La silence
Je suis une femme: le sexe fort.
Il y a quatre-vingt ans de ça, deux chercheuses américaines ont mis au point, dans le plus grand secret, « la machine » permettant aux femmes de procréer sans avoir besoin d'un homme. Hailee et Barbara Stainfeild sont ainsi rentrées dans l'histoire. Elles ignoraient alors qu'elles allaient révolutionner la société comme jamais auparavant.
Cette machine a mis fin aux longues années de soumission des femmes. Suite à cette invention, les présidentes, les reines, les impératrices, et les premières dames ont conclu l'accord qui a changé la face du monde pour toujours. Elles ont assassiné tous les dirigeants masculins du monde et ont instauré un règne de la terreur. Une immense purge a alors commencé et les hommes ont été envoyé dans des camps, puis systématiquement tués, jusqu'à qu'il n'en existe plus.
Depuis 2153, la planète Terre ne compte plus un seul homme en son sein. Tout a été rénové afin de devenir à l'image de la femme, y comprit la langue où le masculin a totalement disparu. Désormais un groupe de six femmes dirige le monde. Et toutes celles qui s'opposent à leur régime sont envoyées dans un centre de rééducation.
Aujourd'hui j'ai vingt ans, et comme toutes les femmes avant moi, je vais passer par « la machine » pour la première et dernière fois de ma vie. Il nous est interdit d'avoir plusieurs enfants.
On toque à la porte de chez moi et je me fais emmener à « la machine » par deux grandes femmes rousses. Tout le long du trajet, nous n'échangeons pas un mot. Je me sens nerveuse, je me demande comment ça va se passer. J'arrive à l'intérieur du bâtiment, il est blanc et froid. Une petite femme noire avec de longues tresses vêtue d'une blouse blanche m'accueille. Elle regarde la feuille qu'elle tient dans ses mains et se met en marche vers une salle. Je la suis, toujours sans discuter. Je pénètre dans une immense salle où se trouve une machine qui prend plus de la moitié de la pièce. J'entends des cries d'effrois qui semblent venir de l'intérieur. Je me retourne pour regarder la scientifique. Elle a disparue. J'ai soudain un sentiment de panique qui s'abat sur moi. Les deux rousses de tout à l'heure me saisissent par les bras et m'emmènent de force dans « la machine ».
Il fait si froid que j'ai l'impression que mon corps est en train de se congeler. Il fait aussi très sombre, mais j'arrive à percevoir que je ne suis pas seule à l'intérieur. Une main se pose soudainement sur mon dos ce qui me fait crier. En me retournant, j'aperçois deux grands yeux bleus. Effrayée, je commence à courir pour échapper à cette femme qui me poursuit dans le noir. Elle me rattrape et me fait m'assoir. Lorsque je suis maîtrisée par elle, je sens des pièces de métal me retenir de bouger. Une main se pose à nouveau sur mon épaule, puis je sens un rayon de chaleur s'abattre d'abord sur mon crâne, puis descendre doucement, jusqu'à s'arrêter sur mon ventre. La chaleur me brûle presque le bas du ventre, tandis que j'entends au loin des voix. Étrangement, ces voix-là ne ressemblent à aucune que j'aurai pu entendre avant. Elles sont graves.
Une lumière aveuglante apparaît d'un coup. Quand mes yeux se réouvrent, j'aperçois quelque chose qui me fait hurler d'effroi. Effectivement, je vois pour la première fois quelque chose que jusqu'à présent je n'avais vu qu'en photo: un homme. Mais avant que je puisse dire quoique ce soit, une aiguille s'enfonce dans mon cou et je m'endors immédiatement ensuite.
Je me réveille chez moi, ayant totalement oublié tout ce qui m'est arrivée. La seule chose dont je me souviens c'est d'être allée à « la machine ». Je vais donc à la pharmacie chercher un test de grossesse et découvre, ravie, que cela a bien fonctionné.
Durant mes neufs mois de grossesse, je suis entourée par mes voisines qui sont toutes passées par là. Elles me racontent à quel point donner naissance est une joie et à quelle point être une mère va changer ma vie. Plus les mois passent et plus j'ai hâte que ma fille arrive. Je l'aime déjà.
Un jour, en me levant, j'ai une terrible douleur dans le bas du ventre. Je découvre que je viens de perdre les eaux. J'appelle alors les autorités compétentes: celles qui s'occupent des femmes qui vont accoucher. Une voiture arrive dans la demi-heure pour venir me chercher. Lors de mon arrivée à l'hôpital, je suis mise sur un fauteuil roulant et emmenée dans une salle de travail. J'attends des heures. Finalement une doctoresse et une sage-femme arrivent et m'annoncent qu'il va falloir pousser. Au bout de quelques minutes j'entends les cris de ma fille. Je pleure de joie. Mais les deux femmes dans la pièce n'ont pas l'air aussi heureuse que moi. Je demande si ma fille va bien et si je peux la voir. La doctoresse sort de la pièce tandis que la sage-femme s'approche d'un pas lent de moi, ma fille dans ses bras. Elle m'explique que je ne pourrai pas voir mon bébé. Je lui demande pourquoi et si elle va bien, n'ayant pas eu la réponse à ma question la première fois. Embêtée, elle me regarde finalement droit dans les yeux pour me dire que mon bébé va mourir. Je me mets à pleurer en demandant des explications. La sage-femme me murmure que c'est un garçon. Elle tente de me raisonner en me disant que l'on y peut rien, que les garçons sont des erreurs de la nature et qu'elle est sûre que si je le souhaite je pourrai retourner à « la machine » pour avoir une fille, cette fois-ci. Je lui rétorque que non, que je veux garder mon garçon, que je ne veux pas d'autres enfants, que c'est ce bébé que j'aime, peu importe ce qu'il est. Une force incroyable me monte alors. Je me lève, prend mon fils de ses bras et m'enfuie. Les doctoresses, infirmières et autres personnes de l'hôpital tentent de me retenir, en vain. Je ne veux pas que mon fils meurt. Je ferai tout pour épargner sa vie.
Alors que je me pense tirer d'affaire, une voiture s'arrête devant moi et je me fais embarquer de force. Je serre mon fils si fort contre moi que j'ai peur de l'étouffer. Je l'aime, je ne laisserai personne lui faire du mal. Je l'embrasse en sachant que je risque sûrement d'être punie pour avoir voulu le sauver de la mort. La voiture s'arrête et on me vole mon fils. Je hurle pour qu'on me le rende, mais rien y fait. Ma chauffeuse m'annonce que mon fils partira sans moi. Les portières se referment avant même que je puisse reprendre mon bébé. La voiture se remet en marche.
J'ignore ma destination, mais j'imagine que je vais devoir aller en camp de rééducation. Durant le trajet, ma chauffeuse rompt le silence. Elle me dévoile alors tout. Elle me parle de « la machine », m'explique que tous les garçons qui naissent sont pris à leur mère et emmenés à « la machine » pour servir de cobayes ou de procréateurs. Elle me révèle alors mon sort: je vais être enfermée, bourrée de cachets pour oublier ce que l'on m'a fait, et tuée si je ne coopère pas assez. Lorsqu'elle me dit ça, elle arrête la voiture. Je lui demande ce qui se passe. Elle se retourne et je me rends compte que je connais son visage. Il s'agit de la scientifique qui m'a conduise dans « la machine », neuf mois plus tôt. Je me souviens alors de tout ce que j'y ai vécu. Elle lit dans mes yeux que je me rappelle désormais de tout, et me sourit sadiquement. Elle sort de sa poche un pistolet qu'elle pointe sur moi. Je me mets à hurler, tandis qu'elle pose une de ses mains sur ma bouche, avant de rapprocher le pistolet de ma tempe. Elle me chuchote alors à l'oreille:
-Tout se passera bien si tu gardes « la » silence...
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