Interlude - Gaëtan
D'une main, hasardeuse, le petit garçon se baladait dans les rayons de l'immense bibliothèque, ne sachant pas par où commencer.
Il venait de rentrer en sixième et devait trouver un livre pour l'école, sa mère n'avait pas les moyens de lui acheter en librairie.
Au bout de dix minutes de recherche, il commençait à désespérer. Il avait décidé de s'octroyer une petite pause et s'était affalé par terre, entre eux rayons.
Souriant, il avait sorti sa console de son petit sac à dos et s'était attelé à une partie de Mario Kart, passionné. C'était le seul jeu qu'il possédait, son oncle qui venait de Guadeloupe lui avait offert l'an dernier. Ce dernier avait donné un peu d'argent à sa mère et était reparti dans son pays, laissant à l'enfant cette petite distraction si précieuse à ses yeux.
Sans qu'il ne s'en soit aperçut, la bibliothécaire s'était approchée de lui et le toisait d'un air sévère.
Gaëtan avait rangé avec précipitation sa console dans son sac à dos, embarrassé.
— Que faites vous ? lui avait demandé la jeune femme d'une voix froide.
Le petit garçon s'était relevé et se grattait la nuque en se cherchant rapidement une excuse.
— Pardon... Je cherchais un... un livre, avait t-il bégayé en regardant le bout de ses baskets abîmées.
Elle lui avait ordonné de quitter les lieux. Depuis ce jour, de peur de se faire attraper de nouveau, Gaëtan ne dépensait plus de temps à jouer à la console et se consacrait vraiment à la recherche des livres pour lesquels il venait. Des livres pour l'école, la plupart du temps.
Parfois, il voyait la bibliothécaire passer et adoptait un air encore plus sérieux en faisant glisser le bout de ses doigts sur les rangées de livre : son éducation lui avait toujours appris la docilité et le respect face aux êtres supérieurs.
À force de faire semblant, il avait réellement commencé à prendre goût à la lecture. Il n'avait plus besoin de s'efforcer, contre son gré, de s'intéresser aux livres, car ce geste était devenu naturel. Il dévorait les livres administrés par l'école d'une rapidité inouïe, désormais il lisait pour son propre plaisir.
Il prenait souvent une pile de cinq livres, qu'il peinait à porter de ses muscles frêles, avant de les enchaîner, assis à la table centrale de l'immense bibliothèque.
Cette nouvelle passion n'avait pas eu aucun effet sur sa scolarité, bien au contraire : ses notes étaient montées en flèche, sa culture générale par la même occasion. Il enchaînait les vingt sur vingt, ses notes les plus basses se situaient désormais à dix huit. Au départ, cela le remplissait de joie, et au fur et à mesure, des notes aussi hautes étaient devenues une banalité.
Il était presque déçu lorsqu'il n'obtenait qu'un dix huit, mais savait pertinemment que le dire signerait son arrêt de mort au sein de sa classe. À vrai dire, son école issue de milieu populaire ne regorgeait pas de personnes très délicates, et il le savait.
Une fois, en classe de troisième, Gaëtan avait tenté de se faire un ami. Désespéré, il n'avait à sa disposition plus qu'un seul recours pour se trouver un point commun avec une quelconque personne. Il avait prévu de rater volontairement son contrôle de maths, pour pouvoir se plaindre de sa note collectivement avec les autres élèves de sa classe.
Oui, Gaëtan était seul. Très seul.
Mais il ne ressentait pas de peine ou de tristesse vis à vis de cela, en fait ça l'arrangeait plutôt de n'avoir à être dérangé par personne. Les livres lui offraient tout ce dont il avait besoin : tantôt de la joie, de l'amour, de la peur, ou encore des connaissances.
Le fil de sa passion pour la lecture ne s'effilocha pas le moins du monde. Le temps passait, et les livres étaient désormais indispensables dans sa vie, ancrés dans sa routine.
Gaëtan se levait pour aller au lycée, se douchait, se brossait les dents, lisait quelques pages de son livre, embrassait sa mère sur le front et filait en cours.
— Gaëtan, je suis impressionnée. Vingt sur vingt. Tu dépasses toutes mes attentes. Ton écriture est très raffinée, et parfaitement compréhensible, l'avait un matin félicité sa professeure de français, en pleine distribution des contrôles.
Elle lui avait lancé un clin d'œil, qu'il ne lui avait pas rendu, le visage fermé. Il avait tout de même hoché la tête pour lui faire comprendre qu'il avait entendu ses paroles.
Il détestait par dessus tout les professeurs qui annonçaient les notes à voix haute. Lorsque l'enseignante était passée lui distribuer sa copie, il l'avait rapidement fourrée dans son sac, se préparant d'avance à quitter la salle.
Cependant, le main de la professeure s'était posée sur sa table, lui indiquant de rester assis. Gaëtan avait aussitôt obéit en reposant ses fesses contre sa chaise.
— Gaëtan, avait chuchoté son institutrice en sa direction.
Il avait ancré son regard dans le sien en haussant les sourcils, signe qu'il l'écoutait.
— Tu ne parles jamais, n'est ce pas, avait t-elle plaisanté avant d'adopter une expression plus sérieuse.
Elle s'était doucement éclaircit la voix en faisant rouler le bout de ses phalanges contre la table.
— Je pense que tu devrais faire des tests pour savoir si tu es un enfant à haut potentiel.
Cette phrase avait déclenché une puissante onde de choc dans le corps de Gaëtan. Il se répéta la phrase qu'il venait d'entendre de la bouche de son institutrice. Pourquoi disait t-elle une chose pareille ?
Cette fois, il n'hésita pas à prendre la parole.
— Ce n'est pas parce que je lis des livres et que j'ai des bonnes notes que je suis intellectuellement précoce ou supérieur sous aucun aspect tel qu'il soit. Les enfants à haut potentiel sont distingués par une imagination débordante, un fort esprit critique et un tas d'autres choses qu'il est impossible de déceler à travers des notes, avait t-il tranché d'un ton sec, sans ciller.
L'enseignante avait écarquillé les yeux en poussant un profond soupir, un sourire rêveur aux lèvres.
— Gaëtan, fais le test. Ce n'est pas un conseil. Je t'ordonne de le faire. Peut être que je me trompe, mais tu ne perds rien, avait finalement déclaré la jeune femme avant de tourner les talons, le bruit de ses pas résonnant à travers les murs de la pièce.
Il n'avait rien répondu, perplexe mais à la fois conscient de la forte probabilité qu'il s'avère intellectuellement plus doté que la moyenne. Il savait bien qu'il était différent, mais poser un mot dessus l'effrayait un peu.
Il avait fait le test trois semaines plus tard, après une longue réflexion.
C'est vrai, il ne perdait rien après tout.
La psychologue du lycée l'avait gentiment accueilli en lui disant qu'elle avait "beaucoup entendu parler de lui" avant de le soumettre à plusieurs exercices de toutes sortes, aussi bien de logique que de mémoire.
— Je m'en sors pas trop mal ? avait t-il questionné la psychologue en plein milieu d'un exercice où il devait reconstituer une suite de nombres, en levant ses prunelles noires vers celle ci.
— Tu t'en sors très bien. Continue.
Au bout de deux heures, Gaëtan était sorti de la salle avec cette fois la certitude qu'il était haut potentiel. Elle lui avait expliqué pendant vingt bonnes minutes ce que cela signifiait, et pourquoi il ressentait les choses différemment de ses camardes.
Son sac à dos sur les épaules, il s'apprêtait à rentrer chez lui. Soudain, il avait croisé son reflet dans un des miroirs accroché sur les murs du lycées.
Il s'était observé, cela faisait longtemps qu'il ne l'avait pas fait.
Ses épaules s'étaient faites plus carrées qu'avant, il avait remarqué que dorénavant son bras ne flottait plus dans les manches de son pull, mais le comblait parfaitement. Il s'était fait la remarque d'acheter ses pulls une taille au dessus, la prochaine fois.
Son cou était plus efféminé par rapport au reste de son corps, plus fin, il n'aimait pas vraiment. Il s'était approché du miroir en faisant la moue. Ses lèvres devenaient de plus en plus charnues avec le temps, et il s'était surpris à prier pour que cela s'arrête. Il ne voulait pas qu'elles grossissent davantage.
Quant à ses cheveux, il les aimait plutôt bien. Indomptable fusion entre frisé et bouclé, ils ornaient sa tête d'une petite touffe adorable, retombant en cascade sur son front.
Gaëtan avait sourit, avant de tourner les talons, pressé de retrouver ses livres une fois rentré chez lui.
Au même moment, à quelques kilomètres, sa mère venait d'être déclarée comme non apte à le prendre en charge, trop pauvre, au logement trop modeste. Les factures s'entassaient, les dettes s'accumulaient, et l'argent manquait.
Les services sociaux lui prenaient son fils, définitivement.
Il ne savait pas que ce soir là, il allait être placé en foyer. Il ne savait pas que la souffrance allait piétiner son existence. Il ignorait encore tout, plongé dans ses livres aux pages infinies.
Il n'avait pas encore ouvert le couvercle de la boîte qui couvait la vraie vie.
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