Chapitre 8

Ils étaient tous les cinq réunis devant l'entrée, à l'exception d'Alison.

— Elle ne vient pas ? demanda Constant en réajustant son sac à dos.

— Visiblement non, lui répondit Halse en feignant d'être déçue. Quel dommage.

— Quel dommage, oui. Ajouta ironiquement Christian.

Un homme de grande taille, sûrement l'animateur du groupe, annonça au groupe d'adolescents que le départ pour le parc d'attraction allait s'effectuer dans deux minutes.

Lorsqu'il aperçut Halse et Christian, les sourcils du moniteur se froncèrent, il devait sûrement se demander si ils faisaient partie du groupe. Il était sur le point de les interpeller lorsqu'il se fit appeler à son tour par un jeune, au loin. Coup de chance pour les deux intrus, son attention s'était détournée d'eux.

Ouf, souffla Halse.

Quelques mètres plus loin, Ornélis se hissa sur la pointe des pieds afin d'atteindre l'oreille de Gaëtan.

— Il faut qu'Alison vienne, je vais lui passer un coup de fil, j'ai son numéro, murmura t-elle.

— Comment ça, il faut qu'elle vienne? Elle est plus âgée que nous, comme Christian, je ne vois pas ce que ça pourrait lui faire de rater une sortie d'un pauvre groupe d'adolescents au parc d'attraction. Et encore, Christian vient pour Halse, mais elle...? s'étonna Gaëtan, qui se fichait littéralement de qui venait ou non à cette sortie.

Il n'avait pas une folle envie d'y assister lui même, en fait. Son amie lui flanqua une tape sur le bras.

— Elle doit venir !

Il se massa l'endroit où elle l'avait frappé, contrarié.

— Appelle là, si ça peut te faire plaisir. Tu peux me le dire, si t'as eu un coup de foudre pour elle, je le dirai à personne, fit-il, désintéressé de cette conversation qui ne rimait à rien.

La petite blonde leva les yeux au ciel.

— Elle a des problèmes, avoua t-elle en faisant attention à ne pas trop hausser la voix.

— Des problèmes ? répéta le grand garçon à la peau matte, intrigué.

— Des problèmes.

À la manière dont sa mâchoire se contractait, elle devina qu'il commençait à s'impatienter. Elle nota cela dans un coin de sa tête, c'était un tic qu'il adoptait dans les situations qu'ils ne contrôlait pas.

Il lui restait cependant à découvrir pourquoi ce tic s'était installé en lui. Gaëtan regorgeait de mystères à ses yeux.

— Tu développes quand tu veux.

Elle se hissa de nouveau sur la pointe des pieds.

— Je l'ai trouvé avec du sang sur la gorge, l'autre soir. Elle m'a dit qu'elle avait de gros problèmes familiaux et qu'elle se mutilait, c'est grave Gaëtan ! J'ai pas envie qu'elle souffre encore plus parce qu'on a fait une sortie sans elle.

Il fronça les sourcils, et ses yeux adoptèrent une tournure inquiète.

— Elle se mutile la gorge ? s'étrangla t-il presque.

Agacée, la jeune femme se mit à se balancer nerveusement sur ses deux pieds.

— Mais putain, je te dis qu'elle se mutile et qu'elle va mal, et tout ce que tu retiens, c'est sa gorge ? s'énerva t-elle.

Il plaça ses deux mains devant lui comme pour rétablir le calme dans la discussion, un sourire nerveux s'imprimant sur ses lèvres.

— Non mais attends, elle s'est mutilée avec quoi ?

— Un couteau... souffla Ornélis, peinée.

— Tu l'as retrouvée avec un couteau dans les mains, la gorge qui saigne ?

— Par terre, le couteau. Il était à côté d'elle.

Gaëtan s'écarta en plaçant ses mains sur sa tête.

— Et tu y crois !?

Il avait parlé bien trop fort, quelques têtes curieuses s'étaient retournées vers eux. Il se prit le visage dans les mains, anxieux.

— Pourquoi je la croirais pas ? C'est mon amie maintenant, je doute pas de sa parole, s'adoucit t-elle en s'approchant de lui, voyant bien qu'il perdait son sang froid.

— Ornélis, leçon de vie numéro une.
Si tu trouves une personne que tu connais depuis même pas une semaine par terre la gorge qui saigne, avec un couteau à côté d'elle, et qu'elle te dit s'être mutilée, ne la crois pas. C'est complètement insensé, je n'arrive même pas à croire qu'elle ait pu croire que tu la croies ! s'exclama Gaëtan, ahuri.

Elle était sur le point de lui répondre, mais l'animateur de la petite colonie prit la parole pour dire aux jeunes de prendre place dans le bus, ils devaient se taire. Elle lui lança un regard qui signifiait implicitement « on en reparle plus tard, mais en attendant, n'en parle à personne ».

Une fois l'embarquement dans le bus presque terminé, la tant attendue débarqua enfin, ses longs cheveux blonds flottant gracieusement derrière elle. À travers la vitre du bus, le regard d'Ornélis s'éclaira.

— Je viens ! lança joyeusement Alison sans consulter l'avis de quiconque, s'incrustant dans le groupe de jeunes.

L'animateur vint lui tapoter l'épaule, l'air sévère.

— Excusez moi, vous avez demandé la permission à quelqu'un au préalable pour venir, je suppose ?

— Je fais partie du groupe, merci d'avoir retenu mon prénom. Je suis en retard, désolée, mentit t-elle en le poussant doucement sur le côté après lui avoir adressé un sourire charmeur, faisait joliment ressortir ses deux fossettes.

Elle ne lui laissa pas le temps de répondre et se faufila à l'intérieur du bus. Elle prit place sur un siège devant Ornélis, comme si elle venait à cette sortie exclusivement pour passer du temps avec elle, qui l'avait si bien consolée la veille.

Son mensonge était passé comme une lettre à la poste. Ornélis avait tout avalé, ne se posant pas de questions.

En réalité, le seul élément pour lequel Alison s'était donnée la peine de venir à cette sortie était la sécurité d'Halse.

Elle ne pouvait s'empêcher de surveiller Christian, ses antécédents psychologiques pouvaient lui faire faire des choses affreuses, ça, elle l'avait bien expérimenté.

Le reste de la journée se déroula à merveille. Le petit groupe s'amusait dans les attractions diverses du petit parc d'attractions, hilare.

Constant était focalisé à enquêter sur la mort du père d'Halse, plongé dans son téléphone, mais il parvenait tout de même à lâcher prise et passer du bon temps avec ses amis.

Gaëtan tentait d'attirer l'attention d'Ornélis, en vain. Depuis qu'elle lui avait lancé ce petit compliment dans le couloir, elle l'intriguait.

Ornélis s'efforçait de redonner le sourire à Alison.

Alison surveillait Christian du coin de l'oeil, dégoutée de sa présence, horrifiée rien qu'à la vue de son visage.

Christian enlaçait souvent Halse, en rigolant avec elle. Il lui déposait quelques tendres baisers sur la tempe de temps en temps.

Halse, située au bout de cette longue chaîne d'individus, se laissait bercer par les évènements.

L'attraction de la maison hantée fut de loin le moment le plus drôle de la journée, Halse tenait fermement l'épaule de Christian, slalomant entre les zombies et autres horreurs qui leur couraient après.

Et ce jusqu'à ce que le téléphone de l'hôte du gîte se mette à vibrer dans la poche de son manteau, au beau milieu de la maison hantée. Il dut vibrer deux ou trois fois avant qu'elle ne s'en rende compte. Sa main fermement agrippée à celle de Christian, dans le noir, elle tenta de s'en détacher.

— Christian, je dois décrocher, je crois que quelqu'un m'appelle, glissa t-elle en deux éclats de rire. Elle avait du hausser la voix pour qu'il l'entende, les cris épouvantés de leurs amis étaient trop stridents.

Un homme dont le visage était taché de sang s'approcha d'eux. Sans prendre en compte ce qu'Halse venait de dire, Christian éclata de rire et souleva Halse dans ses bras afin de courir le plus loin possible de l'étrange mort-vivant.

Constant s'amusait à se moquer d'Ornélis, qui hurlait à chaque fois qu'un monstre faisait irruption dans son champ de vision.

Alison, ennuyée, suivait le groupe d'un pas monotone. Cette sortie la fatiguait, mais elle faisait semblant de s'esclaffer lorsque les regards se tournaient vers sa personne.

— Christian ? répéta une énième fois Halse, bousculée dans tous les sens. Lâche moi, je dois descendre.

— Hein ? cria t-il par dessus les cris stridents qui résonnaient autour d'eux.

— Fais moi descendre, s'il te plaît.

Un autre monstre venant leur barrer le chemin, le groupe courut de plus belle en lâchant des cris des plus perçants. Halse avait l'impression qu'il faisait exprès de ne pas l'entendre.

— Lâche moi ! s'agita t-elle. Laisse moi juste voir qui m'appelle, ça pourrait être grave.

Le sourire sur visage l'énerva plus que tout, ça ne la faisait plus rire. Tout ça n'avait plus rien d'amusant. Elle avait l'impression que Christian faisait exprès de ne pas l'entendre.

— Lâche moi ! hurla t-elle de toutes ses forces.

Cette fois, tout le groupe l'avait bien entendu, tous s'arrêtèrent brutalement.

Alison s'approcha aussitôt.

— Il y a un problème ? s'inquiéta t-elle, à l'affut.

Le fait qu'elle, qui depuis le début se tenait en retrait et silencieuse, se manifeste soudainement surprit tout le monde. Dominant tous ses amis plus jeunes et innocents qu'elle de sa grande taille, plus personne n'osait dire mot.

Pendant ce temps, Halse avait jeté un œil à son téléphone.

— C'est le numéro d'urgence du gîte, quelqu'un appelle de l'extérieur. Fais moi sortir d'ici Alison, s'il te plaît. Vite. supplia t-elle, ne voyant rien dans la pénombre.

Les zombies et les hommes aux tronçonneuses ne lui faisait plus d'effet, elle voulait juste sortir de ce labyrinthe infernal.

Le numéro d'urgence du gîte ne pouvait être utilisé que trois fois. Il s'agissait en fait d'un petit téléphone posé dans le sous sol. Le barman, les femmes de ménage ou les hommes de cuisine pouvaient l'utiliser qu'en cas d'extrême urgence, et en cas d'indisposition des propriétaires, c'est à dire d'Halse ou de sa mère. En d'autres termes, c'est le numéro de détresse accessible au personnel du gîte.

La dernière fois qu'il a été utilisé remonte à trois ans, lors d'un petit incendie qui avait brulé une bonne partie de l'hôtel. Heureusement, il n'y avait eu aucune victime. Halse était seule, elle n'avait pas eu le choix.

Les yeux de l'adolescente étaient emplis de larmes. Que se passait t-il là bas, au gîte ? Elle jeta un regard apeuré à Alison.

Pour la première fois, les deux femmes se tinrent la main. Quelque chose les unissait, et Alison savait parfaitement quoi. En cinq minutes, elles se trouvaient à l'extérieur de l'attractif. Alison l'avait guidée à toute vitesse vers la sortie.

Tremblante, Halse extirpa son portable de sa poche et s'éloigna pour rappeler le numéro d'urgence. Elle n'avait nulle idée de qui allait décrocher. Elle espérait de toute son âme que cela soit sa mère.

— Allô ? se précipita t-elle, paniquée, marchant d'un pas rapide sur le bitume.

— Halse ?

Ce n'était pas sa mère, mais une voix d'homme très grave. Son cœur se serra.

— C'est moi, vous êtes ? Si il y a une grosse fuite ou qu'un feu a démarré, sachez que les pompiers sont en route. Dites à tout le monde d'évacuer les lieux, j'arrive au plus vite, restez...

L'homme la coupa.

— Je suis Victor, le chef cuisinier. Pas de catastrophes au niveau du gîte.

La vérité s'avançait dangereusement devant Halse, mais elle refusa de l'envisager.

— Ma mère a disparu? pleura t-elle, dépassée.

— Votre mère a été retrouvée inconsciente sur son lit avec un taux de méthamphétamine supérieur à 40% dans le sang. Les pompiers l'ont emportée, elle est en route pour l'hôpital, je suis sincèrement...

Halse n'écouta pas la suite de sa phrase et laissa son téléphone se fracasser par terre avant d'éclater en sanglots. Ne sachant pas ce qu'il se passait, Alison s'approcha et eut le réflexe de la rattraper juste à temps avant qu'elle ne s'effondre elle aussi sur le sol.

Gaëtan et Constant accoururent, suivis d'Ornélis et Christian.

Gaëtan récupéra aussitôt le téléphone tombé à terre, dont l'écran était un peu abîmé, et reprit la conversation avec Victor.

Surpris à ce nouvel interlocuteur, Victor fut obligé de lui résumer toute la situation. Halse pleurait silencieusement, les yeux fermés, effondrée.

Il manquait plusieurs informations. Que fallait-il faire maintenant, qui allait gérer le gîte, où les clients devaient aller ?

Quelques minutes plus tard, le grand métisse rejoignit le groupe. Il avait cette incroyable capacité à gérer une multitude de choses en même temps mais à garder son sang froid en toutes circonstances.

— Les clients sont toujours dans le gîte et ignorent ce qu'il se passe, seuls quelques uns ont remarqué l'arrivée des pompiers, expliqua t-il.

— On part, ordonna Alison qui maintenait fermement Halse, complètement anéantie, dans ses bras.

Elle s'effondrait. De son jeune âge, Halse s'effondrait.

Constant s'interposa et posa une main amicale sur le bras d'Alison.

— Écoute le. Il sait ce qu'il dit, chuchota t-il en lançant un regard entendu à celle ci.

— On l'écoute, et on part, céda t-elle.

Gaëtan la remercia, reconnaissant, et reprit aussitôt.

— Halse. Elle a été retrouvée avec un taux de 40%, la méthamphétamine étant une drogue dure, elle mettrait une petite semaine à s'en remettre, si elle s'en sort. En rapide estimation, elle a environ 50% de chances de s'en sortir, sauf si elle avait des antécédents, dans ce cas 40%. Halse, la charge de travail était trop lourde pour ta mère, cette drogue a des effets dopants mais également des effets secondaires de dépression ou de fatigue intense, elle a sûrement pensé que ça l'aiderait. Elle a du prendre une drogue inférieure à celle là avant, comme de l'héroine ou des drogues douces à répétition. Vous pouvez y aller, j'espère que tout va bien se passer.

Alison s'interloqua en levant les yeux les yeux au ciel.

— Mais regarde son état, c'est pas le moment ! On a perdu une minute à écouter ton discours de merde ! se crispa t-elle.

Le jeune homme garda son calme.

— J'ai déjà vécu ce genre de situation, et crois moi, le meilleur moment pour apprendre ce genre d'informations, c'est maintenant. Une fois dans son lit, elle n'aura pas la force de poser des questions, encore moins d'apprendre ce qu'il s'est passé. Ça la détruira davantage qu'elle ne l'est déjà. C'est triste mais vrai. Allez y, dépêchez vous.

Constant approuva d'un air entendu, bien qu'il n'ait aucune idée des sources du discours de son ami. Il le croyait, c'est tout.

— Je te l'avais bien dit, Gaëtan sait toujours ce qu'il fait. décréta t-il, fier de son ami.

Durant toute la scène, Christian s'était tenu à l'écart, les mains dans les poches. Ce n'était pas son moment, il ne devait pas intervenir et il le savait. Cette situation l'embêtait franchement : il n'avait jamais envisagé ce cas de figure.

Qu'allait t-il faire si sa proie s'écroulait avant même qu'il ne puisse accomplir son plan ?


Halse débarqua dans l'hôpital, à bout de souffle. Tout s'enchaîna à une vitesse folle : Halse qui demanda la chambre de sa mère, qui la chercha avec précipitation, qui la trouva enfin et se précipita dans ses bras.

Pendant ce temps là, après l'avoir déposée devant les urgences, Alison était rentrée au gîte. Elle avait laissé un message à Halse pour la prévenir, qui disait: "Je suis rentrée. Profite de ta mère, si tu veux me trouver je serai dans ma chambre. Courage."

Une fois rentrée en attendant des nouvelles d'Halse, la jeune femme s'était assoupie contre son lit et avait arraché une page d'un livre sur sa table de chevet. Elle avait sorti un stylo de son sac et fermé les yeux. Il était temps. Sa main s'était posée délicatement sur la feuille.

Elle prit une grande inspiration.

Elle allait lui écrire une lettre. Une larme roula irrémédiablement le long de sa joue, expression de toute sa souffrance contenue depuis si longtemps.

J'ai déjà essayé de te prévenir, de t'alerter, mais tu m'as prise pour une ex-copine complètement folle, et je ne t'en veux pas, c'est normal.

Je te parle de Christian. Il m'a poignardée.
Si je te dis quoi que ce soit, il me tue. Si je ne dis rien, il va sûrement te tuer.
Alors quitte à te dire des choses, je te dis tout.

C'est toi ou moi.

Si c'est ta vie contre la mienne, je me sacrifie, j'ai assez vécu. J'espère que si cela se produit, tu liras ça.

Courage, ce qui t'attend est dur et éprouvant. Mais tu vas t'en sortir.

Alison.

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