Chapitre 45 - FIN
— Putain ! jura Gaëtan à voix basse, en se carapatant quelques mètres plus loin afin de ne pas se faire repérer par Christian.
Le dilemme avait été trop insoutenable. Voir Christian pointer son arme contre la tempe de son amie avait été la goutte qui avait fait déborder le vase.
Alors, il avait tiré. En s'efforçant d'être le plus précis possible, en y mettant toute sa rancœur.
Seulement, la balle avait raté Christian de quelques centimètres et provoqué des hurlements provenant de quelques visiteurs.
Le grand métisse se cachait comme il le pouvait, mais c'était trop tard : Christian savait désormais qu'il se trouvait au premier étage. La trajectoire de la balle l'avait trahi.
Tout leur plan était compromis.
Halse, en contrebas, avait poussé un cri strident en s'effondrant violemment contre le sol. Lorsqu'elle s'était aperçue que la balle n'avait pas touché Christian, elle n'avait pas sut comment réagir. Pourquoi n'était t-elle pas déçue ?
Pourquoi était t-elle soulagée que la balle ait atterri dans le vide, que Christian ne soit pas mort ?
C'était le plan, il devait mourir. Alors pourquoi était t-elle tiraillée par autant d'émotions contradictoires ?
Non. Tu ne peux pas être attachée à lui, songea t-elle, sa paume de main posée contre son cœur.
Ce n'était pas possible. Pas après tout ce qu'il lui avait fait subir.
Lorsque Christian pointa son arme à l'endroit exact où se situait Gaëtan, à l'étage, le cœur d'Halse manqua un battement.
Sous l'effet de la panique, Ornélis hurla en sortant de sa cachette. Il était hors de question que celui qu'elle aime soit victime de tout ce cirque.
La petite blonde se précipita au côté d'Halse, son but étant d'attirer l'attention du tueur sur elle, ce qui fonctionna très bien.
Lorsque Christian l'aperçut, un rictus s'installa sur ses lèvres.
— Tiens, salut, prononça t-il, avant de diriger son énorme arme à feu vers la nouvelle venue.
À cet instant, Ornélis réalisa que sa vie était en jeu. C'était là une sensation étrange, qui faisait pulser l'adrénaline dans ses veines.
Mais tant que Gaëtan, là haut, était en sécurité, alors sa propre vie lui importait peu.
Le tueur s'avança dangereusement d'elle, le regard menaçant.
— Gaëtan, je sais que tu me vises ! Si tu passes à l'action, je tire une balle dans la tête de ta copine ! s'époumona t-il sans relâcher sa garde.
Le concerné, à l'étage supérieur, se crispa. Il était pris au piège. Jamais il ne tirerait en mettant en danger la vie d'Ornélis, jamais.
Quelques visiteurs alarmés parcouraient les couloirs en courant, et Gaëtan se releva en prenant garde de se cacher derrière un mur.
Il montra son arme au peu de clients qui déambulaient, paniqués, et articula les mots suivants :
— Rentrez dans vos chambres. S'il vous plaît.
Horrifiés à la vue de ce revolver, ils s'exécutèrent. Une fois les couloirs de nouveau déserts, le grand métisse reporta son attention sur Ornélis.
Constant, caché plus loin derrière un mur, lui jetait des regards affolés. Que fallait t-il faire ? Il n'en avait pas la moindre idée.
Soudain, il vit Christian contourner les deux filles et se précipiter vers le sous sol.
— Merde, merde, merde ! jura Gaëtan à voix haute cette fois ci, en observant l'assassin se rapprocher du coffre où était stocké l'argent.
Halse hurlait le nom de Christian, paniquée, mais il ne l'écoutait pas une seule seconde.
D'un regard entendu, les deux garçons dévalèrent les longs escaliers, leurs armes à la main.
Loin devant eux, Christian défonçait la porte du sous sol par de puissants coups de pieds.
Halse accourut chercher l'arme qui était cachée dans un des tiroirs du bar, une de leur cachettes en cas d'urgence.
C'était un cas d'urgence.
Entre deux verres de cocktail, elle trouva rapidement l'arme à feu qui y était cachée.
Elle le rechargea en quelques secondes, déterminée. Puis, elle lança un regard entendu aux deux garçons et tous les trois, ils s'engagèrent à la poursuite de Christian.
— Ornélis, reste là ! ordonna la jeune femme d'une voix forte.
Il était inhabituel pour les trois adolescents de voir Halse dans un tel état de rage.
Sa naïveté et son innocence d'autrefois semblaient avoir disparus. Désormais, elle incarnait une jeune femme forte et à la fois vulnérable, animée par une soif de vengeance inégalable.
Malheureusement pour eux, ils n'eurent pas le temps de se lancer à la poursuite de l'assassin que cinq coups de feu d'affilée retentirent.
— Christian est en train de forcer le coffre ! Il va récupérer l'argent, putain ! s'écria Gaëtan, ne sachant plus quoi faire.
Halse réfléchit à toute vitesse, sous les bruits assourdissants des balles provenant du sous sol.
— Il ne peut ressortir que par la porte. On va la surveiller, et attendre son retour, d'accord ? annonça t-elle.
Ils hochèrent tous simultanément la tête, et pointèrent leurs armes en direction de la porte en débris.
Leur cible se trouvait à l'intérieur. Il ne restait plus qu'à ce qu'elle pointe le bout de son nez.
Un nouveau vacarme provenant du sous sol les fit sursauter. Il s'agissait de coups contre du métal suivis de quelques coups de feu supplémentaires.
— Il récupère de l'argent, où il détruit le mobilier ? s'agaça le grand métisse, son index pressé contre la détente.
— Chut, murmura Halse, attentive. Ornélis, viens derrière moi, t'as rien pour te défendre.
La blondinette s'exécuta, bien qu'elle détestait par dessus tout se retrouver en position de faiblesse. Elle avait tellement envie d'avoir une arme en main, là maintenant, et de pouvoir pulvériser Christian. Mais elle n'en dit rien, et se plaça docilement derrière Halse.
Quelques secondes interminables s'écoulèrent. Les adolescents entendaient des coups incessants provenant du sous sol, et ils se trouvaient tous dans un état de panique ingérable.
— Il est en train de prendre tout l'argent, on peut pas le laisser faire, putain ! s'indigna Ornélis, révoltée.
Halse lui lança un regard noir. Son arme rivée vers la porte, elle soupira.
— Le sous sol est un cul de sac, il devra obligatoirement sortir par cette porte. On est quatre contre lui, il n'ira pas bien loin, les rassura t-elle, concentrée.
— Ornélis, fait attention à toi, grommela Gaëtan en lui jetant un regard entendu.
Le moment fatidique approchait dangereusement, et même si elle n'en laissait rien paraître, Halse était tout simplement terrifiée. Terrifiée à l'idée que tout ce cirque tourne mal, que quelqu'un finisse blessé, ou encore que Christian s'échappe avec l'argent.
Son rythme cardiaque battait des records, tandis que la boule d'angoisse dans sa gorge grossissait à chaque seconde. Elle déglutit, stressée.
Soudain, des pas se firent entendre. D'un geste accordé, Constant, Halse et Gaëtan ajustèrent leurs armes en direction de la porte.
Le temps semblait s'être arrêté. Chaque pas de Christian qui remontait les escaliers résonnait au plus profond de chacun, comme un écho.
Soudain, le tueur passa le pas de la porte.
D'un geste nonchalant, il balança un énorme sac certainement rempli d'argent contre le sol. Puis, il scruta les quatre adolescents sans rien dire, son immense calibre maintenu par sa main gauche.
— Comme vous pouvez le voir, j'ai récupéré l'argent. Maintenant, baissez vos armes, ou...
Il éleva brusquement son arme en direction d'Ornélis.
— ...la petite va y passer avec moi, termina t-il.
Gaëtan paniqua. Ornélis était son point faible, il en était désormais parfaitement conscient.
— Ne la touche pas, menaça t-il d'une voix étonnamment basse.
Le grand métisse était suffisamment proche de Christian pour l'atteindre en un tir, mais l'épée de damoclès qui planait au dessus d'Ornélis l'empêchait de passer à l'action. Il resserra sa prise sur son arme. Tout se jouait maintenant, et pourtant il était bloqué.
Soudain, sans que personne ne s'y attende, Constant relâcha son arme, qui s'écroula contre le sol dans un fracas. Les adolescents se regardèrent, interloqués.
Constant s'élança à toute vitesse vers le sac d'argent, et s'empressa de le hisser sur son épaule gauche, sous le regard affolé de ses amis. Il se mit à courir sans s'arrêter, déterminé.
— Constant ! Constant ! hurlait Halse dans l'espoir de le retenir, sous le choc.
Que faisait t-il, au juste ?
Sans leur jeter un regard, il prit la direction de la sortie, en manquant de tomber par terre plus d'une fois.
— Constant, putain ! Qu'est ce que tu fous, reviens ! s'écria Gaëtan, hors de lui.
Tout était hors de contrôle : Constant venait littéralement de s'enfuir avec l'argent. Il venait de les trahir ouvertement, tous les trois, sans remords. Était t-il un traître depuis le début ?
— Quel fils de pute ! s'époumona le grand métisse, en surveillant du coin de l'œil que Christian ne s'échappe pas à son tour.
Un sourire satisfait s'imprima sur les lèvres du tueur, ce qui eut le don de faire sortir Gaëtan de ses gonds.
Halse se trouvait toujours à côté de la petite blonde, Gaëtan pouvait voir sa main trembler, faisant trembler son arme par la même occasion. Des larmes ruisselaient abondamment le long des jours d'Ornélis.
Cette dernière jeta un regard à Gaëtan qui lui fendit le cœur. Il n'avait jamais vu Ornélis pleurer, depuis l'épisode de la chambre.
Il avait envie de se précipiter vers elle, de la couvrir de tendresse pour que ses pleurs cessent, mais c'était impossible. Pas maintenant. Soudain, la petite blonde fit un geste qui le laissa bouche bée.
Le visage déformé par la terreur, elle fit deux pas vers lui. Puis trois, et quatre.
Halse et Gaëtan comprirent que c'était l'occasion rêvée pour achever Christian. Ils comprirent que leur amie mettait sa vie en péril pour arranger la situation.
Alors, d'un même geste accordé, ils pressèrent tous les deux la détente de leurs armes.
Tout s'enchaîna en une fraction de seconde.
Deux balles quasiment synchronisées s'enfoncèrent dans la poitrine de Christian. Celui ci laissa échapper un hurlement de douleur avant de s'écrouler sur le sol.
Cependant, un troisième tir inattendu s'était fait entendre.
Le petit corps d'Ornélis, à seulement un mètre de Gaëtan, chavira violemment vers la gauche, ses jambes cédèrent brusquement. La jeune femme laissa échapper un cri étouffé, sa main élevée dans les airs, comme une légende qui tirait sa révérence. Ses cheveux blonds flottaient gracieusement dans les airs tandis que son corps, inerte, s'écroula contre le sol.
À ce moment précis, Gaëtan et Halse se fichaient du corps de Christian et de sa mort.
Il venait de tirer sur Ornélis.
Sans aucune pitié. Comme il l'avait fait avec Niño.
Gaëtan ne savait plus ce qu'il faisait. Il se précipita par terre et avait la terrible impression que son monde s'écroulait. Ce n'était pas possible, cela ne pouvait pas être réel. Il ne savait pas si il pleurait, si il criait. Il avait l'impression d'avoir perdu tous ses sens, seule l'affreuse douleur de la vision d'Ornélis par terre résonnait en lui.
Halse, elle, ne savait plus où donner de la tête. La jeune femme se précipita vers la réception et, d'une main tremblante, composa le numéro des urgences sur le téléphone fixe. Elle jeta un œil derrière elle, bien que sa vue était brouillée par les larmes : elle vit Gaëtan secouer Ornélis par les épaules, et prononcer des choses incompréhensibles penché au dessus d'elle.
C'est un cauchemar, songea t-elle, tentant désespérément de se réveiller.
— Allô ? la voix d'une jeune femme résonna à l'autre bout du fil.
Halse s'efforçait de respirer calmement, de souffler, mais elle ne
parvenait plus à articuler. Ses mains lâchèrent presque le téléphone sous l'effet de ses tremblements incessants, mais elle le rattrapa de justesse. Son cœur tambourinait dans sa poitrine, elle n'avait l'impression d'entendre que cela et avait l'estomac au bord des lèvres.
— Je...Oui, Merlin... balbutia t-elle, la vue floutée par les larmes.
— Respirez, mademoiselle. Que se passe t-il ? Où vous situez vous, quelle est votre urgence ?
Elle jeta un regard apeuré autour d'elle. Gaëtan était toujours penché sur le corps de la petite blonde. Quelques mètres derrière, le corps de Christian gisait lui aussi dans une flaque de sang qui grandissait à chaque seconde.
— Merlin, articula t-elle en rassemblant ses dernières forces.
— Gîte Merlin ? Route de Genevienne ? Est-ce là où vous vous situez ?
— Ou...oui.
La femme lui parlait. Halse ne l'écoutait pas, elle l'entendait seulement. Sa voix était comme un fond sonore de l'affreuse scène qui se déroulait sous ses yeux en ce moment même. En secouant presque violemment sa tête, Halse reprit soudainement le fil de la conversation.
— Le samu est en route, mademoiselle, vous m'entendez ?
Elle étouffa un violent haut le coeur en plaquant sa main contre sa bouche. Une flaque de sang commençait à se répandre autour d'Ornélis. Gaëtan la suppliait de tenir le coup, il la secouait en collant son front contre le sien.
C'était un cauchemar.
— Mademoiselle, parlez moi. Qu'est ce que vous voyez ? réitéra la femme à l'autre bout du fil.
Halse ne fit pas attention aux paroles de son interlocutrice. Soudain, elle réalisa l'ampleur de la situation.
Ils venaient de tirer sur Christian. Dès que les secours arriveraient, ils appelleraient la police. Ils allaient être jugés en justice. Tout était fini, à partir de maintenant, ils allaient passer leur vie derrière les barreaux, tout simplement. Elle s'effondra contre le bureau de la réception, et laissa par la même occasion le combiné de téléphone tomber par terre. C'était trop, tout s'enchaînait bien trop vite pour qu'elle ne le supporte.
D'un pas bancal, les yeux rougis, elle se releva pour s'approcher de Gaëtan.
Il pleurait. C'était la première fois qu'elle le voyait pleurer. Deux larmes dévalaient les joues du grand métisse, du coin de ses yeux jusqu'aux muscles de sa mâchoire.
Agenouillé au dessus du corps d'Ornélis qui baignait dans un liquide d'un rouge profond, il s'effondrait sans pouvoir la lâcher. Ses yeux étaient traversés d'une souffrance indescriptible. Sa main droite était entremêlée dans les jolies mèches blondes de la jeune femme, tandis sa main gauche caressait tendrement sa joue.
— Gaëtan... murmura Halse. Qu'est ce qu'on a fait...
Le jeune homme inspira profondément, le visage trempé. Chaque seconde, le visage d'Ornélis se détendait, et la quantité de sang qui évacuait son corps grandissait.
Chaque seconde, ses paupières se fermaient un peu plus, lentement.
Chaque seconde, ses deux lèvres, entrouvertes, prononçaient le nom de Gaëtan dans des souffles presque inaudibles.
— Reste, reste, encore quelques petites minutes, ils vont... ils vont arriver... supplia Gaëtan en collant son front contre le sien.
Halse avait cru les entendre s'échanger un "je t'aime" mais elle n'en était vraiment pas sûre. Peu importe qui aimait qui désormais, leur avenir était foutu. D'une main tremblante, l'adolescente agrippa l'épaule du grand métisse. Celui ci se retourna aussitôt, sans détacher ses mains du visage d'Ornélis.
— Les secours arrivent ? Dans combien de temps ? Dis leur de se dépêcher, vite ! s'agita t-il, perdant tous ses moyens.
Halse déglutit et essuya les larmes qui trempaient son visage du revers de sa main.
— Gaëtan, on peut pas rester là... sanglota t-elle, parfaitement consciente de ce qui l'attendait à la fin de toute cette histoire.
— Je reste ici, trancha t-il. Échappe toi si tu veux, cours, pars. Je reste avec elle...
Il jeta un regard à la petite blonde, dont les paupières étaient désormais totalement fermées.
— ... je reste avec elle jusqu'au bout, termina t-il dans un souffle, abattu.
— Mais, on doit partir... On va finir en prison...
Halse ne réfléchissait plus par elle même, elle suivait son instinct. À cet instant, son instinct lui criait juste de sauver sa peau avant qu'il ne soit trop tard. Ce n'était sûrement pas ce qu'elle désirait vraiment, au plus profond d'elle même.
Gaëtan, lui, ne se laissait pas emporter par la panique. Peut être avait t-il raison.
Halse ne bougea pas d'un centimètre.
Elle ne pouvait pas partir seule. Elle en était incapable, elle n'avait plus la force. Alors, elle demeura là, debout, impuissante. Face à ces deux corps inertes, l'un dont la mort était plus que méritée, et l'autre dont la mort était tout ce qu'il y avait de plus injuste. Des visiteurs se pressaient et s'agitaient au premier étage, paniqués. Certains criaient même devant ce spectacle horrifiant.
Halse ferma les yeux et inspira profondément. Ses pensées se dirigèrent aussitôt vers son cousin. Son supposé cousin, qui l'avait trahie, et qui, à l'heure actuelle, vagabondait Dieu sait où avec une somme d'argent gigantesque.
Constant était bien le seul qui sortait de cette histoire victorieux, finalement.
il s'était enfui avec l'argent. Il les avait trahis depuis le début. Il n'était sûrement, par conséquent, pas son cousin.
Gaëtan avait vu juste.
Depuis le début.
Depuis ce soir, où il avait prévenue Halse dans les toilettes de se méfier de lui.
Finalement, certes, lui aussi avait fini par accorder sa confiance à Constant, mais cela n'avait pas empêché sa lucidité foudroyante d'avoir percé le traître à jour, dès le départ. Dès la première seconde.
Gaëtan était son sauveur. Il incarnait l'espoir, la vivacité d'esprit et le courage. Prise d'un élan, elle se jeta sur lui et le serra dans ses bras en y mettant tout son désespoir, tout son amour pour lui.
Ils se retrouvèrent alors là, tous les deux réunis au dessus du corps d'Ornélis, réunis dans une étreinte débordant de tristesse, de solidarité et d'amitié. Plus soudés que jamais, ils s'apprêtaient à affronter une nouvelle épreuve, sûrement la plus gigantesque de toutes : l'éclatement de cette histoire au grand jour.
Dix minutes d'une lenteur affreuse s'écoulèrent, durant lesquelles Ornélis se vidait de plus en plus de son sang. Les adolescents ne le savaient pas, mais les secours n'étaient plus qu'à deux minutes du gîte.
Tout ce périple allait t-il finalement se terminer ? Enfin ? Allaient t-ils voir le bout du tunnel, après tout ce temps ?
•
6 mois plus tard...
— Gaëtan ? Tu peux aller me chercher de l'eau, s'il te plaît ? J'ai soif, quémanda la mère d'Halse, confortablement installée dans son fauteuil.
Le grand métisse hocha la tête. Il portait une chemise noire, qui dévoilait élégamment le haut de son torse, ainsi qu'un pantalon en lin. Il se déplaça vers la cuisine, et se mit à remplir un verre d'eau. Ses pensées divaguaient sans qu'il ne s'en rende compte vers les événements récents, si bien que l'eau déborda du petit gobelet qu'il tenait dans ses mains.
— Merde, jura t-il en éteignant le robinet.
Il regagna le salon, où Halse et sa mère discutaient calmement. Le feu de cheminée crépitait doucement à côté d'elles, créant une lueur dorée sur leurs silhouettes.
— Tenez, fit t-il en tendant poliment le verre d'eau à Estelle.
Elle le remercia d'un signe de tête. Elle combla sa soif, et balaya du regard la grande pièce dans laquelle ils se trouvaient.
Ils se trouvaient tous les trois dans une grande maison de campagne appartenant à la mère d'Halse, située non loin du gîte Merlin.
Le gîte avait fermé ses portes, depuis que ça s'était passé. Momentanément ou pour toujours ? Ça, personne ne le savait. Dans tous les cas, la fermeture était inévitable. Sa réputation était au plus bas, peu de visiteurs désiraient encore passer leurs vacances dans un endroits où des gens ont perdu la vie.
Halse lança un regard furtif à Gaëtan.
Tout chez la jeune femme avait changé. Elle avait coupé ses cheveux en un carré très court, et désormais ils n'étaient plus violets, mais d'un noir profond. Un tel changement n'était pas anodin, son passé pesait bien trop sur l'ancienne version d'elle même, elle avait eu besoin de changement.
Elle était assise non loin de sa mère, les jambes croisées. Son regard était froid, son visage fermé. Son menton était accoudé contre son poing, tandis que ses yeux scrutaient attentivement sa mère.
Halse se décida finalement à briser le silence qui régnait dans la pièce.
— Le procès est toujours prévu en septembre ?
Dès que le SAMU était arrivé, ils avaient contacté la police. Gaëtan et Halse avaient terminé en garde à vue pour la soirée. Cependant, aucune arme ne prouvant leur culpabilité ne se situait sur les lieux du crime.
Lorsque la jeune femme était occupée au téléphone, Gaëtan s'était empressé de balancer les deux armes à feu contenant leurs empreintes digitales par la fenêtre.
De toute ses forces, il avait lancé les deux revolvers le plus loin possible, sans que son amie ne s'en aperçoive. Les armes s'étaient fondues dans le paysage.
En faisant cela, il leur avait épargné l'aller sans retour en prison. La police avait bien évidemment mené une enquête, et avait fouillé l'intégralité du gîte. Mais les armes pouvant les incriminer étaient dissimulées, quelque part autour du gîte, sûrement dans la forêt. Jusque là, et fort heureusement, personne ne les avait retrouvées.
Cependant, une femme d'une cinquantaine d'années les avait vus tirer sur Christian, postée à la rambarde du premier étage. Alors, avec le soutien d'autres visiteurs, elle avait porté plainte contre les adolescents pour avoir mis leur vie en danger.
Ce qui n'était, en soi, pas totalement faux.
Le corps de Christian avait été embarqué, sous les yeux d'Halse. Sur ce brancard, immobile, inerte. Dénué de toute forme de vie.
Celui qui avait renversé son destin, et au passage tout son gîte, avait échoué sous ses yeux.
Christian avait perdu. Il avait perdu tout son combat, mais aussi sa propre vie. Quelle était sa vie, d'ailleurs ? Qu'est ce qui l'attendait à l'extérieur, une famille, des amis, des ennemis ?
Halse ne le savait pas, et ne le saurait jamais. Elle n'avait connu que l'enveloppe de Christian.
Elle n'avait connu que la carapace de celui qui était arrivé au gîte, qui avait renversé son destin, qui avait piétiné sa vie entière, et qui était parti.
La vois de sa mère la sortit brusquement de sa rêverie :
— Oui. L'avocat que j'ai embauché fera de son mieux, vous n'avez pas à stresser. Vous étiez des jeunes mineurs face à un psychopathe majeur. En plus, l'avocat a retrouvé les antécédents de Christian, il était atteint psychologiquement. Dormez sur vos deux oreilles.
La jambe d'Halse se mit à tressauter nerveusement. Elle jeta un regard inquiet
un Gaëtan, toujours debout.
— Maman, si la police se met à enquêter sur la mort d'Alison et de Niño, on est foutus. On ne s'en sortira pas comme ça, riposta t-elle en passant une main dans ses cheveux noirs.
— Elle a raison, approuva le grand métisse en fourrant ses mains dans ses poches. Au lieu de dénoncer Christian dès le début, nous avons mis des vies en danger. Nous sommes des criminels, c'est définitif...
Estelle soupira bruyamment, tendue. Ces deux jeunes s'avéraient si bornés, parfois.
— La mort d'Alison est affaire classée, elle s'est suicidée, personne ne l'a tuée, point. Et concernant Niño, il... personne ne sait qu'il est mort, j'ignore moi même où il est et je préfère ne rien savoir, souffla t-elle. C'est une disparition, pas une mort.
Gaëtan s'avachit à son tour sur un fauteuil. Toute cette histoire allait le rendre fou.
Il pensa à Ornélis.
À son visage si angélique.
Puis, une voix l'extirpa brusquement de sa rêverie.
— Gaëtan ? répéta Halse.
— Oui, pardon, j'étais distrait, s'excusa t-il en replaçant ses lunettes sur son nez. Quoi ?
— Ton train, il repart quand ?
— Je repars à Paris dans neuf jours, j'ai le temps.
En effet, dès la fermeture du gîte Merlin, tous les visiteurs, y compris les colonies de vacances, avaient été renvoyés chez eux. Gaëtan était donc retourné à Paris, dans le petit studio que son foyer social lui avait loué. Il avait ensuite pris le train pour revenir dans le Nord de la France rendre visite à Halse et sa mère, et il était arrivé depuis une journée.
Leur maison de campagne était gigantesque, et comprenait largement assez de chambres pour le loger. De plus, elle possédait un petit côté chaleureux qui l'apaisait, lui qui n'avait pas l'habitude d'être ainsi choyé.
— Et Ornélis ? demanda Halse en haussant les sourcils.
— Ornélis ?
— Oui, quand est ce qu'elle repart ?
— En même temps que moi, affirma Gaëtan. Je l'accompagnerai à la gare.
Halse opina.
Contre toute attente, les urgences avaient maintenu Ornélis en vie. La balle lui avait transpercé l'abdomen, mais n'avait touché aucune artère. Les médecins étaient parvenus à stopper l'hémorragie et l'avaient placée sous transfusion plusieurs semaines. Ornélis en garderait des séquelles à vie : plus de course, plus de nage, et une cicatrice plus que visible.
Ce sauvetage était inespéré. Gaëtan et Halse s'étaient pourtant mentalement préparés à cette perte, dévastés. La survie d'Ornélis était apparue comme un miracle, un cadeau du ciel. Halse n'en revenait toujours pas. Et Gaëtan, il avait tout simplement l'impression de revivre.
Était-ce son père, qui lui envoyait un signe, de là haut, en récompense de tout son courage ?
Peu importe, Ornélis était en vie et c'était le principal.
— Toujours pas de nouvelles de Constant ? questionna Estelle, curieuse.
Halse fit non de la tête. Elle avait tout expliqué à sa mère : sa rencontre avec Constant, son prétendu "cousin" qui les avait bien dupés depuis le début. Ni elle, ni Gaëtan, ni Ornélis n'avait encore digéré ce retournement de situation.
Halse n'en revenait toujours pas. Depuis le début, tous ces sourires, tout ce soutien, toute cette amitié, tout était entièrement faux ?
Constatant bien que l'adolescente avait du mal à parler, Gaëtan préféra prendre la parole :
— Non, souffla t-il, tendu. Il s'est enfui. Il est peut être même hors de la France, qui sait. Peut être même qu'à l'heure actuelle, il s'appelle Ronaldo et qu'il roule dans une Ferrari à New York. Je m'en tape, je ne veux plus jamais le revoir dans tous les cas.
Estelle lâcha un petit rire. C'était tellement fou qu'elle préférait en rire qu'en pleurer. Cet inconnu sorti de nulle part leur avait dérobé plus d'un quart de leur fortune, tout simplement.
Peut être qu'il collaborait avec Christian depuis le début, qui sait ? Halse pensait cela. Gaëtan, lui, pensait que les deux hommes n'avait rien à voir l'un avec l'autre. Qu'ils avaient juste collaboré ensemble pour récupérer l'argent, mais qu'ils avaient bien deux objectifs différents.
Peu importe, ils ne connaîtraient jamais la réponse à cette question. Autant passer à autre chose et tourner la page, même si cette page s'avérait particulièrement éprouvante.
Une telle trahison n'était pas qu'une page à tourner, c'était un livre entier qu'il allait falloir brûler.
Soudain, des petits pas provenant des escaliers attirèrent leur attention. Comprenant directement de qui il s'agissait, le grand métisse se précipita dans le couloir pour aider la blessée à se déplacer.
Il tomba nez à nez avec Ornélis, qui boitait légèrement tout en affichant une petite grimace de douleur. Après une telle blessure, chaque mouvement s'avérait torture.
— Je vais t'aider, annonça Gaëtan, determiné.
— Non, je te jure, j'arrive à marcher. C'est juste que... aïe, putain ! jura t-elle en se tortillant une nouvelle fois de douleur.
Gaëtan eut un petit mouvement de tête désespéré. Qu'est ce qu'elle pouvait être têtue. De sa main droite, il attrapa doucement son menton, et rapprocha son visage du sien. Aussitôt, la respiration d'Ornélis accéléra et leurs lèvres se scellèrent bientôt dans un baiser débordant de douceur.
Il ne saurait pas expliquer l'évolution de leur relation depuis qu'ils s'étaient rencontrés au gîte. Plus le temps passait, plus c'était puissant, passionnel, et paradoxalement plus c'était doux. Ils se disputaient toujours, quelques fois : leurs deux caractères bien trempés faisaient souvent des étincelles.
Mais quelques étincelles parmi le feu gigantesque qu'était leur amour, ce n'était trois fois rien.
— Bien dormi ? questionna t-il en se courbant de plusieurs centimètres pour que la jeune femme puisse s'accouder sur ses épaules.
— Ouais, marmonna t-elle, toujours dans les vapes. Halse et sa mère sont dans le salon ?
Il acquiesça, et quelques secondes plus tard, ils avaient rejoint la mère et sa fille près de la cheminée. Une cheminée à l'approche de l'été, décidément cette famille n'était pas commune.
— Ornélis ! Comment te sens tu ? s'empressa de questionner la propriétaire des lieux.
Elle balbutia un timide "bien" avant de s'installer sur le petit sofa inoccupé.
Elle se sentait toujours un peu intimidée face à la mère d'Halse. Sûrement à cause de l'immense somme d'argent qu'elle possédait, de la stratégie qu'elle avait mise en place pour protéger sa fille, ou du courage dont elle avait fait preuve pour gérer le gîte seule en l'absence de son mari. De plus, elle s'était brillamment sevrée de son addiction aux drogues et leur avait fourni des armes sans lesquelles ils n'auraient pas pu contrer Christian.
Son parcours était admirable, c'était impressionnant.
— Vous êtes là quelques jours, on en profitera pour régler quelques papiers pour le procès, et je vous ferai visiter les alentours avant que vous ne partiez, annonça Estelle d'une voix douce, presque maternelle.
À l'entente de ces mots, Ornélis soupira bruyamment. Son petit carré blond avait beaucoup poussé, désormais ses cheveux lui arrivaient en dessous des épaules.
— J'ai pas envie de rentrer, grommela cette dernière. Mes parents ont pété un câble quand ils ont appris tout ce qu'il s'était passé. Pas contre moi, mais contre celui qui m'a tiré dessus. Heureusement qu'ils ne savent pas quel rôle j'ai joué dans cette histoire, sinon à l'heure actuelle je serais morte et enterrée.
Soudain, Gaëtan planta ses prunelles noires dans les siennes.
— Tu veux pas rentrer chez toi ?
— Non ? fit Ornélis, comme si c'était la chose la plus évidente du monde.
Il inspira profondément, puis il murmura d'une voix basse, pour qu'elle seule ne puisse l'entendre :
— Viens vivre chez moi.
Le visage d'Ornélis se décomposa, l'air de dire "mais qu'est ce que tu me racontes ?". Elle chercha une faille dans son regard, quelque chose qui prouverait qu'il rigolait, mais rien. Il avait l'air totalement sérieux.
— On en reparle plus tard, fit t-il finalement en faisant glisser sa main contre sa cuisse, constatant bien qu'elle était trop troublée pour répondre.
Il pivota de nouveau vers la mère d'Halse.
— Merci de nous héberger, en tout cas, la remercia t-il poliment, laissant une Ornélis déboussolée par sa proposition à ses côtés.
Sous le regard perplexe des adolescents, Estelle s'esclaffa bruyamment.
— Toi, ne t'avise pas de me remercier ! Tu as littéralement sauvé la vie de ma fille, le gronda t-elle gentiment.
Gêné, Gaëtan n'eut d'autre réaction que de sa frotter la nuque en arborant un petit rictus. Halse lui adressa un sourire ému, rempli d'émotion.
Il crut voir la commissure de ses lèvres trembloter, comme si elle allait pleurer. Mais soudain, elle tourna la tête dans la direction opposée. Peut être qu'il avait mal vu, après tout.
La mère d'Halse se leva brusquement de son fauteuil, faisant au passage virevolter le long châle qui couvrait ses épaules. Puis, elle se dirigea vers la grande baie vitrée et ouvrit grand les rideaux, révélant l'éclatante lumière du jour aux adolescents, qui plissèrent les yeux.
Ils se levèrent, et s'approchèrent lentement de la vitre en verre.
Le cadre était à couper le souffle. Une forêt s'étendait devant eux sur des milliers de kilomètres, et un lac aux lueurs argentées était visible un peu plus loin. Sans même s'en apercevoir, ils se positionnèrent tous les quatre en une sorte de ligne.
Ornélis, tout à gauche, était agrippée au bras droit de Gaëtan, et l'admirait en s'imprégnant mentalement de chacun de ses traits. Elle ne voulait jamais l'oublier, quoi qu'il arrive. Elle l'aimait inconditionnellement, elle en était sûre désormais.
Gaëtan, lui, fixait l'horizon, serein. Rien n'était certain dans cet avenir qui avait tout pour chavirer, et pourtant il se sentait à sa place.
Halse, à sa droite, avait la tête posée sur son épaule, et sa main agrippait fermement celle de sa mère.
Elle se reposait sur Gaëtan comme elle l'avait si bien fait six mois auparavant.
Elle s'accrochait à sa mère, car elle ne voulait jamais la perdre. Jamais. Elle était ce qu'il lui restait de plus précieux sur celle planète.
Bien plus précieuse que le gîte, bien plus précieuse que tout l'argent qu'elles possédaient. Sa mère était la prunelle de ses yeux.
— Regardez comme c'est beau ! s'exclama Estelle, ravie du paysage qu'offrait sa baie vitrée.
Halse tourna la tête vers elle, tendrement.
Demain allait être incertain. Les mois à venir allaient être pénible, elle le savait.
Mais pour Alison et pour Niño, tous les quatre, ils allaient se battre jusqu'au bout.
Se battre pour enfin être libres, pour pouvoir enfin vivre sans craintes, sans peurs.
Se battre pour son père, qui de là haut devait être si ému de l'observer ainsi. Sa fille, Halse, était devenue cette femme. Cette femme si courageuse.
Halse serra davantage sa prise sur la main de sa mère, émue.
Dès les premiers pas de Christian dans ce gîte, leur destin avait été tracé. Ils étaient destinés à échouer. Et pourtant, ils avaient réussi à dévier cette trajectoire qui semblait si inévitable.
Leur détermination ne s'arrêterait pas là.
Passionnelle, tranquille et si douce : demain aurait cette saveur.
Cette saveur d'amour.
Cette saveur de liberté.
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Voilà, c'est fini... Je suis super émue de publier ce dernier chapitre de cette histoire que j'écris depuis plus d'un an 😭❤️
Tous ceux qui sont restés jusqu'ici, jusqu'à la fin, tout d'abord merci ! Et ensuite, n'hésitez pas à me donner votre avis sur cette fiction qui me tient tant à cœur. :)
Prenez soin de vous, mercii beaucoup pour les lectures !
PS : une nouvelle fiction arrive bientôt, celle ci n'est que le début d'une loongue série d'histoires que je compte publier !
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