Interlude - Ornélis

Coucouu

J'adore écrire des interludes sur les personnages, y'en aura un sur chacun d'eux, dispersés tout au long de l'histoire :)

Vraiment mes chapitres préférés, j'adore ça permet d'en savoir plus individuellement sur chaque personne donc j'espère que vous aimerez aussi !

Bonne lecture !


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Depuis toute petite, Ornélis avait toujours appris à donner aux autres, donner sans retenue, le plus possible. C'est ce que ses parents lui avaient appris, c'était la principale valeur qu'ils lui avaient enseigné. Le partage.

Quand elle était à l'école primaire, Ornélis partageait tout ce qu'elle avait : son goûter, et ainsi ses devoirs auxquels elle avait trouvé seule les bonnes réponses. C'est cela qui lui valut un grand nombre d'amis, et qui la hissa au rang des enfants les plus populaires dans la cour de récré. On venait même lui demander des conseils, les garçons étaient tous amoureux d'elle et les filles l'admiraient.

Mais ce n'était pas ce qu'elle voulait.

C'était ce que ses parents voulaient d'elle. Elle n'avait jamais voulu avoir pleins d'amis, elle détestait jouer avec des filles et préférait le foot. Elle détestait par dessus tout l'école.

Seulement voilà, si elle ne faisait pas deux heures de devoirs chaque soir, elle était privée de dessert. Si elle rentrait avec cinq minutes de retard de l'école, elle ne mangeait pas et avait interdiction de sortir de sa chambre jusqu'au lendemain matin.

Lorsque ses années d'école primaire furent terminée, ses parents l'allégèrent d'un poids : ils contrôlaient moins ses devoirs et ils la laissaient parfois rester un peu avec ses amies après les cours.

En cinquième, elle avait le droit de rester dix minutes devant la grille après les cours, tandis que ses amies, elles, filaient au centre commercial pour une bonne heure. Alors elle rentrait chez elle, trainant des pieds, habituée à ce genre de situations.

En seconde, elle se défaisait encore petit à petit des griffes de ses parents, et ce fut une révélation pour elle : désormais, elle avait le droit de sortir des après midi entiers. Mais plus personne n'allait au centre commercial, maintenant, c'était fini. À la place, ses amies se rendaient à des soirées, auxquelles Ornélis n'avait bien sûr pas le droit de se rendre.

Elle avait un train de retard sur tous les autres lycéens.

Il fallait qu'elle rattrape tout ce temps perdu, si précieux à ses yeux, mais elle ignorait comment.

Ce fut en se promenant dans sa ville un après-midi, les écouteurs enfoncés dans les oreilles, qu'un garçon de son lycée était venu l'aborder en lui tapotant sur l'épaule.

Elle s'était retournée en enlevant machinalement un écouteur de son oreille.

— Oui ? avait poliment répondu Ornélis, intriguée.

— Je t'ai vu au lycée l'autre jour, t'avais l'air de t'ennuyer. Y'a une soirée demain, tu viens ? C'est chez un de mes potes, avait proposé le garçon, souriant.

Elle avait considéré et re-considéré sa proposition. Elle n'en revenait pas, on l'invitait à une soirée ? Elle qui avait toujours des bonnes notes, des parents stricts et peu d'amis désormais ? Cette demande l'avait estomaquée. Elle n'était jamais allée à une soirée de sa vie.

— C'est où ? avait t-elle répondu.

— Attends, passe ton numéro, je t'enverrai l'adresse.

Ça aussi, c'était une première.

Certes, elle était populaire en primaire, mais depuis le collège tout avait changé : les plus intelligents n'étaient plus les plus idolâtrés, bien au contraire. Elle restait toujours seule et était perçue comme l'intello de service. Elle n'avait jamais donné son numéro ou n'était sortie avec un garçon.

Elle s'était exécutée, puis avait remercié l'adolescent d'un sourire chaleureux.

La simple idée de se rendre à cette soirée la rendait folle d'impatience, elle allait enfin pouvoir vivre comme les autres.

Cependant le plus dur restait à faire : convaincre ses parents.

À table, le soir, elle avait essayé d'aborder le sujet avec eux.

— J'aimerais aller à une soirée, avait t-elle déclaré en prenant son courage à deux mains.

Sa mère avait écarquillé les yeux et laissé sa fourchette tomber sur son plat. Son père, le regard froid, avait aussitôt prit la parole à sa place.

— Tu n'iras pas.

— J'en ai envie, avait persisté la lycéenne sans rien lâcher.

— Ose y aller, Ornélis. Ose, l'avait menacé son père en continuant de manger comme si de rien n'était.

Elle avait décidé de ne rien dire de plus, ces deux là étaient bien trop braqués pour accepter quoi que ce soit. Tant pis, elle allait y aller et en subir les conséquences quitte à être privée de sortie pendant un an.

Cela ne l'encourageait que davantage à profiter au maximum de cette soirée unique, peut être la seule à laquelle elle aurait l'occasion de se rendre durant toute sa vie de lycéenne. Il fallait qu'elle se délecte chaque seconde de ce moment. Elle avait hâte.

Le lendemain, à minuit, elle avait vérifié une dernière fois l'adresse sur son téléphone et s'était enfuie en courant de sa maison par la fenêtre de sa chambre. Elle avait accéléré jusqu'à en avoir des courbatures aux jambes, jusqu'à en avoir les chevilles gonflées.

Arrivée devant la petite maison où se déroulait la fête, elle avait reprit son souffle, à deux doigts de faire une crise d'asthme. Elle avait précautionneusement observé la demeure. Ce n'était pas une grande maison américaine comme dans les films.

Mais c'était une belle maison, d'où elle percevait les lumières, la basse de l'enceinte qui faisait vibrer le sol, ainsi que les cris des gens qui chantaient à tue tête. Elle avait fermé les yeux et prit une grande inspiration.

— Calme toi, Ornélis. Tout va bien se passer, s'était t-elle chuchotée à elle même.

Lorsqu'elle avait enfin passé le pas de la porte, elle avait l'impression d'avoir franchi un monde irréel. Elle ne connaissait personne, mais ils semblaient tous si heureux d'être là.

C'était là l'opposé de sa vie quotidienne. Quelques personnes fumaient, d'autres dansaient, d'autres discutaient. Il y avait un grand escalier qui menait à l'étage, était ce, comme dans les films, la voie royale pour avoir des relations sexuelles ?

Elle avait aussitôt refoulé cette pensée de son esprit et s'était timidement avancée au milieu de la foule.

Le buffet avait immédiatement attiré son attention, elle avait faim. Ses parents l'avaient privée de repas ce soir, car elle était rentrée trop tard de sa promenade de l'après-midi, son ventre n'en pouvait plus.

Elle s'était servie dans les paquets de chips, et avait ensuite dévoré plusieurs parts de pizzas d'affilée. Son attention, soudain, s'était dirigée vers une bouteille d'alcool juste à côté, plus précisément une bouteille de vodka.

Elle n'osait pas la toucher du bout des doigts. Une jeune fille de son âge était venue se positionner à ses côtés, ouvrant avec entrain la  grosse bouteille d'alcool, visiblement habituée. Elle avait jeté un regard complice à Ornélis, puis avait attrapé deux verres de shot qui se situaient non loin de là.

— T'en veux un ? avait t-elle crié en se rapprochant de son oreille par dessus la musique.

Ornélis avait hésité. Et puis mince, ce qui l'attendait après sa fugue allait être affreux, autant profiter de l'instant. De toute façon, elle se l'était promis.

Elle avait timidement hoché la tête, puis, ensemble, simultanément, les deux filles avaient ingurgité leur premier shot de vodka. Ornélis se sentait pantelante, mais si heureuse.

Elle en voulait encore.

Alors, avec la même jeune fille qui s'était improvisée son amie pour la soirée, elle en avaient enchaîné cinq. Puis sept, huit, et enfin neuf. Ornélis s'était sentie vaciller, elle ne cessait d'éclater de rire à n'importe quelle occasion et de s'agripper à des murs ou à des personnes sur la piste pour ne pas s'écrouler contre le sol. Ses jambes étaient tremblantes, et elle sentait qu'elle allait bientôt vomir, mais la liberté qui l'animait à ce moment précis avait une saveur que rien au monde ne pouvait inégaler.

Elle s'était redirigée vers le buffet, et avait retrouvée son amie, qui se trouvait dans le même état déplorable qu'elle. Elle l'avait prise dans ses bras, elle ne la connaissait pas mais l'amour qu'elle éprouvait à son égard était inexplicable.

D'un coup, les bras de l'inconnue s'étaient blottis dans la cambrure de sa hanche, et elle avait embrassé passionnément Ornélis. Leurs langues ondulaient ensemble, presque au rythme de la musique, et Ornélis s'était dit qu'elle n'avait jamais rien expérimenté de plus beau que cela.

Sous les effets de l'alcool, elle ne s'était même pas rendue compte qu'il s'agissait de son premier baiser. Avec une fille, dans une soirée, en cachette, la nuit.

C'était la vie dont elle avait toujours rêvé.

Elle avait ensuite passé le reste de sa nuit à vomir, penchée au dessus des toilettes, la gorge sèche. À cinq heures du matin, elle avait rassemblé le peu de forces qui lui restaient pour quitter la maison et retourner chez elle. Sur le chemin, elle ne parvenait pas à marcher droit, et faillit tomber quatre ou cinq fois.

Elle était foutue. Ses parents allaient la punir pour le reste de ses jours.

Elle avait de nouveau escaladé son portail, ainsi que la fenêtre de sa chambre, se préparant à tout moment à ce qu'on lui hurle dessus.

Mais rien. Sa fenêtre était restée entrouverte, ses parents dormaient. Elle ne parvenait pas à comprendre si elle rêvait ou si ses parents n'avaient vraiment rien remarqué.

Le petit déjeuner s'était déroulé normalement. Elle s'attendait à se faire sermonner par surprise dans la journée, mais rien. Ses parents n'avaient définitivement rien remarqué.

Alors, Ornélis décida de recommencer. Le jour, elle faisait ses devoirs, ne sortait pas et se renseignait sur les futures soirées prévues. La nuit, elle s'y rendait. Elle s'échappait désormais quatre soirs par semaine, entre minuit et cinq heures. Elle enfilait toujours un sweat à capuche beaucoup trop large pour elle et s'enfuyait dans la nuit, comme une voleuse.

Ce fut avec un groupe d'amis rencontré à une de ces soirées nocturnes qu'elle expérimenta rapidement la drogue. Le cannabis, elle en raffola vite. Elle avait même appris à rouler son joint elle même avec l'aide précieuse d'un ami, puis ils se passaient tous le joint de bouche en bouche entre deux gorgées d'alcool. Elle aimait la sensation que lui procurait la fumée dans sa gorge, elle aimait l'état dans lequel elle se trouvait quand elle en consommait: l'euphorie.

Elle nageait dans l'euphorie, si bien que chaque lendemain, en regagnant discrètement son lit, elle n'avait plus que des bribes de souvenirs de la veille et sombrait dans une déprime profonde. Pendant deux ans, ce plaisir se transformait petit à petit en addiction. Elle disait adieu à ses bonnes notes, son language anormalement correct et son apparence de fille parfaite.

Elle s'était métamorphosée.

Ses tensions avec ses parents étaient à leur apogée, mais ces derniers n'avaient nulle explication de l'état de leur fille.

Un nuit, une soirée se déroulait dans un hangar avec une vingtaine de personnes, et dans le froid glaçant de la nuit, après avoir vidé à elle seule une demi bouteille de whisky, Ornélis avait fait signe à un garçon au hasard de la rejoindre plus loin, dans une ruelle isolée.

Elle avait eu envie de goûter à ça.

Il l'avait aussitôt suivie, et ils s'étaient embrassés à pleine bouche, avec fougue, alcoolisés et planant sous l'effet de la drogue mais pleinement heureux. Elle lui avait fait une fellation un peu maladroite dans cette rue étroite, mais il semblait avoir aimé, et il l'avait récompensée d'une pénétration assez brutale, contre le mur, avant qu'ils ne regagnent le hangar, de nouveau parfaits inconnus.

Dans un coin de cet entrepôt, Ornélis s'était endormie par terre, tremblante de froid, un mégot dans la main droite, la vue brouillée et son réveil habituel fixé pour quatre heures trente sur son téléphone.

Le lendemain, de retour dans son lit, elle était à bout de forces. Lorsque ses parents lui avaient annoncé qu'ils l'avaient inscrite à une colonie de vacances avec des personnes de son âge - sans la consulter avant - pour qu'elle retrouve la joie de vivre, elle avait seulement hoché la tête et s'était réfugiée dans son lit.

Elle n'avait pas la moindre envie d'aller là bas.

Ses deux parents lui avaient toujours enseigné le partage et la générosité.

À force de trop s'offrir à eux, elle s'était oubliée.

Ornélis ne savait pas qui elle était. Elle n'était qu'une inconnue à ses propres yeux.

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