Chapitre 20
Tout est éphémère.
La vie, les hommes, tout. Du premier cri de nourrisson au dernier souffle de vie. Des passions, des moments d'euphorie aux moments les plus durs où tout semble sur le point de s'écrouler. À ce moment là, souvent, sur l'échelle de la vie, on se sent plus proche du dernier souffle que du premier cri.
Puiser dans ses dernières forces pour repousser ce moment est épuisant, presque impossible. Se promettre de vivre est une prouesse inhumaine. Faire remonter les sentiments les plus enfouis, les pires douleurs, les réutiliser comme une force invisible et invincible, à quoi bon lorsque l'on peut simplement faire le choix de se laisser tomber ? Regarder une dernière fois la vie dans les yeux avant de trahir sa propre promesse ? Ce soir là, Halse faisait ses adieux à la sienne.
— Tue moi.
Christian la regardait tendrement. Son esprit vacillait, elle avait l'impression que le monde tournait autour d'elle.
Elle jeta un œil à ce qui l'entourait. Un hangar, immense et sombre. Le sol était recouvert d'une couche de sable presque imperceptible, une chaise et quelques meubles visiblement très anciens s'y trouvaient. Le silence qui y régnait était terrifiant.
— Je ne compte pas te tuer pour l'instant, soupira Christian.
Elle n'eut aucune réaction. À la vue de son visage, n'importe qui aurait pu voir qu'elle avait été abimée par la vie. La vie l'avait littéralement torturée.
— Tu sais quelle richesse tu détiendras lorsque tu toucheras ton héritage ? susurra t-il en l'observant de haut.
— Non, répondit t-elle en toute honnêteté, toujours assoupie par terre.
— Des millions d'euros.
Elle sourit. Elle tenta de lever la main pour s'essuyer les yeux mais fut retenue par une corde très épaisse. Elle était attachée.
— T'es fou. T'aurais du me le dire dès le début. Prends les, s'amusa t-elle, n'ayant plus la force de riposter.
Cette remarque décrocha à Christian un petit sourire amusé.
— Comme si c'était aussi simple, plaisanta t-il. Tu sais bien que ça ne l'est pas.
— Je pensais que Gaëtan t'avais tué, fit-elle en fermant les yeux. On est où, là ?
Le jeune homme prit un court instant de réfléxion, et adopta un air un peu vexé.
— On ne dirait pas, mais je suis plus intelligent que lui. Jouer les faibles pour qu'il n'aille pas plus loin est une technique qui marche toujours. Je saignais, mais j'avais encore la force de ma battre avec lui pendant des heures, crois moi. Et on doit être à une dizaine de kilomètres de chez toi, peut être. Ne t'en fais pas. Tu reverras bientôt tes amis.
Ne pas s'en faire ? Quelle ironie.
Décidément, ma vie est un sketch, pensa Halse.
— Christian, tu tiens vraiment à moi ?
Il eut un petit sourire attendri.
— Non Halse, je ne t'aime pas. La seule femme que j'ai aimé, j'ai tenté de la tuer, confia t-il, mélancolique.
Donc c'est sûr, réalisa Halse. Il avait tenté de tuer Alison, il venait de lui avouer ouvertement.
— Alison... murmura t-elle sans pouvoir s'en empêcher, le visage crispé.
Elle prit une grande inspiration et rouvrit ses yeux rougis par les larmes.
— Je pense que tu es quelqu'un de bien. Mais tu es fou Christian, il faut que tu te fasses aider. Après m'avoir tuée, promets moi que tu arrêteras tout ça. S'il te plaît. Celle après moi, aime la vraiment. Chéris la du fond de ton coeur comme si c'était la dernière chose que tu possédais. Aime la comme j'aime ma mère, comme Gaëtan aime Ornélis même si il ne se le disent pas. S'il te plaît.
En prononçant ses mots, une larme avait roulé le long de sa joue. Il aquiesca.
— Je te le promets, s'engagea t-il, avant de revêtir le regard froid qui épousait si bien ses yeux.
Un lourd silence s'installa entre eux.
— Mais d'abord, il me faut l'argent. Donne moi une carte, un code pour accéder à l'argent, et je pars faire ce que tu m'as dit. Il y a un coffre fort dans ton gîte, je suppose ?
— Oui, je crois. Mais je ne connais pas le code. Et je ne le soutirerai pas à ma mère, affirma l'adolescente, toujours assise par terre, emprisonnée de ses mains, privée de liberté de mouvement.
Il jura en agrippant sa tête entre ses deux mains. En faisant les cent pas, il réfléchissait à toute vitesse.
— J'ai mis ma vie en pause dès l'instant où je suis rentré dans ce gîte, mais dès que j'en ressors elle reprend, putain ! J'ai besoin de cet argent Halse, débrouille toi mais trouve quelque chose ! hurla t-il.
— Je préfère mourir que trahir ma mère, tu devrais le savoir, sanglotait t-elle.
Christian se mit à frapper contre le peu d'objets qui les entouraient : les murs, un meuble en bois, une chaise. L'adolescente fermait les yeux mais chaque coup la faisait sursauter.
— Si tu ne te débrouilles pas pour me donner cet argent, tu ne mourras pas, crois moi, bien pire va t'arriver. Ta mère en paiera les frais aussi. Je m'en occuperai personnellement.
Il venait de lui tirer une flèche droit dans le cœur. Il ne pouvait pas viser plus précisément, il venait de trouver son point faible.
Une heure s'écoula, d'une lenteur inexorable.
Christian se tenait assis sur sa chaise, les jambes écartées et un bras posé sur le dossier de la chaise. Il regardait impassiblement la jeune fille sangloter devant lui. Il n'attendait qu'une seule chose.
Enfin, Halse se prononça.
— Où est mon sac ? Passe moi mon téléphone, je vais lui envoyer un message, gémit t-elle.
Christian se leva aussitôt pour dénicher son sac d'un des tiroirs du meuble. Halse observa son dos. Ses muscles ressortaient à travers son t-shirt. Elle réalisa qu'elle aurait réellement pu tomber amoureuse de lui si Gaëtan ne l'avait pas stoppée à temps. Si il ne lui avait pas ouvert les yeux, elle serait tombée dans son piège.
Comme Alison.
Son sac qui l'assomma de plein fouet la sortit de ses pensées. Christian se pencha pour défaire le lien qui emprisonnait ses poignets. Il lui accordait une minute tout au plus pour faire ce qu'elle avait à faire.
— Écris l'écran penché vers moi. ordonna t-il, son buste à quelques centimètres du sien, la corde prête à être réinstallée dès l'instant où elle aurait fini.
Halse s'exécuta, mais elle était bien consciente que cet instant précis était la seule occasion qu'elle avait de s'en sortir.
Elle devait être efficace, et respecter tout ce que Gaëtan lui avait dit sans se faire repérer.
Christian, lui, commençait à s'agacer en constatant tout le temps qu'elle s'autorisait pour envoyer ce fichu message.
— T'écris à ta mère, oui ou non, merde ?
— Oui.
Son pouce glissa vers l'application de ses contacts. Lorsqu'elle vit l'évènement "visite maman, 14h" à coté du contact de celle ci, son cœur se serra. Elle était sensée être à ses côtés, en ce moment même, dans le centre de désintoxication.
Il fallait qu'elle rédige ce message, et vite.
"Coucou maman, je t'écris pour te dire qu'un imprévu avec la mairie m'empêche de venir te voir, mais j'arrive bientôt, c'est promis. J'ai besoin de beaucoup d'argent en liquide pour régler le service minimum offert par la mairie de ce mois ci. Donne moi le code du coffre. Bisous, je t'aime."
Envoyé.
— T'écris un poème d'amour ou tu lui demandes le code, là ?
— J'ai fini, déclara doucement Halse en lui tendant le téléphone.
Il n'avait pas décollé ses yeux de l'écran une seule seconde. Il réinstalla les cordes de manière à lui bloquer fermement les poignets. Juste avant qu'il ne range le téléphone dans le sac, Halse l'interpella.
— Christian ?
— Quoi, bon sang ?
— Je ne sais pas ce que tu traverses, mais tu n'as pas besoin de tuer pour arriver à tes fins.
— Si seulement, prononça t-il, statique.
— Ne pas mettre mon portable en mode avion est le meilleur moyen de te faire retracer.
Il la dévisagea, méfiant.
— Halse, je commence à te connaître. Je laisserai ton portable allumé, c'est moi qui décide, ici.
Elle soupira.
— Comme tu veux. J'ai la 4G, mes amis vont retracer ma localisation. Ils arriveront me chercher dans quelques heures au plus tard. Bonne chance.
— Pourquoi voudrais tu m'aider... grogna t-il, menaçant.
— Je te l'ai dit. Après m'avoir tuée, je veux que tu prennes un nouveau départ. Je le veux sincèrement, Christian. Ma vie est déjà foutue, la sacrifier en ton nom ne me fait ni chaud ni froid...
Clairement énervé cette fois, il extirpa le portable de sa poche de sa main droite et activa le mode avion.
La jeune fille se retint de hurler de joie.
Elle ne pensait pas parvenir à exécuter ne serait-ce qu'une partie du plan d'urgence de Gaëtan. Elle se remémora ses mots :
« Tu sais comme moi qu'on ne va pas sortir les menottes et arrêter Christian comme si de rien n'était. Si on attaque, il va riposter. Il est habitué à ça, plus que nous. Et la première personne à qui il va s'en prendre, c'est toi. Tout simplement parce que tu as l'air plus faible physiquement et mentalement. Il ne me choisira jamais.
Si il te prend en otage, tu n'auras qu'une chose à faire. Mettre ton portable en silencieux, et surtout activer le mode avion si tu penses que tu n'es pas loin, que l'on peut te rejoindre en prenant un bus ou un train par exemple. Dans le cas contraire, si tu ne reconnais rien, ou que tu sais pertinemment que tu es très loin, laisse le allumé. Je t'appellerai toutes les trente minutes. Si ça raccroche immédiatement, je saurai ce que ça voudra dire: que tu seras toujours très loin. Il faudra que tu le fasses, Halse, par n'importe quel moyen, il le faudra. »
Une onde de soulagement la parcourut de la tête aux pieds. Elle jeta un coup d'œil à travers la fenêtre.
Les immenses bâtiments de la zone industrielle l'entouraient. Elle savait parfaitement où elle était. Elle était déjà venue ici, elle connaissait sa ville sur le bout des doigts.
Elle n'aurait jamais imaginé se retrouver séquestrée dans cet endroit un jour. Et ses amis, eux, ne s'étaient sûrement jamais rendus dans cette endroit de leur vie. En résumé, ils n'étaient pas sortis d'affaire.
Mais, doucement, Halse commençait à se réconcilier avec sa promesse.
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