Chapitre 7

Gaëtan marchait dans les couloirs du gîte d'un pas lent et reposé, le regard plongé dans les pages de son livre. Celui ci parlait de théories du complot, et même si il n'y croyait pas du tout, il dut avouer qu'il trouvait ça très intéressant. Le matin, il n'y avait personne dans les couloirs, alors il en profitait. Le silence était apaisant.

Aujourd'hui, il sortait toute la journée dans un parc d'attraction avec le groupe de sa colonie, c'est à dire environ vingt personnes de son âge, dont Constant et Ornélis. Il en avait marre, pourquoi ses parents l'avaient inscrit dans cette foule de jeunes de son âge auquel il ne trouvait aucun intérêt ? Il poussa un long soupir et retira ses lunettes pour enfouir son visage dans la paume de ses grandes mains.

— Salut.

Il avait reconnu la voix d'Ornélis derrière lui. Cela le fit sourire. Ils étaient assez proches depuis leur rencontre, et rigolaient souvent ensemble. C'était un vrai coup de foudre amical.

— Qu'est ce que tu fais debout à cette heure là ? fit-il en replaçant ses lunettes sur son nez.

— Qu'est ce que toi tu fouts à lire des bouquins en te baladant dans les couloirs à sept heures du matin ?

Elle s'approcha de lui et observa la couverture du roman.

— Les théories complotistes les plus intriguantes, sérieux ? lut la petite blonde en lui lançant un regard joueur.

Le grand métisse replaça ses lunettes en laissant échapper un rire mélodieux. Il cala le fameux livre sous son bras droit, dont les muscles transparaissent un peu à travers son t-shirt. Il vit le regard d'Ornélis se poser dessus l'instant d'une seconde, et fit mine de ne rien avoir remarqué, gêné.

— Faut se reposer, on a fait la fête hier soir. Je sais pas pourquoi je suis déjà debout, soupira Ornélis.

— Tu m'as vu danser ? questionna t-il, le visage neutre et impassible, comme à son habitude.

La petite blonde prit un court instant de réflexion.

— Non, j'crois pas.

— Exactement. Pas besoin de repos pour ceux qui regardent les autres faire la fête, lança t-il en souriant.

— La prochaine fois, compte sur moi pour te faire danser, alors, le taquina l'adolescente.

Il pouffa de rire, comme si ce qu'elle venait de dire était absurde.

— Quoi ? s'indigna t-elle. C'est vrai, je rigole pas !

— On verra ça, alors.

— On verra ça... répéta t-elle, laissant flotter sa phrase comme un écho, une résonnance qui ne pouvait pas s'évader plus loin que la bulle invisible qui les entourait.

Gaëtan déplaça son regard ailleurs, vraiment gêné. Ils n'avaient pour habitude que de rigoler ensemble lors de sorties de groupe, ou à table, mais jamais seul à seul, elle était toujours avec Constant. Il ne savait pas vraiment quoi dire pour meubler la conversation.

Ornélis s'éloigna rapidement, faisant flotter dans les airs la longue chemise blanche qu'elle portait.

— T'es plutôt beau, habillé comme ça ! le complimenta t-elle avant de disparaître derrière un des nombreux murs qui constituaient ce gîte.

Gaetan baissa les yeux sur sa tenue. Jean noir, T-shirt blanc. Qu'est ce que sa tenue avait de spécial ?

— Merci, répondit t-il, perplexe, à qui voulait bien l'entendre.


Au même moment, Halse arpentait le rez de chaussée, vérifiant que tout était bien à sa place en lâchant quelques bâillements.

Elle percuta une personne, et lorsqu'elle aperçut que cette personne s'avérait être sa mère, un grand sourire illumina son visage. Elle la prit tendrement dans ses bras.

  — Maman, mon dieu, on ne se voit presque plus, souffla t-elle dans son épaule.

— Je suis débordée.

Halse s'écarta de son visage et observa les cernes noires qui bordaient disgracieusement ses yeux.

— Maman, t'as l'air épuisée, il faut que tu te reposes, lui conseilla t-elle en lui tenant les épaules. Regarde, tu fonctionnes au ralenti. Va dormir encore un peu, je me charge de ce que t'as à faire.

La dénommée Estelle enfouit sa tête dans ses mains en poussant un soupir.

—Pas question, refusa t-elle sèchement. J'ai un tas de choses à faire, pourquoi ne pas profiter de tes amis ? Tu es jeune, il faut que tu sortes. La blonde avec qui tu as mangé hier soir sort au parc d'attractions aujourd'hui avec d'autres jeunes je crois, tu veux y aller ?

L'adolescente écarquilla les yeux.

— Vraiment ? Si leur groupe de colonie accepte que je vienne, bien sûr que je veux y aller ! Mais tu auras encore plus de travail...

Elle ne lui avait toujours pas parlé de Constant, le moment était tout simplement impossible à choisir.

Sa mère esquissa lentement un sourire, comme si cela lui demandait de puiser dans ses forces.

Son état vraiment inquiétant. Elle semblait au bout du rouleau, c'était anormal.

— Ok, je ne rigole plus, s'inquiéta Halse. Je te  raccompagne dans ta chambre, et on s'organise plus tard au niveau des tâches, on rattrapera tout demain. T'es vraiment pas en forme, tu m'inquiètes.

Sa génitrice fut secouée d'un violent sursaut, comme si elle venait de se réveiller.

— Non ! s'écria t-elle. Va avec tes amis, laisse moi. Je vais bien.

Halse s'éloigna doucement, craintive.

— Tu m'évites, tu refuses mon aide... Qu'est ce qu'il se passe ?

— Je suis épuisée par mon travail, c'est tout ! Je te dis et te répète que je vais bien, maintenant laisse ta mère tranquille, s'énerva Estelle, surmenée par les événements.

— Les discussions avec toi finissent toujours mal depuis qu'il est parti.

Un triste silence s'installa. Halse regretta aussitôt ses paroles, mordant l'intérieur de sa joue pour s'empêcher d'en dire plus.

— Pars. Maintenant, lui ordonna sèchement sa mère, le regard dénué d'émotions.

Blessée, elle s'éloigna à pas de loups. En réalité, elle en avait marre. Sa mère la repoussait toujours, et leur record de discussions calmes durant les trois dernières années devait s'élever à une durée de cinq minutes.

Halse remonta furieusement les escaliers, faisant virevolter son habituelle jupe noire et ses longs cheveux violets. Si sa mère désirait tant qu'elle parte, alors elle allait partir, et souvent.

Passer plus de temps avec ses amis, s'éloigner du gîte et de tout le lot de travail que celui ci demandait. Si c'était le seul moyen d'obtenir une réaction de sa part, elle n'hésiterait pas à en faire usage.


Christian, la main sur la poignée de la porte de sa chambre, s'apprêtait à sortir de sa chambre, toujours avec le peu de vêtements qu'il avait depuis son arrivée. Si il ne voulait pas que sa jolie cible ne découvre tout son jeu, il allait devoir redoubler d'intelligence.

Chaque jour, un nouvel usage de sa chemise noire : ouverte, retroussée, rentrée... Mais ça n'allait pas durer éternellement, il fallait qu'il trouve un magasin où faire des courses.

Si Halse ne rentrait ne serait-ce qu'une seule fois dans sa chambre, c'était foutu : aucune valise, un couteau sur la table de chevet, il fallait arranger tout ça, ils n'allait pas rester au stade des jeux de regards éternellement. Du moins, cette option ne faisait pas partie de ses plans.

Une petite voix le sortit de ses pensées.

— Christian ?

C'était justement elle qui lui parlait derrière la porte. Après avoir vérifié l'état de ses cheveux, il sortit rapidement en prenant soin de n'entrouvrir que très peu la porte.

— Tu me fais une surprise ou quoi ? lança t-elle, curieuse.

Le jeune homme adopta un air détaché en prenant appui sur l'encadrement de la porte.

— Quoi ?

— Tu me fais une surprise ! s'écria t-elle, un sourire malicieux collé au visage.

— N'importe quoi.

— Tu me caches clairement quelque chose derrière cette porte. Sans lui laisser le temps de répondre, Halse tenta de sa faufiler, mais il la bloqua aussitôt de sa carrure imposante.

— Tu me fatigues, soupira t-il, amusé.

Elle n'eut autre réaction que de plonger son regard dans le sien d'un air provoquant.

— Aujourd'hui je vais à la fête foraine avec Constant, Ornélis et Gaëtan, tu viens avec nous ? Ça pourrait être cool, proposa t-elle, enchantée à l'idée de cette sortie.

Elle s'engagea dans les escaliers et lui fit signe de la suivre. Lorsqu'il eut fermé sa chambre à clé, il vint la rejoindre en enlaçant doucement ses doigts dans les siens.

— Je déteste la fête foraine, râla t-il en se laissant toujours entraîner par Halse.

— D'accord, tant pis pour toi.

— Oui, tant pis pour moi. Quelle tristesse, ironisa t-il.

Elle se retourna vivement vers lui, exaspérée.

— Tu attends que j'avoue que veux absolument que tu viennes, c'est ça ?

— Ah non, c'est plutôt toi qui attends que j'avoue que finalement j'ai envie de venir.

Elle fronça les sourcils en se mordillant la joue. Il en profita pour lui lancer une pique.

— Merde, c'était une phrase trop compliquée pour toi, je m'excuse, plaisanta t-il en tentant de cerner sa réaction à cette taquinerie.

— Faux. Si tu ne veux pas venir, tu ne viens pas. Sache que je m'en fiche, répondit la jeune fille en haussant les épaules d'un air faussement désintéressé.

— Ça marche. Alors je ne viens pas. décréta t-il, décidément déterminé à la faire craquer.

Il voulait tester ses limites, aujourd'hui. Halse s'en mettait beaucoup trop toute seule, lorsqu'ils étaient un peu trop proches elle s'éloignait toujours aussitôt.

— Super.

Ils marchèrent jusqu'à parvenir à un petit canapé, situé juste à droite de la grande porte d'entrée. Ils prirent confortablement place sur celui ci, particulièrement proches. Le bras de Christian entourait d'un geste protecteur ses épaules, et elle se laissa finalement tomber contre celui ci.

— Qu'est ce qui nous arrive ? souffla Halse en fermant les yeux.

— Qu'est ce que tu veux dire par là ?

Elle baladait son regard partout autour d'elle, n'osant pas le poser sur son visage. Une boule se forma dans sa gorge.

— Nous.

Elle marqua une pause.

— J'ai l'impression, continua Halse, que tout ça va se terminer bientôt, tout ce qui se passe entre nous va s'achever dès que tu vas partir. Et que je vais être détruite. Je visualise déjà la scène, toi qui pars comme si c'était normal, moi qui pleure, c'est...

— Stop, la coupa t-il. Je ne partirai pas, du moins si je pars, je reviendrai, crois moi.

— Dans tous les cas, tu partiras. Tu es en vacances, je me trompe ? Je m'attache à toi comme si tu allais rester pour toujours, c'est puéril.

Ne sachant trop quoi répondre, il cala simplement la tête de la jeune fille au creux de son cou. À la manière dont sa jambe tremblait de manière incontrôlée, il comprit que ce sujet l'angoissait beaucoup.

— Bref, tu me fais une surprise à l'intérieur de ta chambre ? demanda t-elle pour changer de sujet.

Cette fois, il ne pouvait pas mentir. Quelque chose en lui l'en empêchait, lui qui d'habitude ne s'empêchait jamais de rien. Il n'avait pas la force de lui mentir, c'était son cœur qui parlait.

Son plan avait beau se dérouler d'une perfection quasi inouïe, il restait persuadé qu'il ressentait des choses, comme tout le monde.

— Non, avoua t-il.

Elle se redressa, étonnée.

— Non ? Je ne t'en veux pas, mais peux tu me dire pourquoi tu ne voulais pas que je regarde l'intérieur de ta chambre, alors ?

Il baissa la tête.

— Non, souffla t-il encore.

Ce simple mot lui avait arraché une partie de son coeur. Il avait beau mentir sur toute la ligne à ce bout de femme, cette fois ci c'était impossible.

Halse s'inquiéta, son coeur battait à toute allure.

— Tu pourras me le dire un jour ? chuchota t-elle doucement.

— Halse, dans cette situation précise, tu seras mieux dans l'ignorance que dans le savoir, crois moi.

Elle hocha douloureusement la tête, les yeux emplis de larmes, puis s'assoupit contre son coeur.

Il la trouvait somptueuse.

Non loin de là, cachée derrière un des immenses murs qui encadraient l'entrée, deux pupilles attentives les observaient.

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