Chapitre 41

Christian tira profondément sur sa cigarette.

Le reflet des flammes dansait inlassablement dans ses pupilles.

Le feu qu'il venait de déclencher d'une simple allumette prenait de l'ampleur chaque seconde. Il consumait le corps de Niño, là, sous le regard froid de l'assassin.

Christian ne se sentait pas coupable.

L'homme qui brûlait face à lui méritait ce sort. Il avait tout prévu, depuis le début. Tout se déroulait à la perfection, son plan ne dévoilait apriori aucun défaut. Il était à deux doigts de toucher l'agent de sa proie, mais il a fallut que cette bande de fouineurs viennent se mêler à tout ça.

Et puis, comme si ce n'était pas suffisant, le prétendu barman du gîte aux allures latines avait essayé de le tuer ? Et il avait libéré Halse, s'est littéralement sacrifié pour elle ?

— Crève, lâcha t-il d'une voix rauque éraillée par la nicotine.

Il avait froid, mais son corps ne cillait pas d'un millimètre. Pas un seul tremblement, pas un seul frisson. Il était une véritable statue humaine, avec la carrure qui allait avec.

Ses muscles saillants se contractaient plus que jamais sous sa doudoune pour faire face au froid glacial. Tant mieux, cela faisait travailler ses abdominaux déjà franchement développés. Cette pensée le fit sourire. Il jeta son mégot de cigarette par terre et l'écrasa de son talon.

— Dommage, Halse, t'aurais pu en profiter, ricana t-il en se rapprochant du feu pour se réchauffer.

Il frotta ses mains entre elles et laissa sa tête basculer en arrière. En réalité, il n'avait jamais envisagé d'avoir des relations sexuelles avec Halse, cela ne faisait pas partie de ses plans. Ce n'était pas nécessaire, et de toute manière, pour coucher avec elle, il aurait fallu qu'ils franchissent ensemble un certain seuil d'affection.

Chose qu'il ne voulait pas. Il ne désirait pas la torturer, simplement l'utiliser pour arriver à ses fins.

Il enfourna ses mains dans ses poches et souffla en s'écartant du feu.

— Adieu... Niño, c'est ça ? murmura t-il en jetant un dernier regard dénué d'émotion au défunt.

Le pauvre homme était désormais en cendres. Une fois suffisamment éloigné du feu pour n'apercevoir plus qu'une petite lueur jaune de celui, Christian extirpa son revolver de sa poche de jean.

Maintenant qu'il venait d'abandonner un cadavre en cendres au beau milieu de la forêt, il fallait redoubler de vigilance. Une seule personne le croisait, et c'était fini pour lui.

Il se mit à sprinter de toutes ses forces jusqu'à la route sur laquelle il avait garé sa voiture. Voiture qui, quelques heures auparavant, contenait dans son coffre le corps inerte de Niño.

— T'es là, constata t-il en apercevant sa carrosserie d'un noir profond, stationnée au même endroit que là où il l'avait laissée.

Christian s'installa sur la place conducteur en vitesse. Il démarra le moteur, le regard froid, glacial, rivé sur la route. Il s'accorda quelques secondes de répit, et se remémora le déroulement des deux prochaines semaines.

Cette fois ci, son plan était clair, concis, et il n'y avait aucun chance qu'il échoue.

Il ne savait plus exactement le nom de ces gamins qui avaient foutu tous ses espoirs en l'air. Gaëtan, Maëlis, et qui d'autre déjà ? Nathan ? Il n'avait jamais fait attention à ces trois adolescents durant leurs sorties ensemble, toute son attention s'était entièrement focalisée sur Halse et son ex, Alison.

Son cœur se serra lorsque le prénom de celle ci résonna dans son esprit. Alison.

Là, pour la première fois depuis quatre ans, une larme roula le long de sa joue. Finement, délicatement. Ses poings se serrèrent. Elle lui manquait terriblement.

Sa mort était déjà assez horrible comme cela. Il l'avait tuée pour atteindre cet argent, parce qu'elle était un obstacle.

Il a fallu que ces jeunes viennent tout gâcher. Il a fallu qu'ils s'obstinent à tout faire capoter, à rendre la mort de l'amour de sa vie complètement inutile.

Alors, il allait récupérer cet argent, et ils allaient payer. Tous.

Il s'engagea sur la route après avoir soigneusement rangé son arme dans sa poche.

Christian allait leur faire regretter leur comportement, d'une manière ou d'une autre.


— Je viens voir Estelle Vivemont. Je suis sa fille, Halse.

— Carte d'identité, s'il vous plaît.

La jeune fille tendit sa carte d'une main tremblante à la femme d'accueil. Celle ci y jeta un rapide coup d'œil y approuva d'un hochement de tête.

— Je vais la chercher. J'arrive.

Halse se retrouva seule, et souffla, fébrile. Elle allait revoir sa mère, qui lui devait une tonne d'explications.

Sa mère savait que Niño était décédé.
Elle savait donc probablement qu'elle avait été séquestrée , mais comment ?

Quelques secondes s'écoulèrent. Soudain, sa mère fit son apparition, vêtue d'un ensemble blanc crème fourni par le centre de désintoxication. Ses traits étaient fatigués, elle semblait exténuée.

La femme de l'accueil comprit aussitôt leur besoin d'intimité, et s'éclipsa, les laissant seules toutes les deux. Halse s'approcha de sa mère, le cœur battant. Les yeux de sa génitrice se plissèrent sous l'effet de la joie.

— Ma fille, souffla t-elle.

— Maman.

— Tu es en vie...

La voix de sa mère s'était brisée en prononçant ces mots. Elle blottit son visage dans la nuque de sa fille, émue. Leur étreinte débordait d'émotion, c'était extrêmement dur à supporter, aussi bien pour l'une que pour l'autre.

— Je suis en vie, mais j'aimerais comprendre pourquoi... murmura Halse en passant tendrement une main sur le dos de sa mère.

— Le gîte va bien ? s'enquit t-elle.

Halse se dégagea aussitôt de leur étreinte, sourcils froncés.

— Arrête de changer de sujet. Explique moi ce que Niño faisait là, explique moi comment tu savais ce qu'il faisait là, explique moi...

— D'accord. Assieds toi.

Elle s'exécuta, n'ayant pas une seule seconde à perdre. Il fallait aller droit à l'essentiel. Estelle fit de même, posant délicatement son postérieur sur le banc qui se situait à côté d'elles.

— Je ne sais pas par où commencer, commença t-elle en se massant le front.

Halse haussa les épaules. Elle était en totale incapacité de l'aider, sur ce coup là. Finalement, sa mère planta son regard dans le sien.

— Pose moi tes questions, et j'y répondrai.

— Pourquoi Niño est venu me sauver ?

— Parce que j'ai embauché Niño pour te surveiller, depuis la mort de ton père. Il n'a jamais été barman. Enfin, il a suivi une minuscule formation pour avoir un minimum de crédibilité, mais...

— Pour me surveiller ? souffla Halse, perdue.

— Lorsque ton père était encore en vie, nous parlions souvent d'argent. Nous savions que notre richesse attirerait des personnes mal intentionnées, et qu'elles risqueraient de s'en prendre à toi lorsque tu toucheras ta part de... l'argent du gîte. Parce que tu es la plus vulnérable de la famille, et que notre gîte est réputé dans toute la France.

Halse l'incita d'un signe de tête à continuer. Qu'est ce que tout cela avait à voir avec Niño ? Estelle fit glisser sa main contre la cuisse de sa fille, mais celle ci la repoussa aussitôt.

— Lorsqu'il est mort... soupira sa mère, émue. Il n'y avait plus seulement l'argent que nous avions accumulé grâce au gîte, il y avait aussi...

Là, tout d'un coup. Halse comprit. Son esprit commençait à relier entre eux le peu d'éléments qu'elle possédait, comme un puzzle. Un puzzle incroyablement compliqué.

— Son héritage... termina t-elle, les yeux rivés vers le sol.

Sa mère effectua doucement un hochement de tête.

— Des millions d'euros, Halse, tu n'imagines pas à quel point la somme que tu amasses à toi seule est gigantesque.

L'adolescente ne répondit rien. Sa respiration se faisait de plus en plus irrégulière tandis qu'elle dut prendre appui sur le rebord du banc sur lequel elle était assise pour ne pas vaciller.

— Et pourtant, on ne dirait pas comme ça, tu es si... innocente, si vulnérable. Regarde, tu ne réalises pas toi même tout l'argent que tu détiendras en août.

Cette phrase avait extirpé la jeune fille de son état d'incompréhension. Elle releva subitement la tête vers sa mère.

— Crois moi, après tout ce que j'ai vécu, je ne le suis plus.

— C'est vrai... murmura Estelle.

Une atmosphère tendue régnait dans la pièce.

— Enfin bref, j'ai... continua sa mère. lorsqu'il est mort, j'ai paniqué. Je ne savais pas quoi faire pour te protéger, nous n'avions pas trouvé de solution avec ton père, et voilà que le double d'argent me tombait sur les épaules. Alors, j'ai cherché sur internet, une sorte de... de garde. Et il est apparu. Il m'a dit que sa vie ne valait rien, et que le seul moyen de donner sens à son existence, c'était d'en protéger une autre.

Nouveau silence oppressant entre les deux femmes. Elles savaient toutes les deux que cette discussion marquait un tournant dans leur relation, et ce pour toujours.

— Niño, donc, récapitula Halse.

— Oui, je lui ai donné des ordres, plusieurs. Je peux te les dire, mais ne m'en veux pas. C'est grâce à ces ordres que tu es en vie aujourd'hui.

— D'accord. Dis les moi.

— J'ai ordonné à Niño de te surveiller dès qu'il n'était pas soit disant occupé au bar du gîte. D'avoir toujours une arme sur lui. Et de me promettre de risquer sa vie pour toi si il le faut.

La mâchoire d'Halse se contracta tandis que ses cheveux violets retombaient en cascade sur son visage.

— Tu m'espionnais.

— Non, ma chérie, je te promets que non. Je ne lui ai jamais demandé de me raconter quoi que ce soit, je lui ai seulement dit de m'avertir si il sentait un quelconque danger autour de toi.

Nouveau silence. Mais Halse avait besoin de ses silences pour digérer chacune de ses paroles, c'était nécessaire. Autrement, elle allait exploser.

— Il me surveillait depuis combien de temps ?

— Depuis que ton père est parti. Quatre ans.

— Pour quelle somme Niño a t-il fait ça ?

Sa phrase avait laissé transparaître une once de toute la colère qu'elle ressentait. Soudain, Halse se leva. Elle n'en pouvait plus. Cette histoire la rendait folle.

— À quel prix ? hurla t-elle, tremblante. À quel prix cet homme a t-il sacrifié sa vie pour moi ? Un million d'euros ? Deux ? Trois ? Combien tu lui as offert pour l'envoyer à la mort comme un animal ! Combien ?

Sa mère se leva à son tour.

— Halse, regarde moi.

— Je ne peux pas te regarder dans les yeux, j'ai honte, est ce que tu comprends, ça ? s'écriait t-elle, hors d'elle.

— Regarde moi.

La voix de sa mère infiltra son cerveau, et elle céda. Son visage trempé de larmes se tourna vers le sien.

— Je l'ai fait pour te protéger, murmura Estelle d'une voix douce.

— Ma vie ne vaut pas mieux que la sienne, sanglota Halse d'une voix brisée.

— Je ne pouvais pas te perdre. Je suis désolée, je suis sûrement un monstre, mais j'en étais incapable.

— Niño aurait pu mener une vie épanouie... s'effondra la jeune femme contre l'épaule de son mère.

— Je ne sais pas. Je l'ai simplement écouté, il m'a dit qu'il voulait mourir, Halse.

— Il disait que sa vie ne valait rien, ça ne veut pas dire qu'elle ne valait réellement rien, sanglota t-elle.

— Calme toi, ma puce...

Halse s'éloigna et s'affala de nouveau contre le banc, sa poitrine se soulevant à un rythme irrégulier. Elle voyait flou, ses larmes l'aveuglaient presque.

— Tu sais qui est Christian ? articula difficilement l'adolescente entre deux sanglots.

Sa mère, les bras ballants face à elle, haussa les épaules.

— Non. Niño m'a juste avertie du danger. Je l'ai remercié pour ses années de service, et je lui ai dit de te protéger coûte que coûte. Je me fiche de savoir qui te veut du mal, je veux juste m'assurer ta sécurité.

Halse opina silencieusement. Un sourire désespéré étira ses lèvres.

— D'accord, j'ai quelque chose à te dire, du coup.

— Je t'écoute, ma chérie.

— Niño n'a pas tué la personne qui me veut du mal. Il m'a simplement libérée, parce que j'étais emprisonnée, c'est tout.

Le regard de sa mère prit une tournure inquiète.

— Qu'est ce que ça signifie ?

— L'homme qui m'a séquestrée s'appelle Christian, et il est toujours en liberté. Ce n'est pas fini, maman. Nous sommes tous en danger. Il peut revenir n'importe quand.

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