astrologue aurait du prédire le même sort à Esaü et à Jacob, qui eurent des aventures bien dissemblables. Pour que ses prédictions fussent vraies, elles auraient du différer en dépit de l'identité des horoscopes. Il n'y a donc point d'art divinatoire. C'est par hasard, qu'on prédit vrai.

Saint Augustin d'Hippone

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