La première passe ne s'avéra pas la plus dure : ce soir-là elle choisit un beau gars dont elle aurait pu tomber amoureuse s'il ne l'avait matée pour se la payer.

Les plus moches, et Sev en vomissait après, étaient celles des fins de mois difficiles ou celles des rages de dents. Après avoir pu payer la caution de son appartement la slovène provisionnait en vue d'aller voir un dentiste ou payer le pharmacien si la femme de celui-ci ne partait pas en voyage familial. Dans ces cas-là elle acceptait n'importe quoi, n'importe qui, pour pas grand chose et ces compromis dégueulasses la rendaient malade. Même son gant de crin ne parvenait pas à desquamer ce vice collé sur chacune des parcelles de sa peau lors de ces mauvaises passes.

Pour se soulager la prostituée aurait pu bouffer Cathia la pute traîtresse. Sev concentra pendant des années une haine féroce sur l'image et la personne de la fausse-sœur. Cette échappatoire lui permit finalement de ne pas porter seule le fardeau de sa situation. Jamais la jeune slovène ne se départit de son espoir en la vie et en de meilleurs moments.

Sur la route, au fil des kilomètres, les souvenirs les plus terribles s'estompent. Parallèlement, un sentiment morbide grandit en elle. Sev veut mourir. Elle voudrait une mort non définitive, juste renaître. Le sentiment de s'arracher à une partie de son existence l'habite, changer de vie, changer de peau, d'univers, de connaissances. La jeune femme pourrait considérer son parcours comme initiatique : revenir à la source de son existence, également retourner à l'origine d'un problème résolu. Elle voit son avenir bien différemment du moment où elle avait quitté sa ville natale. Aujourd'hui en arrivant à Ljubljana elle pourra vendre sa voiture afin de compléter ses économies et ce pécule devrait lui permettre d'ouvrir un petit commerce. Cette femme encore jolie imagine déjà un magasin de vêtements arrangé à son goût. Sev a toujours regardé vers le haut, une volonté déterminée, souvent malmenée mais intacte sur le chemin du retour.