Un train peut en cacher un autre

L’atterrissage est imminent, nous vous prions d’attacher votre ceinture et de rester à votre place jusqu’à l’immobilisation complète de l’appareil, merci

  Je rouvre les yeux en entendant la voix métallisée répéter son message, et m’étire doucement pour chasser la torpeur du sommeil. J’ai dû m’assoupir pendant le voyage… Cela ne m’étonne pas tellement. Le vol depuis Hurricane a duré plusieurs heures, et ce jet est affreusement confortable. Je dois pourtant bientôt m’extraire de mon siège et lisser un peu ma robe, histoire de ne pas avoir l’air d’un sac. Déjà que mon mascara a un peu coulé… Je ne voulais pas pleurer, je pensais honnêtement être au dessus de ce genre de laisser aller, mais malheureusement, l’avion a comme catalysé toutes les pensées et toutes les émotions que j’avais réprimé et j’étais en larme avant même que l’on atteigne la vitesse de croisière. Pour être honnête, je n’ai pas l’habitude de m’opposer à mon père, et encore moins de l’entendre me parler comme ça. Déjà, les mots de Leigh avait été très dur. Il était gonflé de me traiter d’opportuniste ! Si lui se sentait utilisé, qu’est-ce que j’étais censée en penser, moi ? Espérait-il que j’attende toute ma vie qu’il se décide à m’épouser ? Ou pire, que je finisse par céder à ses avances sans qu’il n’officialise rien, dans l’illégalité la plus complète ? Voilà un acteur qui avait peut-être vu un peu trop de films ! Non, vraiment, ses insultes et ses jurons m’avaient laissée de marbre. Il m’avait même un peu agacé pour tout dire. C’est en allant trouver mon père pour lui annoncer la nouvelle que tout était soudain devenu plus dur à encaisser. Après m’avoir traitée d’écervelée, il m’avait longuement expliqué à quel point cette nouvelle allait totalement éclipser son nouveau film. À cause de moi, au lieu de lui poser des questions intéressantes, les journalistes n’auraient bientôt plus que la Sélection à la bouche, et toutes leurs interrogations ne concerneraient plus son travail -et Dieu sait s’il avait travaillé sur ce projet- mais sa fille et sa participation à cette satanée télé-réalité… J’avais alors réalisé que j’étais un embarras non seulement pour Leigh, mais également pour mon père qui ne semblait pas avoir une once d’inquiétude pour autre chose que son avant-première qui, à n’en pas douter, serait encore une fois une réussite…
  Avant de sortir, je prends le temps de réajuster mon maquillage et mes cheveux. Il n’est pas question d’avoir l’air négligé en ce début de Sélection, ni jamais à partir de maintenant. Je vais être la meilleure version de moi-même quoi qu’il advienne, et même en sortant d’ici s’il s’avérait que le prince en aime une autre, je n’emporterai que ce qui m’aura grandi et je laisserai tout le négatif derrière. C’est avec cette résolution que je fais mes premiers pas en dehors du jet dans ma robe, rose bien sûr, perchée sur mes chaussures préférées. Je me sens bien mieux à l’air libre, et je prends une grande inspiration avant de m’avancer vers les autres. J’ai juste le temps de rencontrer la Sélectionnée de Khione, Astéria, et d’échanger quelques mots d’encouragement avec elle avant de devoir filer en direction du château pour découvrir ma chambre. Le fait de déjà avoir une amie me réconforte et je peux admirer avec sérénité la beauté magistrale des lieux. Chaque pièce, chaque couloir, chaque porte est une œuvre d’art en elle-même et je ne cache pas mon émerveillement quitte à paraître idiote. Tout est magnifique, et tout mérite mon éblouissement.

  Ma chambre elle aussi est à couper le souffle. J’ai eu l’occasion de profiter durant ma vie de somptueuses chambres d’hôtel à travers le pays, mais aucune n’égalait l’élégance de cette suite, avec ses couleurs douces et féminines très européennes. Je n’ai pas le temps de trop longtemps m’extasier sur le mobilier car on toque rapidement à ma porte. Trois femmes entrent bien en rang et me saluent avec le respect qui convient à mon nouveau statut. L’une doit avoir mon âge, et semble prendre exemple sur les autres, plus expérimentés et qui ont peut-être même vécu la Sélection précédente. Je fais bien attention à me tenir droite et à ne pas laisser paraître quoi que ce soit. Je dois attendre d’être sûr de pouvoir leur faire confiance avant de trop en montrer. Ce n’est pas le terrain où je suis le plus à l’aise malheureusement, car j’ai tendance à toujours accorder le bénéfice du doute avant de juger si une personne est digne de confiance, mais je sens qu’ici, cette façon de faire pourrait me coûter bien cher. Alors je me force à avoir l’air impassible tandis que les trois caméristes se présentent.

- Bonsoir Mademoiselle Watts, je suis Sienna, voici Faith et Ebony, nous serons vos dames de chambres jusqu’à la fin de votre Sélection. C’est un honneur et un plaisir de nous occuper de vous le plus longtemps possible.

  Leur accueil a sans aucun doute été répété, mais il me fait néanmoins chaud au cœur. Les derniers jours ont été éprouvants et toute gentillesse est par conséquent bonne à prendre. Je me présente à mon tour avec sobriété pour ne pas faillir à mon envie de rester sur mes gardes, puis nous défaisons ensemble ma valise. Je n’ai pas pris grand chose, quelques livres que je crains de ne pas trouver au palais, des affaires qui me rappelle la maison, dont une de ces affreuses boules à neige qu’ils vendent aux touristes qui viennent faire du traîneau l’hiver. Je la secoue rapidement avant de la poser sur la table de nuit. C’est drôle, mais je ne me sens pas triste d’avoir quitté Hurricane, sûrement parce que les seules personnes que j’avais là-bas m’ont bien fait comprendre que je serais mieux loin de leurs pattes… Non, vraiment, je n’ai rien qui me rattache à cette province, à part des gens que je ne connais pas et qui scandent mon nom avec enthousiasme et des gens que je connais et qui préfèreraient m’oublier un moment. Je secoue doucement la tête. Cette réflexion est bien lugubre pour une soirée de fête. je devrais plutôt tenter de me mettre dans l’ambiance du repas qui s’annonce somptueux lui aussi. Quoi de mieux pour y parvenir que d’essayer mes options pour la soirée ?
  Après quelques combinaisons infructueuses, nous tombons finalement d’accord sur une robe courte au col bateau très agréable à porter. Une robe rose bien sûr, pour me porter bonheur, et parce que cette couleur que certains qualifieraient d’enfantine à une signification spéciale pour moi. Qu’on me trouve ridicule, qu’on rit de moi ne me fait pas peur car je préfère repartir de cette aventure en étant restée fidèle à ce qui compte plutôt que de me corrompre pour atteindre les faveurs d’un homme que je ne connais même pas. Ce n’est pas le prince qui rend la Sélection attirante en vérité, comment cela pourrait-il être le cas alors que personne ne le connaît vraiment ? Il fait si peu d’apparition publique qu’on en oublierait presque son visage, surtout de son côté du pays. Hurricane était bien loin de Lorelei et donc des préoccupations de la famille royale. Les Sélectionnées ne sont pas là pour Khaede, même celles qui sont venues pour trouver l’amour ne viennent pas pour Khaede. Elles viennent pour l’idée d’une romance princière, entre les murs d’un château de contes de fées. Moi-même, je ne sais plus vraiment pourquoi je suis venue. Pourtant je ne regrette pas d’être ici. Je me sens à ma place, aussi vaniteux que cela puisse sonner. Une fois coiffée et maquillée, je suis prête à entrer en scène. Je pourrais dire que je me reconnais à peine dans le miroir, comme on l’entend dans ces teenage movies où une fille du peuple reçoit un makeover et devient celle qu’elle a toujours voulu être. Je pourrais oui, mais c’est faux, je me reconnais très bien, et cela m’arrache un sourire satisfait. Je ne sais pas où je vais ni pour combien de temps, mais je sais ce que je vaux.

  La salle du repas est aussi exquise que la nourriture en elle-même. Tout y est vivant, tout bouge, nourriture, boissons et accompagnements se joignent dans un joyeux chaos gouverné par la voix du Prince Chaol, qui rattrape son léger retard par mille traits d’esprits bien pensés. Ses badineries enthousiastes me font presque oublier que je me retrouve loin d’Astéria, avec qui j’espérais pouvoir continuer ma conversation. Nous en aurons sûrement l’occasion plus tard, aussi je me laisse porter par l’ambiance et répond même poliment au plus scandaleux des princes. Il n’est pas rare d’entendre parler de quelque histoire scabreuse à laquelle le nom de notre hôte bavard se retrouvait associé. Les journalistes ne semblent jamais vouloir le lâcher et cela m'attriste un peu en y pensant. Tout ça parce qu’il est prince… C’est à se demander s' il existe une seule place enviable dans ce pays brisé. Certainement pas celle de Khaede en tout cas. Il a l’air de se prêter au jeu de bonne grâce, mais comment savoir ce qui se joue derrière le rire poli de l’homme que nous sommes toutes censées séduire ? J’en suis encore à mes rêveries quand Cadence est obligé de s’excuser pour la nuit et part dans le fracas de ce qui semble être un vase brisé. L’incident est rapidement couvert par le babillage incessant de son jumeau qui donnait décidément magnifiquement bien le change. Un véritable comédien qui aurait sa place sur les planches, à n’en pas douter.

  La soirée est dans l’ensemble plutôt agréable, le repas délicieux et les hôtes charmants. C’est le cœur léger que je monte me coucher. Seule la jeune Faith est là pour m’aider à me démaquiller et à passer mes habits de nuit. Des couleurs et des bruits plein la tête, je ne peux me résoudre à dormir tout de suite et après le départ de ma gentille aide, je décide de plutôt investir la méridienne près de la fenêtre, une bougie à la main. Je pourrais bien sûr allumer la lumière, mais un tel décor mérite une jolie bougie parfumée pour ajouter à sa magie. Ainsi installée, je couche sur le papier les couleurs, les bruits et toutes mes pensées, afin de m’assoupir le plus en paix possible, avec la certitude que cette soirée ne meurt jamais tout à fait, car une trace perdurera sinon dans ma mémoire, au moins dans ce carnet. Une fois la bougie soufflée et les mots sortis de ma tête, il ne me faut pas longtemps pour que le sommeil vienne me cueillir.

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