Les Alpes, paysages magnifiques lorsque la pluie ne limite pas autant la visibilité. En ce jour Sev roule doucement. A la frontière franco-italienne, l'envie de s'arrêter la prend subitement. Elle se gare sur l'esplanade, un grand parking en altitude avec un baraquement où l'on vend quelques produits italiens notamment et des alcools moins taxés.

La pluie coule sur les vitres de sa voiture, Sev ferme les yeux, soupire profondément, coupe le moteur et sort de l'habitacle. L'eau dégouline bientôt sur son visage et plaque ses cheveux blonds sur son front. L'averse froide, lourde et agressive la saisit. La violence de ces précipitations la brusque. Elle voudrait pleurer mais à quoi bon, personne ne verrait ses larmes et ses joues ruissellent déjà. Ses lèvres sont prises d'un tremblement. Elle a froid, elle se hait, elle se haïssait plutôt. Elle va enfin pouvoir s'aimer, regarder en son sein sans dégoût et revoir son enfant. Le passage de frontière entre ses deux existences est violent. De son estomac à sa bouche monte un cri rageur, elle pose les mains sur sa poitrine comme pour le contenir. La jolie femme blonde accablée par la pluie battante gémit. Elle a mal, bien trop mal.

Sev se met à éructer un cri nauséabond. Un son grave, monstrueux, un simple aperçu de la putrescence accumulée au fil de ces années de survie. Inconsciemment elle hurle en direction de la France. En un mouvement qui accompagne l'expulsion sonore son corps se tourne vers l'Italie, et au-delà, la Slovénie. La jeune femme se déchire, ses cordes vocales aussi. Elle tombe à genoux et se met à vomir, un fin fil d'acide fielleux qui révulse son estomac et brûle sa gorge.

La fille venue de l'Est a le souffle court. Elle passe sa main dans ses cheveux. L'ex-prostituée se relève.

Dans la voiture au sec, elle se débarrasse de ses vêtements trempés, protégeant d'une serviette en éponge sa nudité, nouvellement pudique.