Chapitre 2

— Oh mon dieu, cracha Halse en se redressant subitement.

Encore un cauchemar. Un de plus parmi tous ceux qu'elle faisait sur son père, à ajouter à sa collection. Cette fois, elle avait rêvé qu'il sautait d'une falaise sous ses yeux.

Elle passa sa main osseuse dans ses cheveux en soupirant, puis ses pieds rejoignirent le sol. Elle fit les cents pas dans la grande pièce qui lui servait de chambre en essayant de se calmer. Elle était habituée à cela, c'était son quotidien.

— Mon dieu...répétait t-elle nerveusement.

Soudain, elle entendit quelqu'un toquer à sa porte. Rapidement, elle réajusta sa chemise de nuit et tenta de dompter ses cheveux en bataille. En cherchant ses lunettes, elle se cogna par mégarde sur le rebord de son bureau et laissa échapper un juron. Décidément, ce n'était pas son jour.

— Euh, ça va ? résonna une voix masculine provenant de derrière la porte, qui avait sûrement entendu un bruit de fracas.

Halse reconnut immédiatement cette voix, c'était celle du garçon à qui elle avait parlé hier. Celui qui prétendait être son cousin.

— N'entre pas ! ordonna la jeune fille.

En effet, celle ci était encore occupée à chercher ses lunettes, et à peine remise de son réveil brutal.

— Halse, si tu me dis ça parce que tu n'es pas habillée ou maquillée convenablement, sache que j'en ai absolument rien à faire, fit la voix en soupirant.

— C'est pas ça, je trouve pas mes lunettes.

Elle tomba sur son reflet dans le miroir et se scruta, se rendant compte qu'après réflexion, il avait raison, il ne vallait mieux pas qu'il la voie comme ça.

— Je rentre, alors. Je vais te les trouver tes lunettes, moi.

La porte de la chambre s'ouvrit en grand, laissant apparaître la silhouette de l'invité. En toute tranquillité, sans même lui jeter un regard, il s'avança jusqu'au lit de la jeune fille et y déposa trois cartes.

Les pensées d'Halse tergiversèrent entre deux choix. Choix un, lui sauter au cou et l'étrangler. Choix deux, l'assommer.

Le regard du jeune homme se posa sur elle pour la première fois depuis qu'il avait pénétré dans la pièce. Il haussa les sourcils en mimant un mouvement de recul.

— Ah ouais. Je comprends pourquoi tu voulais pas que je rentre, maintenant.

— Arrête ! s'agaça t-elle en lui boxant le bras droit sans pouvoir réprimander un sourire.

— Bref, j'ai ramené ma carte d'identité, de transports en commun, et mon passeport. Vérifie tout ça toi même.

Il les lui tendit en souriant.

Quelle détermination, songea l'adolescente.

Il s'agissait sûrement de vrais papiers. Le nom de famille inscrit sur ceux ci était le même que le sien. Constant Vivemont.

— Tu t'appelles Constant ? l'interrogea t-elle en posant son regard sur son visage.

— Euh, ouais. Je suis sûrement le seul mec sur cette terre à m'appeler comme ça. Je déteste mon prénom.

Sans prêter la moindre attention à ses paroles, Halse fit glisser la carte de bus de Constant hors de son étui. Une vieille photo d'identité y était collée, il n'avait vraiment pas l'air joyeux.

Elle lui rendit sa carte et ses papiers, tout sourire.

— C'est bon, fit t-elle d'un air blasé, pressée d'en finir. Maintenant je te crois, c'est super. Tu peux sortir de ma chambre s'il te plaît ? Je dois descendre vérifier le service.

— Halse ! s'énerva t-il une nouvelle fois en tapant sur la commode qui se trouvait à côté de lui.

— Calme toi, les meubles c'est pas gratuit ! s'écria t-elle en désignant le meuble en bois qui venait de se faire frapper sans raison.

Il s'approcha d'elle, un air sérieux accroché au visage.

— Je te parle sérieusement, là. Tu sais très bien pourquoi je suis venu te voir, te parler, faire ta connaissance. Tu sais très bien qu'on a pas une famille comme les autres, mais tu préfères te voiler la face en te disant que la mort de ton père, c'est du passé. Tu te rends compte qu'il est mort comme ça, sans explications, et que personne ne se pose de questions ? Réveille-toi, merde ! C'est à nous de faire éclater la vérité, c'est le moment, c'est maintenant !

La jeune fille continua de le fixer sans lui répondre.

— Tu t'es déjà demandé pourquoi ton gîte s'appelait le gîte Merlin ? Et pourquoi pas un autre nom ?

Halse y réfléchit à toute vitesse. C'est vrai qu'après toute une vie passée à l'intérieur, elle ignorait toujours la provenance du nom du gîte. En vérité, elle ne s'y était jamais vraiment intéressée.

— Non, avoua t-elle.

— Tu vois ? Il y a un tas de choses que tu ne sais pas, sors de ta chambre, arrête de ruminer sur la mort de ton père, et viens découvrir la vérité avec moi, supplia t-il.

Une brise de vent frais passa par la fenêtre entrouverte. Les mèches violettes de la jeune fille se soulevèrent doucement. Constant lui tendit sa main, calmement.

— S'il te plaît Halse, aide moi à découvrir notre histoire. S'il te plaît.

— Pourquoi tu ne le fais pas tout seul ?

Le sourire du jeune homme se fendit en deux.

— Parce que je ne pourrai jamais y arriver seul...

Halse lui adressa un petit sourire. Elle attrapa un collier en argent sur le bord de sa commode et l'attacha doucement autour de son cou. D'un pas délicat, elle contourna Constant pour s'approcher de la porte.

— Je suis désolée, Constant. On ne se connaît que depuis vingt-quatre heures, on m'a toujours appris à me méfier des inconnus. Je ne vais pas m'engager dans tout ça maintenant, mais j'y réfléchirai, d'accord ?

Elle était désormais quasiment persuadée qu'ils étaient de la même famille, mais le montrer serait trop dangereux. De plus, elle n'était pas sûre de vouloir découvrir les tréfonds de son histoire familiale. Rester en dehors de tout cela ne lui avait jusque là, jamais fait défaut.

Halse laissa donc Constant, déçu, impuissant face au refus de la jeune fille de faire tomber le rideau.


Le soir, une soirée karaoké était prévue, le genre de soirée auxquelles Halse ne pointait jamais le bout de son nez. Mais ce soir là, bizarrement, elle était tentée. Peut être était ce dû à sa rencontre intrigante avec le nouvel arrivé de la veille, ou au fait de savoir que Constant allait sûrement y aller, mais une envie la démangeait, alors elle décida de satisfaire cette pulsion.

Elle descendit aux alentours de vingt-deux heures, lorsque tout le monde fut déjà plongé dans l'ambiance. Au moins, elle n'aurait pas à subir le malaise des débuts de soirée.

À l'écart, elle observait une dame monter sur l'estrade pour interpréter une chanson de Mickaël Jackson. Des gens, sûrement ses amis, hurlaient "préparez vous, ça va être horrible !" en s'esclaffant, ce qui la fit rire elle aussi.

Halse examina les alentours à la recherche de sa mère, mais elle n'était visiblement pas présente. Elle avait sûrement dû aller se coucher, épuisée après ses journées intenses.

— Bonjour, je crois que vous êtes la femme qui m'a accueilli quand je suis arrivé ici, résonna une voix grave provenant de derrière elle.

Halse sursauta et tourna vivement la tête. C'était l'homme qui lui avait tendu une liasse de billets beaucoup trop importante lors du paiement, l'autre jour.

C'était tout ce qu'elle avait retenu de lui: cette façon si naturelle de lui tendre une si grosse somme.

Sûrement un homme d'affaires pété de thunes qui s'ennuie, avait t-elle pensé ce soir là.

— Je vous ai juste fait payer votre chambre, c'est mon rôle. Mais je vous ai accueilli dans un sens, si ça vous fait plaisir, admit t-elle, perplexe.

Mal à l'aise, elle redirigea son attention sur la personne qui chantait à tue tête sur l'estrade servant de scène. Elle sentait la présence de l'homme à côté d'elle, mais personne ne parlait, ce qui la perturbait beaucoup.

Enfin, il se décida à briser le silence et, par la même occasion, le vouvoiement.

— Pourquoi as-tu décidé de te teindre les cheveux en violet ? questionna-il, intrigué.

— Envie personnelle. Un coup de tête. Pourquoi, tu n'aimes pas ?

Elle avait décidé de le tutoyer également. Après tout, leurs âges étaient similaires, elle estimait à vue d'œil qu'il devait avoir deux ans de plus qu'elle : elle n'avait aucune raison de la vouvoyer comme elle l'aurait fait pour une personne de trente ans. Le visage du jeune homme abordait une barbe bien taillée et une mâchoire plutôt carrée. Pour la seconde fois seulement, elle le regarda dans les yeux.

— Non, pas vraiment, lâcha t-il finalement, les mains nonchalamment appuyées contre la rambarde de l'escalier.

Elle haussa les épaules, un peu vexée. Une seconde après, elle se fit la remarque de ne plus se vexer aux critiques venant d'individus qu'elle ne connaissait ni d'Adam ni d'Eve. Son opinion lui importait peu, après tout.

— Je ne me suis pas teint les cheveux pour toi, répondit t-elle un peu plus sèchement que ce qu'elle aurait voulu.

— Susceptible, donc.

En guise de réponse, elle lui lança un regard dans lequel il décela, si cela pouvait se traduire, un "lâche moi les baskets".

— Tu ne sembles pas décidée à me répondre, conclut t-il.

Aucune réponse. Elle venait de marquer un point en le laissant parler seul à plusieurs reprises. Il fourra ses mains dans ses poches. À l'intérieur, le bout de ses doigts toucha sa plaquette de cachets.

— Je n'aime pas les cheveux teints en général, mais tu es très jolie, rassure toi. Ils étaient de quelle couleur, avant ? la sollicita t-il en tentant de se rattraper.

La chanteuse inexpérimentée commençait à hurler dans le micro, déchaînée et surtout clairement alcoolisée, ce qui fit rire l'assemblée. Plus loin, le barman du gîte, Niño, regardait le spectacle d'un air blasé, indirectement auteur du taux d'alcoolémie de cette femme.

— Vert fluo, répondit finalement Halse.

Un rictus amusé arbora les lèvres de Christian.

— Drôle, aussi. On les rejoint ? proposa t-il, car ils surplombaient en effet la petite foule sans participer à la fête, posés sur le haut des escaliers.

Elle haussa les sourcils, étonnée.

— Qui ça, les gens qui chantent en bas ?

Il effectua un hochement de tête et se mit à descendre les escaliers, en espérant qu'elle le suive. Peut être que c'était un peu rapide, peut être qu'elle allait refuser de venir.

Il ne savait pas ce qu'il faisait, et elle non plus. Mais finalement, elle céda. Pour une fois, elle allait repousser les barrières qu'elles s'était posées elle même et qui expliquaient sa réticence face aux inconnus. Souriante, elle le suivit sans se poser de questions.

Depuis la mort de son père, c'était la première fois qu'Halse goutait à l'excitation d'une nouvelle rencontre.

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