Devoir n°2 : Iseul Han
Cela fait une heure que je me trouve ici, à numéroter et à classer les billets à l'effigie du monarque. Une bien lassante besogne, nécessitant une endurance que je ne pense pas avoir. Loin de là.
Je venais tout juste de me réveiller – courant cinq heures - que mon père m'avait chuchoté qu'il aurait besoin de mon aide, à l'hôtel. Je ne connaissais que trop bien cette ritournelle ; lorsqu'il me l'intimait, je m'apprêtais déjà à tremper dans la morosité du travail de patience que j'effectuais présentement. Malgré mes rancœurs internes, je n'étais pas aussi embarrassée que l'on pourrait le croire. Papa m'avait autorisée à demeurer sur les bords de la piscine, un endroit que je chérissais en dépit de son aura dégoulinante d'artifices.
Je m'accordai une pause méritée. Je quittai donc ma position assise et m'étendis sur le transat alternant blanc et écarlate. Je n'avais pas à m'inquiéter des regards de la clientèle : à cette heure, la majorité somnolait toujours. De plus, le bassin n'était pas encore ouvert. Les liasses de fines feuilles colorées et la malle que je devais en remplir me gênaient quelque peu, mais je ne souhaitais pas livrer l'effort de les descendre de la chaise longue. Une brise fraîche me lécha la figure, menant une mèche ébène à s'égarer sur ma joue. Je la rabattis derrière mon oreille d'un geste avisé et levai mes iris vers le ciel. Celui-ci, d'une pâleur propre au petit matin, se voyait être le théâtre des pérégrinations frivoles de certains nuages. Je m'abandonnais aux miracles discrets de la voûte céleste.
Mais, « subitô ! (notez l'ironie) » je fus ramenée à la réalité par je-ne-sais-quoi. Avec un soupir, je ré-adoptai ma pose initiale et me remis au boulot, spéculant sur les raisons pour lesquelles Taehyun ne subissait jamais de pareilles choses et pour lesquelles papa ne se décidait toujours pas à embaucher un employé à cet usage.
– Iseul ! Iseul !
À l'énoncé de mon prénom, je pivotai légèrement vers ce que je supposais être la source de l'appel. Je ne me trompai pas là-dessus. Debout sur l'opulent escalier de marbre qui menait vers les extérieurs, papa me faisait de grands signes de main, sa cravate noire bardée d'arabesques dorées se mouvant au rythme de ses agissements. Je rangeai en vrac le peu de billets restants dans la valise avant de clore les loquets et de faufiler mes doigts au creux de la poignée, et soulevai tant bien que mal le contenant trapu. Je rejoignis l'emplacement de mon géniteur en une poignée de secondes.
– Tu en as fait suffisamment, ma puce. Je finirais ça tout seul. Sinon, je voulais t'informer que nous allions manger ici, en famille ! Ta maman et Tae' arrivent. Il n'est pas très matinal, mais c'est exceptionnel.
Papa cercla mes épaules de son avant-bras et nous pénétrâmes le hall gigantesque. Ce fut d'une démarche assurée qu'il nous guida vers la pièce de séminaire, qui semblait avoir été réaménagée en une salle à manger. Oui, vraiment. La table longiligne était tapissée d'une nappe de soie, et croulait sous le poids de mignardises diverses. Un saladier de massepains côtoyait un plateau contenant des litres de boissons fraîches ou chaudes, en portion égale. Une panière en osier peint avalait un quarteron de baguettes tranchées et de viennoiseries, que l'on pouvait recouvrir de l'un des différents accompagnements disposés un peu plus loin. En bref, c'était un festin qui s'étendait devant moi. Je lui adressai une œillade curieuse.
– Pourquoi tout... ça ? questionnai-je. Enfin, ne te méprends pas sur le fond de ma pensée, je suis très reconnaissante de ce moment que tu nous octroies. Seulement, en quel honneur as-tu mitonné cela ?
Il échangea avec moi une accolade filiale et nous nous installâmes sur les sièges molletonnés. Quelques minutes plus tard, mon frère déboula triomphalement dans la salle en compagnie de maman, qui exhibait une fluide combinaison de satin.
– Bonjour ! salua-t-elle, un tendre sourire étirant ses lèvres. Taehyun, lui, préféra entretenir un silence propre à ses jours de réveil précoce involontaire.
– Bonjour, rétorqua papa. Venez vous asseoir...
Ce qui ne sut tarder. Maman s'établit à mes côtés, tandis que Taehyun prenait place en face de nous. Mon père se leva, repoussa sa chaise d'un léger coup de pied. Il entama un discours qui fut assez maladroit à mon goût, mais pas moins adorable. Il se racla la gorge.
– J'ai l'impression de faire un pathos devant une assemblée de concurrents hypocrites, murmura-t-il, plus pour lui-même que pour son public. Donc, heu, je disais... Cette sorte de fête sans musique en comité très, très privé (il pouffa) a été dressée afin d'honorer la déposition de la candidature de ma fille, la merveilleuse Iseul Han, que vous devez sans doute connaître.
Nous partîmes tous d'un rire sincère. Cette boutade précéda le plantureux petit-déjeuner dont nous nous remplîmes la panse. Trois quarts d'heure plus tard, nous étions repus. Une nuée de femmes de ménage vint débarrasser tout cela.
•••
Le Bulletin était annoncé à dix-neuf heures. Mes parents firent tout pour pouvoir venir assister à la transmission. Leurs efforts portèrent leur fruit, avec toutefois un peu de mal. Ainsi, nous nous trouvions tout quatre installés, maman assise sur les bords, papa étendu à demi sur la surface, Taehyun stagnant sur le tapis persan et moi aux pieds de mon géniteur.
L'émission tant attendue montra le bout de sa frimousse. Après un rapide panneau chargé des armoiries royales, le monarque se lança dans un laïus sur l'économie et les actualités nationales, évoquant l'altération du mouillage de la région de Whites, l'édification d'une route côtière dans l'Est, et de rappeler le soutien des troupes de la Suédie dans la guerre contre la Chine. Suite à ce discours, Elton Lamb fit son entrée, arborant un chatoyant costume bleu nuit.
– Je l'aime bien, ce type. Chic ! commenta papa.
– Cht ! somma maman.
Des voix continuaient à jaillir du téléviseur à haute définition.
– Vos Majestés ! Mon Prince ! Vos Altesses ! s'exclama-t-il usant de force courbettes. Il s'inclina avec panache devant le couple royal, puis devant leur progéniture aînée, enchaînant avec les petits derniers à qui il adressa un clin d'œil facétieux.
Il pivota vers le Prince.
– Alors, c'est le grand jour ? Pas trop stressé ?
– Qui ne le serait pas à ma place ? répliqua le jeune Schreave, souriant avec amusement. Mais je dois avouer que je suis surtout impatient de voir enfin les visages des jeunes filles que je vais bientôt rencontrer !
Beau, courtois, télégénique... Tout ce que l'on pourrait attendre d'un prince. Je me façonnai un sourire.
– Absolument rien. Aucun membre de la famille royale n'a assisté au tirage au sort, assura le souverain en triturant le bas de sa barbe poivre-sel. Nous allons tous les découvrir ensemble.
– Je vois ! Et vous, Vos Altesses, qu'en pensez-vous ? questionna le présentateur en se courbant légèrement pour être au niveau de la paire de jumeaux princiers qui trépignaient sur leur trône miniature.
– J'espère qu'elles seront belles ! s'esclaffa Matthew.
– Et intelligentes ! surenchérit sa sœur.
– Et gentilles !
– Et drôles, aussi !
– Eh bien, eh bien. Ça fait beaucoup de qualités. Enfin, avez-vous un conseil pour les jeunes filles qui vont vivre une aventure similaire à la vôtre, ma Reine ?
– J'espère que vous profiterez de cette extraordinaire expérience, et que vous pourrez lier des amitiés. N'oubliez pas que si, c'est une compétition, rien ne vous empêche de bien vous entendre et d'apprécier votre séjour. Oh, et ne martyrisez pas trop mon fils, s'il vous plaît, conclut-elle.
Elton Lamb la remercia de ces sages constatations et aspira une grande goulée d'air pour marquer la solennité de l'instant et commença l'énoncé des Sélectionnées.
L'écran se scinda en deux : le premier carré recelait les réactions du Prince pendant que l'autre affichait les minois des élues.
Le premier visage qui s'étala sur l'écran fut... le mien. J'expulsai un cri fluet avant de me fourrer la tête dans les mains, choquée. Maman me prit dans ses bras et papa me félicita convivialement, au même titre que Tae'.
– À croire que je suis médium ! plaisanta papa.
Le débit ne s'interrompit qu'au bout de cinq minutes dans lesquelles nous trempâmes dans les louanges et les embrassades.
Après une heure, tous dormirent comme des bambins, hormis moi. Et si je ne plaisais pas au Prince ? Ou que je subissais la méchanceté des concurrentes ? Une larme, que j'estimai futile, perça mes yeux...
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