CHAPITRE TROIS : La pluie ruisselle rouge dans la ville déserte de Shiruku...
Tout était absolument silencieux. Les pas des deux jeunes femmes résonnaient sur les pavés. La pluie tombait, lavant le sang qui maculait les pavés. L'eau écarlate ruisselait entre leurs pieds. Elles regardaient autour d'elles avec une fascination mêlée de pitié.
— Les habitants sont partis se recueillir dans la montagne et tous les étrangers ont quitté la ville, dit celle aux cheveux longs. Je ne pense pas que l'on trouve des informations sur l'endroit où se trouve la princesse ici.
— Cela ne fait que quatre jours depuis le massacre, rétorqua celle aux cheveux courts et noirs. Connaissant la princesse, elle doit être restée dans les parages pour découvrir ce qu'il s'est passé. Même si la ville de Shiruku échappe au contrôle des cinq autres Tribus, ses habitants restent des sujets du royaume.
— Tu as raison, Ayura, lui accorda l'autre, elle ne s'en irait pas alors qu'il y a eu des morts. Sa Majesté le sait aussi.
Les deux jeunes femmes sentirent une présence derrière elles. Quand elles se retournèrent, il n'y avait personne.
— Ne nous attardons pas, Tetora, murmura Ayura. Les esprits des massacrés doivent encore arpenter les rues en quête de vengeance. Nous devons trouver la princesse avant la Tribu du Ciel et lui remettre la lettre de Demoiselle Lili.
*
— Cet endroit me fait froid dans le dos, dit Ki-Jae en laissant tomber ses vêtements mouillés sur le sol.
— Nous sommes assez proches de la frontière pour que vos pouvoirs et vos systèmes immunitaires soient affaiblis, lui répondit Yeon. Passer la nuit sous une telle pluie vous aurait rendu malades.
— J'ai l'impression d'être observé en permanence... soupira Ki-Jae.
— Ne t'inquiète pas, Serpent Blanc, lui lança Hak, ce n'est que moi. Je trouve cela très distrayant de te voir avoir peur.
— C'est la première fois que je trouve triste le spectacle d'une ville sous la pluie, dit Jae-Ha en regardant à travers la fenêtre. Je m'inquiète pour Sa-Rang... Cela ne fait que quelques jours depuis qu'elle a vu mourir ses proches dans cette ville.
— La princesse est avec elle, dit Hak. Elle connait mieux que personne ce que cela fait de voir une personne que l'on aime mourir sous ses yeux...
*
Yona et Sa-Rang s'étaient glissées dans l'eau chaude et se faisaient face, en silence. Yona ne pouvait qu'admirer le beau visage calme de la jeune femme. Elle avait fermé les yeux et il se dégageait d'elle une tranquillité surnaturelle. Chaque fois qu'elle s'approchait de Sa-Rang, Yona avait l'impression d'être immergée dans un monde qui n'était pas le sien. Sa-Rang avait, comme Zeno, une apparence très jeune. Au premier coup d'œil, on lui donnerait seize ou dix-sept ans, tout au plus. Mais de manière bien plus flagrante qu'avec Zeno, il était facile de se rendre compte du temps qu'elle semblait avoir vécu. Sa-Rang possédait un charisme et une sagesse qui ne pouvaient être forgés qu'au fil de nombreuses années. Pour arriver à une telle perfection, il fallait plusieurs millénaires.
Mais dès que Sa-Rang ouvrait les yeux, l'œuvre d'art parfaite qu'elle semblait être se transformait en une femme aux nombreuses cicatrices. Les yeux de Sa-Rang avaient été témoins, tout au long de son existence, de la mort d'êtres chers. Elle semblait avoir connu des trahisons dont son cœur avait du mal à se remettre.
— J'ai entendu parler de votre histoire, princesse.
La voix de Sa-Rang la sortit de ses pensées.
— L'on raconte que votre père a été assassiné et que vous avez été contrainte de fuir votre château. Vous avez été considérée comme morte pendant un certain temps avant que la nouvelle de votre survie ne se répande à travers le royaume. La plupart des sujets ne comprennent pas pourquoi vous ne retournez pas chez vous, auprès de votre cousin devenu roi. Pour la plupart, il serait logique que vous l'épousiez. Par vos actions, vous avez gagné le respect et la confiance de vos sujets. Ils veulent que vous deveniez leur reine. Pour eux, vous formeriez le couple parfait : un roi qui se bat pour la puissance du royaume et une reine qui se bat pour la sécurité de ses sujets.
Le regard de Yona se fit soudain sombre. Sa-Rang ouvrit les yeux et leurs regards se croisèrent. Yona vit dans ses iris de la curiosité et non un jugement porté. Elle s'interrogeait sans arrière-pensée sur les sentiments de Yona.
— Il parait logique, en effet, que j'épouse Soo-Won, répondit Yona d'une voix presque inaudible. C'était ce dont je rêvais, il y a une éternité.
— Il vous a trahie, comprit Sa-Rang.
— Il a tué mon père, confirma Yona. Il l'a achevé sous mes yeux. Dans les faits, Soo-Won est un bon roi qui ferait tout pour le royaume. Mais je ne peux pas lui pardonner la manière dont il est monté sur le trône. Il aurait pu devenir roi en m'épousant. Il a choisi un couronnement dans le sang plutôt que dans l'amour. Je l'ai aimé pendant longtemps, même après l'avoir vu tuer mon père. L'ayant aimé toute ma vie, il a été impossible à mon cœur de le haïr immédiatement. Après avoir commencé à le haïr, j'ai compris que c'était lui accorder trop d'importance et que même nos ennemis avaient une place dans nos cœurs. J'ai choisi d'abandonner ma vengeance parce que j'aspire à lui vouer une totale indifférence, un jour. Malheureusement, le tuer ne serait pas rendre service aux sujets de Kôka. Alors, tout ce qu'il me reste, c'est l'espoir de le faire disparaitre à jamais de mon cœur.
— Maintenant que vous aimer un autre homme, cela semble en bonne voie de réalisation, dit Sa-Rang en souriant légèrement.
Yona rougit légèrement.
— Tomber amoureuse de Hak est la meilleure chose qui aurait pu m'arriver, admit-elle en baissant le regard.
Yona avait vécu beaucoup de choses depuis son départ du château et elle avait gagné en confiance, en force, en courage et en maturité. Mais quand il était question d'amour, elle redevenait la jeune fille qu'elle oubliait être. Elle n'avait pas honte de ses sentiments pour Hak, mais ils n'avaient pas encore fait disparaitre la douce gêne qui régnait entre deux amoureux avant qu'ils ne deviennent des amants. Pour l'instant, Yona se complaisait dans cette innocence amoureuse, il s'agissait là de la seule touche de légèreté dans son existence.
— Je ne sais pas si j'aurais un jour la force de revenir au château d'Hiryuu, dit Yona avec un sourire triste. Je n'oses imaginer combien cela doit être dur pour toi de revenir là où tes proches ont perdu la vie...
— Shiruku était à mes yeux la plus belle ville du monde, murmura Sa-Rang. Je sais que ma maîtresse n'aurait pas voulu que son sang versé engendre du dégoût envers la ville que ses ancêtres ont construit. La Tribu de la Soie était bien plus fière que leur ville rende les gens heureux que de leurs richesses. Je continuerai d'aimer cette ville pour eux. Ne plus jamais m'y rendre serait une insulte à leur mémoire.
— Le château d'Hiryuu n'a pas cette valeur à mes yeux. Il était mon observatoire sur le monde et la forteresse qui empêchait mon père de voir les malheurs de ses sujets. Mon père était un homme bon, j'en reste profondément convaincue, mais j'ai fini par me rendre compte qu'il n'était qu'un roi utopiste se contentant d'imaginer que ses sujets étaient heureux.
— Pour moi, sourit Sa-Rang, le château d'Hiryuu est le plus bel endroit du monde. Mes plus beaux souvenirs s'y trouvent. J'ai vécu dans la belle ville de Shiruku mais j'ai vécu une belle vie au château d'Hiryuu.
— Un jour, quand ma fuite sera terminée, montre moi le château d'Hiryuu comme tu le perçois.
Sa-Rang acquiesça doucement et sortit de l'eau chaude. Yona fit de même. La princesse soupira d'aise en enfilant un kimono de soie. Son corps s'était habitué à un mode de vie précaire mais il gardait la mémoire du luxe dans lequel elle avait vécu pendant seize ans. Le simple contact de la soie sur sa peau suffit à la remplir de joie. Elle suivit Sa-Rang jusqu'à la chambre qu'elles occuperaient pour la nuit. Sa-Rang avait déjà disposé des draps en soie sur les futons.
— Asseyez-vous, lui dit Sa-Rang en désignant une chaise qu'elle avait mis au centre de la chambre.
Yona obtempéra. Dès qu'elle fut installée, Sa-Rang commença à peigner sa chevelure.
— Tu n'es pas obligée de...
— Vous n'imaginez pas comme j'ai rêvé de coiffer cette chevelure une nouvelle fois... la coupa Sa-Rang.
Les mèches rouges qui caressaient ses doigts rappelèrent à la servante des souvenirs vieux de deux millénaires.
Le jeune roi se tenait debout au centre de la pièce. Il était immobile, les bras écartés, quand elle entra dans la pièce en portant une pile de vêtements. Le roi lui lança un sourire.
— Tu es en retard.
Elle ne lui répondit pas, se contentant de lui enfiler ses vêtements avec les gestes précis de l'habitude. Quand il fut habillé, elle entreprit de démêler ses longues mèches rouges. Le roi grimaça quand elle tira un peu trop fort.
— Ça ne peut pas être pour tes talents que l'on t'as confié la tâche de me rendre présentable chaque matin... soupira le roi. Le doute n'est plus possible : ils ont simplement voulu que le plus beau visage du royaume soit la première chose que je vois en ouvrant les yeux !
Elle rougit si violemment qu'elle provoqua la stupéfaction du roi quand il la regarda par le biais du miroir. Quand elle croisa son regard, ses mains tremblèrent tellement qu'elle en lâcha le peigne. Elle s'enfuit en courant, laissant le roi seul dans la chambre.
Les cheveux de Yona étaient identiques à ceux du roi. Les coiffer à nouveau remplissait son coeur de joie et de tristesse. Elle ressentait toujours en même temps ces deux émotions contradictoires quand il s'agissait du roi Hiryuu.
— Comment était le roi Hiryuu ? demanda Yona.
— C'était un homme compliqué, lui répondit Sa-Rang.
*
Ils s'étaient tous réunis dans la grande salle à manger de l'auberge déserte. La table était garnie de nombreux plats que Yeon avait cuisiné avec Sa-Rang. Recevoir de l'aide avait été si agréable que Yeon pria pour qu'elle reste avec eux pour toujours.
À la fin du repas, Sa-Rang dit à Yeon d'aller se reposer et qu'elle s'occuperait de tout nettoyer. Le jeune homme ne s'était pas fait prié et s'était éloigné rapidement de la vaisselle sale.
— Qui es-tu vraiment ?
Jae-Ha sortit de l'ombre. Ils étaient tous les deux seuls au rez-de-chaussée. Sa-Rang lui adressa le même sourire doux qu'elle destinait à tout le monde, sans exception. Jae-Ha avait assez souri ainsi dans sa vie pour savoir quel genre de blessure un tel sourire tentait de cacher.
— Je ne suis qu'une servante, lui répondit-elle. J'ai été la servante du roi Hiryuu et de beaucoup d'autres après lui.
— Les servantes immortelles ne courent pas les rues.
— Je ne suis pas immortelle, rétorqua Sa-Rang.
Jae-Ha haussa un sourcil.
— Je suppose que vous avez tous été spectateurs du pouvoir du Dragon Jaune, dit-elle. Je ne possède pas ce pouvoir.
Elle fit tomber un bol en porcelaine au sol et se baissa pour en ramasser un morceau coupant. Elle s'entailla légèrement l'avant bras. La plaie commença à saigner mais ne se referma pas.
— Mes blessures ne peuvent guérir de la même façon que les siennes.
Elle prit un chiffon propre et banda sa plaie pour arrêter le saignement.
— Tu n'avais pas besoin de te blesser pour me prouver ça... soupira-t-il.
— Les actes sont plus fiables que les mots.
Jae-Ha comprit qu'elle ne lui dirait rien de plus et la laissa finir de laver la vaisselle. Quelques minutes plus tard, Zeno entra dans la pièce en secouant la tête.
— Tu détestes saigner.
— C'est vrai. Je déteste encore plus mentir mais il semble que ce soir je fasse les deux.
Elle souleva légèrement sa jupe de soie et laissa apparaître une jambe ressemblant à une patte couverte d'écailles vertes.
— Ce n'est pas très esthétique, fit remarquer Zeno.
— Tu as de la chance d'être le seul des quatre dragons à ne posséder aucun trait physique caractéristique. C'est pour cette raison que je préfère le pouvoir du Dragon Jaune, il est plus discret.
Sous les yeux enthousiasmés de Zeno, la patte se transforma en jambe. Dès lors, l'entaille de son bras guérit sans laisser de traces.
— Pourquoi lui avoir menti ?
— Je ne veux pas qu'ils connaissent mes blessures, lui répondit-elle en caressant machinalement la bague à son doigt.
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