Chapitre 3.1. : La circulation karstique des plaines
Dans l'épisode précédent... Kathleen et Lee se lient d'amitié alors que les mois passent, malgré les absences répétées et inexpliquées du jeune garçon. Si celles-ci ne durent pas plus d'une journée, tout bascule lorsqu'il disparaît pendant une semaine.
༄
Si ma voix tremble à l'évocation de l'absence prolongée et inattendue de mon camarade, je ne promets pas d'en retenir les vrillements d'excitation nostalgique alors que je m'approche délicieusement de notre première grande aventure. À Alamo, nous n'avions en fait pas été des explorateurs ; nous avions été des soldats. Nous n'avions pas été mus par un besoin impérieux de découvrir le monde ; nous avions obéi par devoir. Quant à nos brèves escapades par-delà la barrière du fond du verger, elles n'auraient en rien pu nous préparer à ce que nous réserva cette belle journée de printemps.
Cette fois-ci, nous affronterions les caprices de la terre et tandis que je jouerais innocemment dans les traces laissées par mon père, Lee déblaiera les premières pierres au milieu de son chemin.
— Hé, salut, Kat !
Ce n'était peut-être pas « salut » que me lança Lee Scoresby lorsqu'il réapparut après une semaine mortifère d'absence. C'était peut-être un « bonjour », un « coucou », un « heyo », ou même juste un sourire. Ce qu'il me reste de ce retour sur scène magistral, c'est surtout la blessure à vif que m'avait infligée sa disparition, et plus encore la trahison de ces retrouvailles trop ordinaires. Il n'y eut pas un mot d'excuse : il m'abandonna à l'inexplicable.
J'aurais voulu rire, crier, sauter et entraîner tous mes camarades dans une gigantesque course-poursuite qui aurait laissé nos professeurs muets de stupeur.
Je ne répondis rien.
— Hé, Kat, t'es pas sentie saule sans moi ? Seule, saule, tu as compris ?
Si Lee avait su à quel point je m'étais effectivement sentie seule, saule et même pleureuse sans lui, il n'aurait sûrement pas posé la question. J'avais sombré dans ces sept jours comme dans un tunnel interminable – je ne voyais ni la lumière gorgée d'espoir qui annonce le bout du chemin, ni celle rassurante qui annonce que l'on peut faire marche arrière. Sa première journée d'absence ne m'avait pas inquiétée : après tout, cela faisait longtemps qu'il ne s'était pas absenté. En revanche, le lendemain, lorsque je ne vis pas mon meilleur ami se pointer à la porte de la classe des garçons, mon univers commença à s'effriter. Chaque nouvelle journée entraînait davantage dans l'abîme mes chances de le retrouver : s'il n'était pas revenu au bout de deux jours, pourquoi reviendrait-il au bout de trois ? De quatre ? J'en étais réduite aux mathématiques du désespoir et envisageai même un instant de laisser tomber mon enthousiasme scolaire tout neuf. Mais l'école demeurait le seul endroit où je guetterais le plus efficacement son retour, alors je continuais, chaque matin, de revêtir la charmante blouse de l'élève modèle, Geronimo gardait son apparence de raton laveur comme le gentil dæmon bien docile qu'il était. Au fond, il ne demandait qu'à rester rat-taupe nu blotti contre moi, devant la barrière au fond du verger jusqu'à la fin des temps.
L'Autorité avait mis sept jours pour créer le monde ; il lui en fallut presque autant pour détruire le mien.
J'aurais dû me retourner, profiter de l'occasion, assurer Lee dans une boutade que je ne m'étais jamais aussi bien portée sans lui et que je le mettais au défi de survivre une semaine sans moi pour l'empêcher de faire des bêtises.
Je lui tournai toujours opiniâtrement le dos.
— Dis, Kat, tu sais quel est le comble pour une poire ? De tomber dans les pommes. Avoue, tu es peuplier de rire !
Le seul rire qui aurait pu s'échapper de mes lèvres si je ne l'avais retenu in extremis aurait été bien jaune.
Le comble pour Lee avait surtout été de revenir pour l'événement que nous attendions tous depuis qu'elle nous avait été annoncée au sortir de l'hiver : la sortie scolaire. Il y avait aventure plus exaltante, mais à nos yeux d'enfant, une telle entreprise relevait de l'expédition. Pendant une journée, nous ferions cours hors des quatre murs qui nous accueillaient d'ordinaire et plus encore, filles et garçons seraient mélangés. Nos professeurs respectifs nous avaient donc rappelés, la veille au soir, de prévoir un sac bien solide, de fidèles chaussures de marche et surtout une bonne nuit de sommeil pour nous préparer à l'exercice. Or, au fond de mon lit, malgré les encouragements de mon grand-père, les conseils de ma grand-mère et les épiques formules d'Harrelson, je n'arrivais pas à fermer l'œil.
Comment partir à l'aventure sans mon coéquipier ? Comment lui raconter cette fabuleuse histoire le jour où il reviendra ? Serait-ce le trahir, de réaliser notre rêve sans l'attendre ? Ne serait-ce pas autant me trahir, de me priver d'une telle occasion de marcher dans les pas du professeur Andreas Honermann ? Niché dans mes bras, mon Geronimo chéri m'avait alors soufflé tout haut la réponse à laquelle je pensais tout bas.
Jusqu'à ce jour d'été, nous avions rêvé l'aventure tous seuls, tous les deux, selon les confidences intimes d'un humain et de son dæmon. Sans oser formuler cette éventualité à voix haute, Lee et moi pourrions nous séparer un jour – Geronimo resterait mon Geronimo pour l'éternité et alors même qu'il n'est plus à côté de moi et qu'il ne le sera jamais plus, si je m'arrête dans mon récit, si je tends le cœur comme on tend l'oreille, j'entends encore sa voix battre en moi.
C'était donc avec ma belette enroulée autour de ma besace et mon éternel foulard d'aventurière que je m'étais rangée selon les ordres de notre institutrice. Et c'était le dos bien droit, toute concentrée sur nos consignes du jour, que j'avais suivi la file indienne d'écoliers sur la route jusqu'à l'orée de la forêt. La consigne avait cependant douché tout mon enthousiasme : pour moi qui avais été éveillée aux charmes des minéraux et avais rêvé aux pierres précieuses, rassembler des bouts de végétaux pour les clouer à des cartons ne constituait pas une activité trépidante. Le seul herbier de valeur trônait au fond de ma bibliothèque, entre deux pages de roman d'aventures abîmées par les pétales d'un bluebonnet.
Très vite, la majorité de nos camarades avaient organisé leurs recherches par petits groupes, dans le rayon d'autonomie qui nous avait été accordé. Entre la majesté des troncs, l'ombre des cimes et les bruissements de l'humus, on aurait presque pu croire être libre. Geronimo et moi, nous demeurions obstinément à l'écart de nos camarades. Même Alexis et Annabeth avaient renoncé à essayer de nous rallier à leur équipage : ils nous tournaient autour sans tout à fait s'éloigner, comme si nous étions deux mercenaires trop dangereux pour entamer une négociation, mais trop précieux pour abandonner à la nature. Nous n'étions pas les seuls solitaires dans cette aventure botaniste : Lee, lui, me suivait comme mon ombre ; il n'a jamais cessé de l'être.
Nous étions pourtant si vexés que même Geronimo, d'ordinaire toujours le premier pour aller se fourrer aux côtés d'Hester et nous taquiner de telle sorte que nous ne savions plus très bien qui était le dæmon de qui, refusa toute concession à sa camarade.
Et puis, Lee lâcha une bombe :
— Kat, je vais m'enfuir.
Face à l'absurdité de cette déclaration, je ne pus cette fois-ci me retenir :
— Quoi ?
— Je savais bien que ça allait te faire réagir. Pourquoi tu ne me répondais pas ?
— Et toi, pourquoi tu n'es pas venu ? rétorquai-je aussitôt, dans un tel mélange d'amertume et de tristesse que ma voix vrilla un bref instant.
— Si j'aurais pu, je serais venu.
— Si tu pouvais parler correctement, surtout, idiot, elle te répondrait peut-être plus vite, commenta Hester, adorable tatou.
À voir qu'elle n'avait rien perdu de son sens de la répartie, un poids s'ôta d'un coup de ma poitrine : si un dæmon allait bien, il y avait de fortes chances pour que son humain ne soit pas traumatisé non plus. La fourrure chaude de mon raton laveur préféré me chatouilla les mollets et à l'éclat que Geronimo prit soudain, je sus qu'il était tout aussi content que moi de retrouver son acolyte.
Je ne pouvais cependant pas me laisser aller au sentimentalisme. Mon herbier appelait mon attention la plus totale, si je voulais obtenir la meilleure note de la classe et faire honneur à mes gènes d'Érudite. Je me souviens encore de l'allure que je voulais me donner, des airs d'universitaire effarée par la bêtise de ses confrères – ces airs que je reproduirais plus tard, mais sans l'innocence adorable qui les excusait alors ; j'ai à peine à me forcer pour froncer les sourcils avec mépris, placer mes mains sur mes hanches avec une mine outrée et jeter un regard désabusé sur la maigre récolte de mon camarade.
Lui n'avait qu'une feuille de charme.
J'en cherchai désespérément une.
J'aimerais, moralement, pouvoir me détester pour le calcul malicieux que j'effectuai en silence. Je n'arrive qu'à me détester de n'avoir pas su le refaire aux moments qui ont vraiment compté.
— Et où ça ?
— Où quoi ?
— Où on s'enfuit ?
— Pardi ! compléta Geronimo.
C'était son expression du moment.
— Parce que tu t'enfuis avec moi ?
— Parce que tu t'enfuirais sans elle ? railla Hester.
— Tu tiendrais pas deux minutes sans nous, fanfaronnai-je.
Je n'avais pas vraiment tort ; lorsque je le quitterais, je le retrouverais dans un autre monde, mourant, engagés tous deux dans une guerre dont nous n'avions été que les pions.
— Tu supporterais pas non plus de m'abandonner là.
Il n'avait pas vraiment tort ; lorsqu'il me quitterait pour la première fois, il me retrouverait de l'autre côté de l'océan, crépuscule de celle qu'il avait laissée, pris tous deux entre des feux que nous ne pouvions contrôler.
— D'accord, d'accord ! Je ne pensais pas que ça serait aussi facile de te convaincre.
— Nous non plus, laissa échapper Geronimo.
Je me rattrapai à ce qu'il me restait de dignité.
— Tu m'as pas convaincue. Tu m'as décidée à t'écouter. Où on va, comment et pourquoi, je te laisse trente secondes. Trente...
— Quoi ?
— Vingt-neuf...
— Kat, tu abuses.
— Dit celui qui m'a abandonnée pendant une semaine. Vingt-huit...
— Parce que tu crois que j'aurais préféré...
— Lee, le mit en garde Hester.
— Hester ? l'interrogea Geronimo.
— Geronimo ? m'étonnai-je.
— Kat ? compléta Lee.
La boucle était bouclée avant même que nous comprîmes pourquoi elle avait commencé. Nous échangeâmes un regard de merlans frits, et j'ignore encore lequel de nous deux était le plus confus. Puis, aussi régulière que la danse mécanique d'un rouage, je repris mon lent décompte :
— Vingt-sept...
— Kat, tu es sérieuse ?
— On ne peut plus ! rétorquai-je, rayonnante pour mieux le dépiter. Vingt-six...
J'aurais pu vous égrener toute la suite arithmétique si Lee n'avait été plus borné, et surtout plus retors que moi. Je devais en arriver à mi-chemin interrompue par les exclamations, les contestations, les protestations et les grimaces de mon ami, qui commençaient à attirer gravement les regards de nos camarades sur nos conciliabules, lorsque je l'observai d'un œil suspicieux sortir un petit objet de sa poche. Il l'avait à peine soumis son éclat doré aux rayons du soleil qui perçaient sous la cime que je plaquai ma main sur la sienne pour le forcer à le rengainer.
Ce n'était pas une arme.
C'était pire que cela.
C'était notre honneur et notre amitié.
— Lee Scoresby, escroc de tous les escrocs, range ça tout de suite !
— Pardi !
Exhiber notre boussole à la vue de tous nous mettait en grave danger : nous aurions pu être accusés de vol, d'escroquerie ou pire, de trahison. Je refusai de croire que Lee pouvait se placer, nous placer, dans une situation aussi délicate. Un regard en coin de nos camarades, et nous étions tous les deux morts. Une envie violente de l'étriper me monta à la gorge, face au clin d'œil victorieux qu'il me lança, à un tel point que je sentis même le poil de Geronimo se hérisser contre mes jambes. Son ultimatum ne me calma pas le moins du monde :
— Alors arrête de compter.
Il n'y avait que deux personnes au monde qui pouvaient me donner des ordres et me faire obtempérer dans la seconde : Andreas Honermann et Lee Scoresby.
J'arrêtai de compter.
Les ennuis, eux, ne faisaient que commencer.
Ma capitulation acquise, Lee s'empressa de replonger notre boussole dans l'obscurité qu'elle n'aurait jamais dû quitter. Et malheureusement, dans la précipitation, sa main râpa un peu trop contre sa veste, le cadran buta dans le fond de sa poche et la chaîne dorée s'échappa de son abri de fortune. Lee avait eu beau rassembler les chaînons aussitôt pour essayer de les fourrer au creux du tissu, l'éclat doré de notre trésor nous trahit – ce fut la seconde tragique tant de fois poétisée par Clyde D. Harrelson, la seconde où la main du compagnon se referme sur le vide, la seconde où le héros chute de la falaise, la seconde où l'unique maladresse du soldat ne pardonne pas. Mon geste et mes murmures empressés pour empêcher le flagrant délit ne firent que projeter un surcroît d'attention sur nos combines déjà trop magouilleuses pour rester invisibles.
C'était le lieu parfait pour une histoire de revanche et de duel.
— Hé, c'est notre boussole !
Mes quelques interactions et mon commandement partagé avec lui pendant de brèves secondes ne m'avaient pas renseignée sur la nature diplomatique d'Alexis. Mes premiers pressentiments ne se trompèrent pas. D'un geste commun dans une horreur toute partagée – l'horreur des bandits pris sur le fait –, nous fîmes volte-face. Face à nous, le lieutenant d'hier s'avançait avec le triomphe du justicier et la fureur du collaborateur trahi. Il ne m'en fallut pas plus pour pâlir et frôler la syncope. Je me souviens encore du séisme silencieux du sol qui s'ouvrit sous mes pieds pour m'engloutir tout entière, et pourtant de la faible lumière que je voyais entre les falaises de nos fautes : cette lumière, c'était la fuite.
Désemparée, j'en ravalai d'un coup toute ma fierté et interrogeai Lee du regard. J'aurais donné n'importe quoi pour remonter dans le temps, changer d'avis, décider qu'il fallait mieux briller un peu moins mais plus sûrement et remettre la boussole à l'endroit qu'elle n'aurait jamais dû quitter, à savoir notre magot commun. Le pire, ce n'est peut-être pas de subir la trahison. Le pire, c'est peut-être de la commettre et d'avoir encore assez de conscience pour regarder tous les dégâts que nous avons causés.
— Dès que je te dis, cours, me murmura-t-il avant même que je ne formule ma question muette.
Je n'osai même pas secouer la tête discrètement pour le dissuader comme le font parfois les acolytes dans les livres. La honte me muselait tout net. Comment rester l'héroïne droite et fidèle que je m'étais rêvée alors que j'apparaissais tout à coup comme la plus vile des criminelles ? Je n'ai jamais vraiment résolu cette contradiction.
— Vous l'avez trouvée où ? s'exclama Alexis, hors de lui.
Il nous rejoignit au pas de course et s'autorisa une pirouette, comme pour mieux nous intimider. Son dæmon-renard ne montra pas plus de sympathie et n'hésita pas à sortir les crocs : un pincement au cœur m'avertit que Geronimo venait, à nouveau, de changer de forme pour mieux se défendre. Un geste trop brusque de notre part et il en faudrait peu pour que nos dæmons en viennent aux griffes – et nous, dans le même coup, aux mains. Instinctivement, je fis un pas vers Lee ; instinctivement, lui fit un pas en avant. On aurait dit des pièces d'échecs prêtes à s'aligner avant l'échec et mat.
Face à notre mutisme – pas le mutisme héroïque de celui qui refuse de trahir, mais le mutisme hésitant de celui qui s'apprête à prendre la parole –, Alexis ne tarda pas à dégainer l'accusation fatale :
— Vous l'avez volée ! hurla-t-il.
Et Lee ne put s'empêcher de répliquer avec toute la véhémence et l'indignation de celui qui n'a plus que le mensonge pour se défendre :
— Même pas vrai !
Le temps jouait contre nous : à corps et à cris, notre camarade réussirait bien à attirer l'attention de nos camarades, à récupérer la supériorité numérique, et surtout à nous enfermer, punis, derrière les quatre murs d'une salle de classe pour avoir osé troubler le calme de la sortie. Les options se réduisaient de seconde en seconde et du haut de mes douze ans, je pense que je comprenais déjà les enjeux de cette confrontation : c'était ou la fuite et le déshonneur, mais l'aventure dans toute sa splendeur, ou le courage et la vérité, mais les conséquences à assumer.
— On l'a empruntée, concédai-je.
Ce serait finalement le compromis et la compromission.
Alexis refusa tout net :
— Et à qui vous avez demandé ? Vous trichez !
— On triche de quoi ? On joue même pas et c'est qu'une boussole !
Lee mentait : on n'arrêterait jamais vraiment de jouer, et c'était terriblement plus qu'une boussole.
— Mais c'est pas que la boussole, c'est à chaque fois ! La première fois, on a rien dit parce qu'on a gagné, mais c'était de la triche.
— Comment on peut tricher si on fixe même pas des règles de jeu ?
— Tu fais bien de parler de « jeu », tiens ! Vous jouez tout le temps tous les deux, jamais contre, et quand vous êtes ensemble, on peut pas gagner. C'est pas juste !
— Et qui c'est qui fait les équipes à chaque fois ?
Mes yeux ricochaient contre les deux adversaires, tandis que je n'arrivais qu'à rester pétrifiée, entre les deux parties contradictoires de moi-même : l'Érudite bien sage et dévouée, contre l'exploratrice passionnée et intrépide. Aurais-je dû intervenir ? Aurais-je dû arbitrer, rester neutre ? Aurais-je seulement pu trahir, interrompre Lee dans sa croisade contre l'injustice ? Malgré toute la confiance que je plaçais en mon camarade de jeu, je doutais de sa capacité à m'avertir au bon moment : le connaissant, il prendrait la poudre d'escampette avant de s'apercevoir qu'il m'avait laissée derrière lui.
— Si vous me rendez pas la boussole maintenant, je vais aller le dire à tout le monde, et vous allez le regretter. Ça peut pas continuer comme ça.
— Et si on te la rend, il va se passer quoi ? C'est pas toi, le chef !
— C'est pas toi non plus !
Le ton montait crescendo entre les deux garçons : si je savais que le tempérament de feu de Lee le portait à ces éclats de voix, je doutais en revanche des raisons qui poussait Alexis, d'ordinaire si posé, à sortir de ces gonds de cette façon. S'ils se répandirent encore en invectives pendant longtemps, je ne m'en souviens pas ; je ne me souviens que de mon envie de me cacher dans un trou de souris.
— Kathleen ?
En revanche, je me souviens encore d'une voix amicale qui m'interpellait au milieu du chaos de la dispute et des boucles blondes que j'avais trahies sans aucune arrière-pensée. Une surprise sincèrement déçue se peignit sur le visage de celle qui m'avait accompagnée dans ce nouveau monde qu'était pour moi une salle d'école de filles. Je compris alors le but de la comédie dramatique que m'avait semblé jouer Alexis : il savait qu'il ne remporterait pas cette bataille par l'ingéniosité de ses arguments et remportait ses chances sur l'argument du nombre. Bientôt, ce serait Lee et moi contre la ligue de nos camarades. Les accusations assassines que nous lança le blondinet confirmèrent aussitôt mes soupçons et glacèrent mon sang dans mes veines – la honte me figeait à petit feu et bientôt, je ne serai plus en mesure d'agir.
— Annabeth, ils ont volé notre boussole ! Dis-lui, qu'on les supporte plus et que ça va finir mal s'ils n'écoutent pas.
— Kathleen, écoute, s'il te plaît...
Et dans le même temps, le signal d'alarme :
— Kat, cours !
Je lâchai les yeux implorants d'Annabeth pour m'accrocher à ceux remplis d'espoir de Lee. Avec ou sans moi, il partirait. Si je ne le suivais pas, je le regretterais pendant des jours et des semaines, peut-être même pendant toute ma vie. Je ne le sais pas, aujourd'hui encore malgré le recul, puisqu'à l'instant où ses pieds décollèrent du sol, ma décision fut prise.
C'était la fuite.
Mais c'était aussi l'aventure.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top