Chapitre 36

Vingt deux heures.

Gaëtan était allongé dans le lit double de fortune qu'ils avaient loué, son portable à la main. Il attendait nerveusement qu'Ornélis sorte de la salle de bain.

Il ne savait pas comment se sentir, ses émotions oscillaient entre euphorie et panique. Il lui avait fait l'amour de toutes ses forces, en y mettant toute sa passion, tout son amour pour elle. Et il avait trouvé cela juste incroyable. Mais d'un autre côté, il craignait que leur relation ne s'axe désormais un peu trop sur le sexe, que cela se termine comme avec Iris...

C'était la dernière de ses envies. Ornélis n'avait rien à voir avec Iris à ses yeux, c'était tellement plus... fort.

Il ne savait pas expliquer ce qu'il ressentait, ce qu'il se produisait en lui lorsqu'elle apparaissait dans son champ de vision, c'était un sentiment beaucoup trop complexe pour être décrit par de simples mots.

Soudain, la protagoniste de ses pensées sortit de la salle de bain. Il verrouilla aussitôt son portable qu'il laissa tomber sur son lit. Elle portait encore un large t-shirt au moins deux tailles au dessus de la sienne, qui s'improvisait par conséquent en robe.

Elle tourna sa tête vers lui, sa chevelure blonde trempée par l'eau qui s'était déversée sur leurs têtes durant de longues minutes. Leurs regards s'ancrèrent profondément l'un dans l'autre.

Il tapota la place à côté de lui pour lui faire signe de s'assoir, et il remarqua qu'elle se déplaçait avec difficulté : ses jambes étaient flageolantes et sa démarche assez bancale.

— Tu m'as menti, donc, fit-il.

Elle haussa les sourcils.

— Hein ?

— Je t'ai demandé si tu avais mal.

Elle sourit, avant de se faufiler sous la couette. Elle ne savait pas quoi répondre. Elle avait évidemment mal, mais rien qu'en repensant au plaisir qu'elle avait pris sous cette douche, elle était prise de bouffées de chaleur incontrôlables.

— J'ai menti. Bien joué Sherlock, déclara t-elle en levant innocemment ses orbes vers lui.

Il fit bifurquer son regard vers ses lèvres, et s'y attarda volontairement. Elle le remarqua et en fut gênée.

— Alors...? questionna t-elle d'une voix assez faible.

— Alors quoi ?

Elle se mordilla la lèvre, une nouvelle fois morte de chaud.

— C'était comment... ?

Gaëtan fut d'abord surpris par sa question. Comment c'était ? Il n'avait pas les mots suffisants pour le lui décrire, c'était bien trop incroyable.

Un rictus amusé s'imprima sur ses lèvres tandis qu'il indiqua d'un signe de tête à la jeune fille de se rapprocher de lui. Elle s'exécuta aussitôt, et se retrouva à seulement quelques centimètres de son corps. La carrure du grand métisse bascula aussitôt vers la gauche, et sa main vint délicatement se poser sur sa mâchoire. Doucement, il se pencha à l'oreille d'Ornélis.

— Ornélis, c'était génial. Pourquoi tu doutes de toi ? lui murmura t-il avant de lui déposer quelques baisers sur la tempe, qui la firent doucement frémir.

Puis, il mordilla son lobe avec douceur. Le corps d'Ornélis fut soudainement parcouru d'un spasme assez puissant, et ses mains agrippèrent la couette tandis que son dos se cambra de manière incontrôlable.

Gaëtan s'éloigna, surpris que ce simple geste lui fasse tant d'effet. Visiblement, c'était une zone particulièrement érogène chez elle.

— Wow, tu aimes vraiment ça... souffla t-il, tandis que l'envie de redécouvrir son corps nu s'emparait de nouveau de lui.

Elle s'insultait intérieurement de toutes ses forces. C'était plus fort qu'elle, lorsqu'il la touchait ne serait-ce que du bout des doigts, tout son corps devenait fou. Le fait qu'il lui parle simultanément provoquait des réactions chez elle qu'elle ne parvenait pas à contrôler. Elle fit bifurquer son regard vers lui. Désormais, elle ne le voyait plus pareil. C'était beaucoup plus intense qu'avant, leur relation avait franchi un pas gigantesque, et d'un côté cela lui faisait presque un peu peur.

— Il faut qu'on dorme, non ? suggéra t-il, ennuyé par sa propre proposition.

Elle lui lança un regard qui voulait tout dire. Ses pupilles s'étaient dilatées.

— Ornélis, on va jamais se reposer si on...

Il n'eut pas la patience d'achever sa phrase et empoigna sa nuque de sa main droite. Presque sauvagement, il écrasa ses lèvres contre les siennes et l'entraina dans un long baiser langoureux. Des petits bruits mouillés envahirent vite la pièce, et leurs respirations bruyantes s'accéléraient davantage chaque seconde.

Ornélis positionna ses mains sur ses épaules de manière à l'écarter légèrement d'elle. Un sourire euphorique illuminait son visage.
Gaëtan se laissa donc retomber sur le matelas, tendu.

— ...Même si j'en ai très envie, termina t-il.

Ils s'échangèrent un regard complice bien que tous les deux un peu frustrés, et elle éteignit la lumière.

Dans le noir le plus complet, tous deux s'installèrent confortablement dans les draps chauds du lit, aux anges. Ornélis hésita un instant, puis, d'un geste hésitant, elle vint déposer son bras contre le torse du jeune homme.

Elle lui faisait littéralement un câlin.

Ils n'avaient jamais fait ça avant, et elle se surprit à avoir peur qu'il ne lui rende pas son étreinte.

Mais, à son plus grand bonheur, Gaëtan enroula à son tour son bras contre son dos, ce qui lui procura un frisson de soulagement et de bien être. Son odeur s'infiltra dans ses narines, et elle ne put réprimer un large sourire. Pour une fois, ils ne se disputaient pas et se situaient sur la même longueur d'ondes.

Ils succombèrent au sommeil ainsi, enroulés l'un dans l'autre dans la pénombre de la nuit.

En une heure, Gaëtan s'était profondément endormi. Sa cage thoracique se soulevait à un rythme paisible. Toujours collé à l'adolescente, il s'était débarrassé d'une partie de la couette, laissant donc apparaître ses deux épaules assez musclées qu'il cachait d'habitude dans de gros pulls.

Cependant, Ornélis ne dormait pas.

Bien au contraire, son corps était secoué de légers soubresauts, tandis que son visage était couvert de ses deux mains. C'est justement cela, ainsi qu'un bruit de reniflement, qui réveilla le jeune homme. Il se demanda d'où provenait ce bruit, et en tournant sa tête vers sa gauche, il plissa les yeux pour s'assurer qu'il ne rêvait pas.

Ornélis pleurait. Elle était littéralement en larmes.

— Ornélis ? s'inquiéta t-il, nageant dans la plus grande incompréhension.

Elle ne lui répondit pas, et il réalisa que les sanglots l'empêchaient d'articuler des phrases complètes. Paniqué, il écarta doucement une de ses mains de son visage.

Ce qu'il aperçut lui fendit le cœur en deux. Ses yeux étaient rougis, ses pommettes trempées par les larmes. Quelques mèches blondes s'étaient disgracieusement collées contre son front. Elle se cachait, depuis combien de temps pleurait t-elle ainsi ?

— Qu'est ce qu'il se passe ? l'interrogea t-il, perdu.

Elle ne parvint pas à lui répondre, et son visage se déforma dans un nouveau sanglot. Aussitôt, il la prit dans ses bras et la berça du mieux qu'il le put, pendant de longues minutes, bien qu'il ne savait toujours pas ce qui la faisait pleurer ainsi.

— Shh, shh... murmurait t-il sans s'arrêter, en caressant les racines de ses cheveux, juste au dessus de son front.

Il se pencha au dessus de son visage.

— Ornélis, que se passe t-il ? Dis moi.

Elle leva ses yeux inondés de larmes vers son visage. Enfin, un murmure s'échappa de ses lèvres.

— J'ai honte de mon passé, je réalise que...

Il haussa les sourcils. Il était tout simplement abattu de l'apercevoir ainsi mais ne laissa rien paraître.

— Tu réalises...? l'encouragea t-il.

— Que tu ne mérites pas quelqu'un qui a fait des choses aussi puériles que moi... articula t-elle avant de fondre en larmes contre sa cuisse.

— Mais qu'est ce que tu racontes... souffla t-il, la berçant de nouveau, comme une enfant qui venait de faire un cauchemar.

Elle était sous ses yeux, probablement en pleine crise d'angoisse, et il avait tout simplement l'impression de la vivre avec elle.

— Gaëtan, j'ai offert mon corps à des malades en soirée, j'ai fugué, j'ai fumé, j'ai jamais eu de vrais amis, je suis vulgaire, et toi tu...

Elle acheva sa phrase en s'effondrant de nouveau contre lui.

— Je suis sale, laissa t-elle finalement échapper d'une voix brisée.

Sous le choc, il n'eut pas de réaction immédiate. Il ne comprenait pas la cohérence de ses propos, juste qu'elle était en souffrance. Le grand métisse la redressa de manière à ce qu'elle s'assoie en tailleur juste en face de lui. De son pouce, il essuya les larmes cristallines qui dévalaient ses joues. Il planta ses deux yeux bruns dans les siens.

— Je ne sais pas de quoi tu parles, mais je t'assure que tu dis n'importe quoi. Tu n'es pas sale.

Elle ne répondit rien. Ses sanglots s'étaient diminués, mais elle reniflait toujours, le regard baissé vers la couette. Elle ne parvenait pas à le regarder dans les yeux, c'était trop dur. Son passé la frappait de plein fouet, sans prévenir.

— Ornélis, dis moi de quoi tu parles.

Une larme roula de nouveau le long de sa joue tandis que ses lèvres, tremblantes, s'entrouvrirent.

— Avant de venir ici... commença t-elle en refoulant avec difficulté un nouveau sanglot.

— Oui ?

Il devait être deux heures du matin, mais il était là, prêt à l'écouter. Elle décida de lui livrer le fond de sa pensée, c'était la moindre des choses.

— Je me bourrais presque tous les soirs, je fumais du cannabis tous les soirs, je te l'ai jamais dit, mais en sortant de toute cette histoire je pourrai pas tout arrêter d'un coup, ça va sûrement te dégoûter de moi et tu mérites pas de subir ça... j'ai offert mon corps à des gars que je connaissais depuis quelques heures, j'ai... je suis dégueulasse. Je suis juste dégueulasse et toi t'es si sain, si parfait, t'es...

Un silence de stupéfaction s'abattit entre eux.

— Quoi...? fit le garçon, ne sachant pas quoi dire.

— Voilà. Je savais que ça allait te dégoûter, je devrais...on devrait...

Elle fit glisser sa paume de main contre son crâne, comme pour soulager une migraine.

— Regarde moi, lui ordonna t-il d'une voix grave.

— Non, murmura t-elle en laissant une nouvelle larme couler le long de son visage.

— Ce n'est pas une question. Regarde moi.

Une boule désagréable se forma dans la gorge de la jeune fille. Elle se sentait si mal. Avec difficulté, elle éleva ses pupilles à celles de son interlocuteur.

Elle l'observa. Elle crut voir un instant de la pitié à travers son regard, mais non. Ce n'était pas ça. C'était... un air soucieux et inquiet qui dominait les traits de son visage.

— Tu penses que je te trouve sale parce que tu ne pouvais pas te passer de drogue et d'alcool avant de venir ici ? questionna t-il doucement.

Elle hocha la tête, les paupières closes.

— Tu t'en sortiras, avec moi. C'est compris ?

Elle eut un rire nerveux en secouant machinalement sa tête.

— C'est pas si simple, Gaëtan, tu...

— Si. Je te tirerai vers le haut comme tu le feras avec moi. Je ne suis pas sain, je ne suis pas parfait. Personne ne l'est.

Elle eut l'impression qu'en prononçant ces paroles, il lui avait retiré un énorme poids du cœur, et pourtant elle savait bien que ce n'était pas si simple. Les mots qu'il lui adressa ensuite lui provoquèrent un séisme de frissons.

— Je serai ton addiction. Je t'aiderai à t'en détacher et remplacerai la drogue, j'accepte ce rôle.

Elle rouvrit les yeux. Comment pouvait t-elle se trouver aux côtés de quelqu'un d'aussi précieux que lui? Elle l'ignorait.

Son visage se laissa tomber contre l'épaule de Gaëtan. Ils étaient tous les deux à bout de forces. Les mots pouvaient être si éprouvants, parfois.

— Tu l'es déjà, laissa t-elle échapper dans un murmure.

Ils ne prononcèrent pas un mot. Pendant au moins dix minutes, il restèrent ainsi : la tête d'Ornélis assoupie contre son épaule, les yeux fermés. Le regard du jeune homme planait devant lui, dans le vide. Finalement, il fit glisser sa main contre le dos de la blondinette.

— Arrête de te rabaisser comme ça, chuchota t-il en caressant tendrement son échine. Je ne t'aime pas pour ton passé, mais pour celle que tu es, là, devant moi. Je me fiche de ce que tu as pu faire, d'accord ? C'est idiot de penser comme tu le fais.

Seulement, le cerveau d'Ornélis avait cessé de fonctionner dès l'instant où le mot "aimer" s'était échappé de ses lèvres. Elle se redressa subitement, aux aguets, et tenta d'ancrer son regard dans le sien bien qu'ils se trouvaient dans le noir le plus complet. Elle discerna quelques traits de son visage malgré la pénombre. Elle sentit la main de Gaëtan se retirer de son dos, il avait certainement du comprendre que quelque chose avait retenu son attention.

Venait t-il de dire qu'il l'aimait ?

— Quoi ? fit t-il, inquiet.

— Tu...

— Oui ?

Aussitôt, son cerveau lui hurla de s'arrêter, de ne pas prononcer un mot de plus, au risque d'instaurer un des plus grands malaises. Après tout, peut être qu'il s'était mal exprimé, qu'elle était totalement à côté de la plaque et qu'il ne saurait même pas lui répondre.

— Euh... Rien, je... bafouilla t-elle sans parvenir à improviser une phrase complète.

— Mmh. Tu es super fatiguée, il faut qu'on dorme.

Il fronça les sourcils et, de sa main droite, rabattit la couette sur leurs deux corps tandis qu'Ornélis repositionna sa tête contre son oreiller. Ils s'enroulèrent de nouveau l'un et l'autre de leurs bras, apaisés.

Elle se sentait en sécurité dans ses bras, et il se sentait en sécurité dans les siens.

Ils se protégeaient mutuellement de la tempête qui les menaçait. Ils étaient leurs propres armures.



À des kilomètres de la petite ville dans laquelle Ornélis et Gaëtan avaient loué leur motel, Halse s'efforçait de reprendre ses esprits, assise sur un banc à l'entrée de son gîte.

Son gîte.

Là où elle avait tout construit, mais aussi là où tout s'était violemment effondré.

Elle n'était arrivée que depuis une petite heure : même en suivant attentivement les conseils de l'homme qui l'avait guidée, elle avait réussi à se perdre en se trompant de bus.

Lorsqu'enfin, elle était parvenue à l'arrêt de bus de sa ville, elle avait cru qu'elle allait pleurer de joie. Puis, sous la pluie, elle avait couru de toutes ses forces jusqu'à son lieu de résidence, s'en déchirant presque les poumons.

Lorsqu'elle était parvenue devant la devanture, et qu'elle avait enfin franchi l'immense porte d'entrée du gîte Merlin, dont elle avait retenu le code de déverrouillage, ses membres s'étaient subitement affaiblis et elle avait du s'assoir de longues minutes sur le premier banc qu'elle avait trouvé.

Elle était soulagée d'être rentrée, mais un autre sentiment dominait largement tous ses faits et gestes : la paranoïa.

La peur de recroiser Christian était maîtresse de son être.

Halse se redressa et se précipita en direction des cuisines. Elle lâcha un petit grognement en poussant la double porte de la grande pièce. Bien sûr, plus aucun cuisiner ne se trouvait à l'intérieur : il était bien trop tard. Elle courut de toutes ses forces vers les immenses tiroirs où se trouvaient les ustensiles de cuisine.

Elle replaça une longue mèche de cheveux qui lui obstruait la vue derrière son oreille, et empoigna le plus gros couteau présent dans son champ de vision.

En fouillant davantage, elle en trouva un second encore plus imposant, dont la lame semblait très tranchante. Elle plaça sa première trouvaille dans sa poche de jean gauche, et saisit fermement son arme principale dans sa main droite.

Ne réfléchissant plus que par son instinct de survie, elle se rua hors de la grande pièce vide. Lorsqu'elle fut parvenue à l'extérieur, dans le gigantesque hall du gîte, les battements de son coeur se stoppèrent net.

Et maintenant ?

Prise par un élan de panique, elle se laissa tomber contre le mur le plus proche, le visage déformé par la terreur.

Elle se posait beaucoup trop de questions simultanément. Que fallait t-il faire, à présent ? Et Gaëtan ? Et Ornélis, Constant ? Etaient t-ils là, dormaient t-ils paisiblement juste en haut ? Qu'était t-elle sensée faire, les réveiller, deux couteaux dans les mains ? Et si ils n'étaient pas là, si ils la cherchaient ? Elle était seule, donc ?

Et si Christian les avait tous tués, eux aussi ?

Une nouvelle crise d'angoisse commençait à s'emparer d'elle, mais elle se battit contre les démons de sa conscience pour y résister. Finalement, elle se releva, tremblante, et se dirigea vers les escaliers. Ces simples escaliers lui faisaient peur.

Tous les endroits où Christian n'avait ne serait-ce que posé les pieds l'effrayaient. Une idée germa dans son esprit : et si il l'attendait en haut des escaliers ?

— C'est stupide, Halse, c'est stupide, se murmura t-elle à elle même en posant courageusement son pied sur la première marche.

Elle gravit les nombreuses marches de l'escalier d'une extrême prudence. Chaque pas marquait un bond de plus de son cœur contre sa poitrine.

Halse avait peur de ce qu'elle allait découvrir. Son seul espoir se situait derrière une porte de chambre.

Son seul espoir était Gaëtan.

Il fallait qu'il soit là.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top