CHAPITRE NEUF : L'avènement de la nuit
Le soleil commençait à se coucher quand la Tribu du Ciel prit d'assaut la demeure du Général de la Tribu de l'Eau. Les pas bruyants des soldats résonnèrent sur la pierre du sol comme le cri sourd du désespoir. Quelque part. La princesse Yona se trouvait forcément quelque part.
L'agitation de la Tribu du Ciel s'accroissait face au calme déconcertant de la Tribu de l'Eau. Tous ceux qu'ils croisaient les regardaient en silence, n'intervenant pas, comme les spectateurs avertis d'un spectacle dont les soldats étaient les clowns. Ayura et Tetora regardaient les hommes de la Tribu du Ciel courir dans les couloirs avec un certain détachement. Leur patience était aussi forte que celle d'An Joon-Gi, leur général.
Quand les deux généraux se firent enfin face, à l'abri des regards, l'air patient d'An Joon-Gi rencontra la colère de Han Joo-Doh.
— Où est la princesse Yona ? demanda hâtivement le général de la Tribu du Ciel.
— La princesse Yona n'est plus ici, lui répondit le général de la Tribu de l'Eau.
— Les Tribus n'ont pas le droit d'intervenir dans le choix des prétendantes qui seront présentées au roi.
— La Tribu du Ciel n'a pas de prétendante, il me serait difficile d'intervenir auprès du néant.
Un sourire satisfait se dessina sur les lèvres du général de la Tribu de l'Eau.
— Si vous avez accueillit la princesse en vos murs, vous avez désobéi au roi.
— J'ai accueilli Yona ici, mais comment aurais-je pu savoir que vous l'aviez choisi pour être votre prétendante ? Leurs identités sont gardées secrètes. Quoi qu'il en soit, vous devriez en trouver une autre. La princesse Yona n'est plus en mesure de devenir l'épouse du roi.
Han Joo-Doh écarquilla les yeux et se précipita hors de la pièce. An Joon-Gi fit disparaitre son sourire et l'inquiétude assombrit son visage calme. Il avait réalisé le souhait de la princesse parce que cela servait son intérêt et celui de sa fille, mais il ne pouvait s'empêcher d'être inquiet. Il se souvenait encore de Yona et de Hak quand ils étaient enfants.
Désormais, toute innocence avait disparu.
Désormais, leur amour pouvait tuer.
Désormais, seul l'avenir révèlerait qui leur amour tuerait : eux ou leurs ennemis.
***
Yeon regardait la viande cuire avec anxiété. Ils seraient sans doute les premiers à subir la colère de la Tribu du Ciel. Il avait confiance en la puissance de ses compagnons de voyage, mais il ne pouvait s'empêcher d'analyser la situation dans laquelle ils se trouvaient désormais. Depuis qu'il avait commencé à voyager avec Yona et Hak, Yeon avait fait face à beaucoup de dangers auxquels les livres ne l'avaient jamais préparé. Mais ils avaient toujours trouvé une solution parce qu'ils n'avaient jamais été, en définitive, l'ennemi à abattre. Ils s'étaient toujours mêlés de ce qui ne les regardaient pas directement et cela leur avait fait bénéficier d'une certaine sécurité. Cependant, ils venaient de devenir les cibles directes de la Tribu du Ciel et du roi. Une guerre qui déchirerait le royaume ne tarderait pas à naitre entre la Tribu du Ciel et la Tribu du Vent.
Si une telle guerre éclatait, les autres Tribus s'en mêleraient. Elles seraient alors écartelées entre leur loyauté au roi et leur volonté d'aider Yona. La Tribu du Feu avait de grandes chances d'être de leur côté. Celle de l'Eau venait de les aider, mais leur envie de faire de Lili la reine du royaume la pousserait sans doute à aller dans le sens du roi. La Tribu de la Terre estimait beaucoup le roi.
Dans le pire des cas, les épées de trois Tribus seraient pointées sur Hak qui était devenu l'ennemi à abattre. Le royaume de Kôka avait toujours été clair au sujet de ses lois sur le mariage.
À Kôka, le mariage était sacré, une union qui ne pouvait être défaite. La polygamie et la polyandrie étaient interdites. En cas de veuvage, le remariage était possible mais seulement après plusieurs années de deuils et il restait très mal vu en raison du caractère sacré des liens entre les âmes des époux.
Bientôt, Yona et Hak seraient unis par ces liens sacrés. Une fois qu'ils auraient passé la nuit ensemble, plus rien ne pourrait remettre en question leur mariage. C'était alors que la guerre menacerait d'éclater. Yona ne serait plus une épouse potentielle du roi, mais elle restait la princesse du royaume et l'héritière légitime du roi Il. Si Yona tombait enceinte, elle deviendrait alors une menace sérieuse pour le trône de Soo-Won. Ce serait une guerre pour le trône qui éclaterait, chaque Tribu défendant le camp de celui ou de celle qu'elle souhaitait voir régner.
Eliminer Hak réduirait les risques que Yona tombe enceinte et ainsi cela donnerait moins de poids à la princesse si elle souhaitait reprendre le trône. Si Hak restait en vie, sa tête serait mise à prix et la Tribu du Vent ne tarderait pas à le défendre. Si Hak mourrait, la Tribu du Vent et Yona entreraient en guerre contre le roi.
La situation deviendrait rapidement instable.
Zeno s'empara d'un morceau de viande et le dévora en observant Yeon.
— L'avenir s'annonce sombre, soupira le Dragon Jaune. Tout ce qu'il nous reste à faire est de manger.
— Qu'est-ce qu'il serait le mieux pour le royaume de Kôka ? se demanda Yeon.
Zeno haussa les épaules.
***
La tente avait été dressée dans une grotte difficile d'accès. La literie de soie qu'ils avaient emportée en quittant Shiruku avait été posée à même la pierre. Le tissu de la tente formait un cocon d'intimité sous la voute caverneuse.
Selon la tradition, Sa-Rang déposa un repas et de l'alcool dans la tente avant de rejoindre Yona qui se lavait dans la rivière. Le soleil se couchait et la forêt était baignée d'ombre et d'or. La vision des cheveux écarlates de Yona fit tressaillir Sa-Rang. Quand l'obscurité parait le monde d'illusions, Sa-Rang avait parfois l'impression d'avoir le roi Hiryuu devant elle et non une jeune princesse.
À quelques mètres de là, Hak s'était adossé contre un arbre, les yeux fermés. Jae-Ha l'observait en silence. Les pensées de Hak transparaissaient sur son visage. Il était heureux mais inquiet.
— Arrête de me regarder comme ça, Yeux Bovins.
— Tu devrais y aller, maintenant. Nous n'allons pas tarder à vous laisser.
Hak passa les mains sur son visage.
— Tu es sûr d'avoir le contrat de mariage ? lui demanda Hak.
Jae-Ha sortit le rouleau et le montra à Hak qui venait d'ouvrir les yeux. Le Dragon Vert déroula le contrat de mariage sur lequel figurait le sceau du général de la Tribu de l'Eau ainsi les empreintes des deux époux ainsi que de quatre témoins, dont Lili. Instinctivement, Hak passa le doigt sur la plaie de son pouce ; ils avaient signé de leurs sangs ce contrat, rien ne pourrait l'annuler. Il en existait trois copies. La première était gardée par Jae-Ha et Sa-Rang, la seconde par Zeno, qui avait été considéré comme étant le meilleur gardien possible en raison de son immortalité, et la troisième était gardée par la Tribu de l'Eau. Une fois la nuit passée, ces contrats seraient définitifs.
— Tu ne pars pas à la guerre, lui lança Jae-Ha, ne traine pas autant les pieds.
Hak se décida à se diriger vers la tente. Il croisa Sa-Rang. Yona devait déjà s'y trouver. Il entra dans la grotte et aperçut l'ombre de Yona à travers le tissu.
Ils étaient seuls.
Son cœur battait à rompre dans sa poitrine. Il prit une grande inspiration et entra.
Yona était assise devant les mets et l'alcool disposés sur un morceau de bois qui tenait office de table. Elle était immobile, les mains posées sagement sur ses genoux. Elle portait sa robe de mariée et ses cheveux étaient relevés en chignon grâce à l'épingle à cheveux noire et or qu'elle avait acheté avec Zeno.
Elle était sa femme et cette réalité le frappa de plein fouet.
Il s'assit en face d'elle et n'osa pas croiser son regard. Ils ne touchèrent pas aux plats posés devant eux, ni à l'alcool. Leurs estomacs étaient noués.
— Si tu ne veux pas... commença Hak.
Mais Yona l'interrompit en poussant la table qui les séparaient hors de la tente. Elle lui prit la main. Il s'approcha d'elle et retira d'abord l'épingle à cheveux. Il l'embrassa et elle lui rendit son baiser. Leurs mains se firent de plus en plus aventureuses et sûres. Yona frissonna quand le tissu de sa robe de mariée glissa le long de son épaule et que la chaleur de la peau de Hak entra en contact avec la sienne.
Quand le soleil se leva et que l'aube colora le ciel, les liens sacrés du mariage unissaient définitivement les âmes de Hak et de Yona.
*****
Voilà pour le chapitre neuf :)
Dites-moi ce que vous en avez pensé en commentaires ;)
Bisous,
Vivienne
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