Chapitre 16

Il était dix neuf heures, et après une journée des plus banales, le groupe se retrouva comme à leur habitude autour d'une table pour prendre le repas du soir. Constant et Halse furent les premiers installés, et ils furent rejoints un peu plus tard par Ornélis et Christian.

Le petit couple arriva en dernier, un peu en retard.

— Coucou ! lança joyeusement Iris en posant ses fesses sur une des chaises autour de la table.

— Vous êtes pas en avance, fit remarquer Constant en enfourchant une tranche de jambon avant de l'engloutir.

Iris lança un regard complice à Gaëtan.

— On a été assez occupés, désolés... murmura t-elle en levant innocemment les yeux vers le concerné.

Ornélis se retint de souffler d'agacement en se mordant l'intérieur de la bouche. Elle agrippa violemment son plateau pour se lever, il valait mieux qu'elle parte maintenant, sinon elle allait tout simplement exploser.

— J'y vais, tout le monde. Profitez bien ! lança t-elle sur le même ton faussement emballé que la belle antillaise employait constamment.

Constant lui arracha aussitôt son plateau des mains pour le reposer sur la table. La bouche encore pleine, il protesta en levant une main.

— Non ! Personne ne bouge, parce que je dois vous remémorer un truc ! Vendredi on va au musée. Ça fait longtemps qu'on a pas fait un truc tous ensemble, et on est tous traumatisés par ce qu'on a vu, donc je vous laisse pas le choix. On a besoin de se changer les idées.

— Et qui a accepté de t'accompagner, au juste ? pouffa Ornélis qui n'envisagea pas une seule seconde de s'y rendre.

— Gaëtan, Iris, et peut être Halse ! Elle m'a dit oui, déclara Constant, fier de lui.

Tous les regards se tournèrent vers la concernée. Elle semblait complètement déconnectée du monde réel et venait juste de remarquer que son nom se trouvait dans la conversation.

— Mh? fit-elle en mâchant un morceau de viande d'un air endormi.

— Bref, reprit Constant en se notant mentalement qu'il fallait qu'il se penche l'état mental de la jeune fille. On y va. Pas le choix.

— Si Halse vient, je viens, attesta aussitôt Christian en haussant nonchalamment les épaules.

Un silence de réflexion générale s'installa autour de la table.

— Raah, vous m'énervez. Vous êtes au courant que ça va être à mourir d'ennui ? râla Ornélis en regagnant sa place sur sa chaise, ses fesses s'assoupissant brutalement contre le meuble en bois.

Un sourire plein d'espoir étirèrent les lèvres de Constant.

— Ça veut dire oui ?

Elle se mordilla les lèvres en souriant. Elle se fit la remarque qu'elle avait toujours mauvais caractère, mais avec les gens qu'elle aimait, son tempérament cédait. Et puis, Constant était adorable avec elle depuis le début, il méritait bien cela.

Son regard se posa sur Gaëtan. Son bras était enroulé d'un geste dominant autour des épaules d'Iris, et elle eut la sensation qu'une lame invisible s'enfonçait dans son coeur. Puis, elle secoua vigoureusement la tête comme pour rejeter ces pensées nocives.

Elle en avait plus que jamais marre d'assister à l'évolution niaise leur relation, mais il fallait qu'elle prenne sur elle. Il fallait qu'elle les ignore. Ornélis réalisa qu'elle se ridiculisait en adoptant ce comportement, il fallait qu'elle montre qu'elle s'en sortait très bien seule, et que ses tensions avec Gaëtan ne l'affectait pas le moins du monde. Cette prise de conscience lui fit prononcer les mots suivants :

— Je viens. Ça va être cool.

— Euh, on frôle la bipolarité. Mais merci, Ornélis ! s'étonna Constant, heureux d'avoir convaincu toute la tablée.

Halse termina son assiette la première. Elle exécuta un sourire crispé suivi d'un « j'ai fini », et quitta la table d'amis sans leur jeter un regard.

— Qu'est ce qu'elle a ? demanda Gaëtan au petit groupe en se penchant en avant une fois qu'elle fut partie, surpris.

— Elle est malade. Elle m'a envoyé un message ce matin pour dire qu'elle avait des nausées, elle préfère se reposer au calme, annonça Christian en retroussant les manches de sa chemise blanche, laissant apparaître ses avants bras.

Ceux ci étaient parsemés de veines assez visibles et l'un d'eux possédait un tatouage en forme de serpent qui ornait élégamment tout le long de son poignet, jusqu'à la pliure de son coude.

— Ah bon ? s'étonna Constant en faisant la moue. Elle m'a rien dit quand je lui ai demandé ce qu'elle avait... Super, je le prends bien.

Il baissa la tête vers son assiette d'un air dépité. Christian s'esclaffa bruyamment en lui donnant une tape dans le dos.

— Les filles sont compliquées. s'amusa t-il en lui lançant un clin d'œil complice.

— Eh... Chuchota Ornélis en s'approchant de Christian, un sourire aux lèvres. Nouvelle chemise, contours de barbe, cheveux fraîchement coupés... tu te fais beau pour qui ?

Christian, gêné, ne savait pas trop quoi répondre. Il se trouvait face à quatre personnes plus jeunes que lui et pourtant, il était intimidé.

— Arrêtez de faire comme si vous ne saviez pas, plaisanta le brun ténébreux en guise de réponse.

— Halse en a, de la chance, fit Ornélis, un rictus aux lèvres.

— Celui que tu choisiras aura de la chance aussi ! lui répondit t-il du tac au tac, flatté.

Aussitôt, Gaëtan reprit le fil de la conversation, à l'affût comme un animal prêt à sauter sur sa proie. En l'occurence, son prédateur dans cette situation était Christian.

— Hum, quelqu'un veut mon dessert ? Je n'ai plus faim, toussota  t-il en faisant nerveusement tressauter sa cuisse.

Il réalisa l'instant d'après qu'il avait Iris dans ses bras, qu'est ce qui lui arrivait ? La seule fille pour lequel il devait réagir comme ça, c'était elle, et non pas d'autres amis auxquelles il tenait beaucoup, voire un peu trop. Il devait rester concentré, ce n'était pas correct envers la métisse qui se tenait à ses côtés.

— Je disais ça sur le ton de la rigolade, calme toi, riposta Ornélis en balayant du regard le corps de Christian, sans faire attention à la remarque du métisse. Bref, quelqu'un sait pourquoi Halse essaye de nous faire croire qu'elle va bien ? Si elle a des nausées, elle peut nous le dire, ça arrive, je comprends pas.

— Peut être que les souvenirs concernant Alison hantent ses pensées, il doit y avoir beaucoup de choses qui la tourmentent... évoqua Constant, songeur. D'ailleurs il faut que je rappelle le numéro que la police nous a donné, pour... savoir comment va se dérouler la suite.

Un flocon de tristesse s'était déposé sur la table, l'absence d'Alison pesait lourd dans leur groupe.

— J'ai déjà appelé. Ils n'ont pas de nouvelles concernant l'enquête, pas d'ADN, rien. Ils suspectent un suicide, affirma Christian. Vous savez comme je tiens à elle. Je donnerai les détails des funérailles à ceux qui le souhaitent, je ne sais pas si c'est le moment.

— Merci Christian, le gratifia chaleureusement la blondinette.

Le grand métisse, assis juste à côté, referma soudainement ses doigts autour de la taille de sa petite amie, qui sursauta.

Cette fois, ce n'était pas l'échange entre Ornélis et Christian qui l'avait interpellé, mais tout autre chose.

— Qu'est-ce qu'il y a ? murmura Iris, inquiète. Elle retira doucement les doigts de Gaëtan de sa taille, qui l'avaient agrippée un peu trop fort.

Il s'excusa aussitôt en déposant un baiser sur sa tempe.

— Rien, je viens juste de réaliser que j'ai oublié un truc dans ma chambre. Je reviens.

Il s'éclipsa de table sous l'œil consterné de sa petite amie et emprunta à grands pas la direction des escaliers.

Il fallait qu'il retrouve Halse.

Immédiatement.

Les couloirs étaient gigantesques, et il n'avait aucune idée de l'emplacement de la chambre de la jeune femme. Il erra pendant un petit moment, jusqu'à parvenir à une porte différente des autres : en effet, une petite plaque argentée ornait la devanture de celle ci. Il n'y avait nul doute qu'il s'agissait de la chambre d'Halse.

Essoufflé, il ne prit pas la peine de toquer et entra avec précipitation dans celle ci. Il trouva l'adolescente assise sur son lit, les yeux ouverts sans bouger. Elle avait l'air obnubilée par quelque chose d'invisible, et lorsqu'elle le vit, son regard ne réanima.

Il prit une grande inspiration avant de se lancer.

— Tu as des nausées ? questionna t-il douloureusement, comme si il se préparait mentalement à la réponse qu'il s'apprêtait à recevoir.

Elle fit non de la tête.

Donc Christian a mentit. C'était sûr, songea t-il.

Halse était à deux doigts de pleurer.

— Tu sais ? souffla t-elle doucement en se rapprochant de lui. Tu sais, que quelque chose ne colle pas, avec Christian, dis moi que tu le sais...

Il hocha la tête et elle accourut avec précipitation se blottir contre son torse.

Ils se comprenaient mutuellement, ils n'avaient pas besoin de parler davantage.

Une fois contre lui, elle fondit en larmes et sanglota pendant de longues minutes. Il lui offrait doucement de petites caresses dans le dos pour tenter de l'apaiser. Des larmes lui montèrent aux yeux lui aussi, mais il les refoula aussitôt. Il avait l'étrange sensation de consoler sa petite sœur, quelqu'un de plus faible que lui qu'il devait à tout prix protéger.

Depuis deux semaines, tous les événements s'enchaînaient les uns après les autres à une vitesse hallucinante.

— Comment tu sais ? Et qu'est ce que tu sais ? questionna Halse en reniflant, blottie dans ses bras musclés.

— Le changement de numéro de téléphone sorti de nulle part, l'autre jour. Sa disparition sans explication. Ses mensonges répétitifs, expliqua t-il dans un souffle.

Halse recula de quelques centimètres et Gaëtan agrippa ses deux épaules. Rien qu'à son regard, à la manière dont elle le scrutait, il sut qu'elle savait. Leurs intuitions étaient homogènes, uniformes, formant finalement une seule pensée à part entière.

— Il est dangereux, énonca finalement l'adolescente en plantant ses pupilles noires, brouillées par des larmes cristallisées, dans les siennes.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top