Chapitre 13

Pendant quelques jours, l'ambiance était au plus bas. Personne ne réalisait ce qu'il s'était passé. Ils étaient tous en deuil, et dans l'incompréhension la plus profonde. Ce n'était qu'au bout de plusieurs longues journées qui leur semblaient interminables que les adolescents parvenaient enfin à retrouver le sourire, quelques bribes de moments joyeux parsemés dans leurs journées monotones.

Ce midi, ils s'étaient tous réunis pour manger tous ensemble, pour la première fois depuis longtemps.

— Ma mère va mieux, elle part en cure de désintoxication cet après-midi. Elle est enfin sortie de l'hôpital, annonça Halse en posant nerveusement son plateau sur la table. Son café faillit se renverser.

Celle ci prit place à côté de Constant en souriant. Visiblement, le fait que sa mère soit sortie de l'hôpital avait un petit peu enjolivé sa journée. Soudain, elle fronça les sourcils.

— Où est Gaëtan ? questionna t-elle, curieuse.

En effet, c'était étrange : il arrivait toujours au self en premier d'habitude, lui qui se levait avant tout le monde le matin.

— Regarde à ta droite, grommela Ornélis en esquissant un faux sourire.

Halse s'exécuta, et aperçut le jeune homme quelques tables plus loin avec une jolie métisse sûrement d'origine antillaise. Toute mince, elle portait une robe courte bleue électrique. Gaëtan avait sa main posée sur sa cuisse, ils partageaient un plateau en se regardant tendrement.

— Gaëtan a une copine ? s'étonna Halse en plaquant aussitôt sa main sur sa bouche, elle avait parlé beaucoup trop fort.

— Ouais, elle s'appelle Iris. C'est une fille de notre groupe, l'informa Constant en haussant les épaules.

L'adolescente aux cheveux violets exécuta des signes confus avec ses mains, en faisant des allers retours entre Gaëtan et Ornélis.

— Mais je... Je croyais que vous...

Ornélis soupira bruyamment et donna un violent coup sur la table en se levant.

— Pourquoi tout le monde pense ça ! s'énerva t-elle en quittant le cercle de table, vexée.

Toutes les personnes autour l'avaient entendue et s'étaient retournés en pouffant de rire. Halse et Constant eurent du mal à se retenir eux aussi.

—Ils sont trop drôles, fit ce dernier, amusé.

— Constant ? l'interpella sérieusement Halse, s'arrêtant net de manger.

— C'est moi ?

Un sourire s'allongea le long de ses lèvres.

— J'ai une bonne nouvelle, annonça t-elle, les yeux pétillants.

— Genre... une bonne bonne ?

— Genre une bonne bonne.

Il se redressa, toute ouïe.

— La mairie accepte de laisser le service minimum dans le gîte pendant quatre mois encore. Tu sais, vu que ma mère n'est pas là, ils nous fournissent des personnes pour gérer l'accueil, les animations, tout ça. Eh bien, ces personnes restent !

Il se leva, les yeux ronds comme des soucoupes.

— Ça veut dire qu'on peut rester ?

— Ça veut dire que vous pouvez rester ! s'écria joyeusement Halse, et tous deux se levèrent pour s'enlacer.

— Ça veut dire que toi aussi tu restes, pour encore quatre mois, c'est énorme ! s'exclama t-il en la décollant même du sol pour pouvoir l'enlacer encore plus fort.

— Oui, ça veut dire que je ne finirai pas en foyer, j'ai toujours mon gîte !

Elle laissa un éclat de rire s'échapper de sa gorge, une petite larme roulant le long de sa joue.

— C'est vraiment trop bien, tu peux pas savoir à quel point ça me rend heureux, s'adoucit t-il en la reposant sur la terre ferme.

Halse n'avait pas esquissé ce genre de sourire depuis très longtemps. Elle tira le fil qui servait à resserrer la capuche de Constant avant de s'enfuir.

— Tu me décolles du sol, mais on fait la même taille. T'es pas crédible.

Il leva les yeux au ciel.


— But ! beugla presque Halse en sautillant énergiquement.

C'était la première fois qu'elle marquait un but au baby foot depuis que la partie avait commencé, c'est à dire une heure. Cela lui faisait du bien de retrouver ce genre de moments avec ses amis, même si elle regardait son téléphone toutes les deux secondes pour vérifier si sa mère ne lui avait pas envoyé un message.

— Je suis trop forte ! se vanta t-elle fièrement d'une voix enjouée.

Constant la poussa doucement de son épaule.

On est trop forts. On est une équipe, je te rappelle, fit-il remarquer en fronçant les sourcils.

Cette phrase rappela fortement quelque chose à Ornélis, occupée à compter les points du match et à remettre la balle en liège au centre du meuble en bois.

Son regard bifurqua vers Gaëtan et sa nouvelle petite amie, discrètement.

En effet, les deux tourtereaux faisaient aussi partie du jeu, en duel contre Constant et Halse. La nouvelle copine de Gaëtan s'était intégrée plus que naturellement, c'était comme si elle avait toujours été là.

Gaëtan enroulait sa main autour de celle d'Iris en lui déposant de temps en temps de tendres baisers sur le front, tout en continuant de jouer.

Répugnant, pensa Ornélis.

Iris s'était vraiment bien intégrée au groupe d'amis, cela énervait clairement la petite blonde. La nouvelle venue partageait désormais des moments avec Halse, et parfois même avec Constant, en esquissant son sourire habituel en toutes circonstances, qu'Ornélis qualifiait de « sourire hypocrite ».

Iris ne jouait pas vraiment, elle tenait juste ses manettes et visait n'importe où, elle semblait clairement être là pour l'attention de Gaëtan, et rien d'autre. Elle était juste présente, et ça lui suffisait. Cela ne suffisait pas à Ornélis. Elle s'avança aux côtés de Gaëtan et la poussa doucement.

— Bon, attends... Râla t-elle en constatant l'ennui mortel de cette partie.

Halse lui lança un regard noir qui voulait dire « arrête ça tout de suite », mais elle n'en tenu pas compte. Iris s'éloigna de quelques centimètres, vexée, tandis que Gaëtan l'observait sans ciller, l'expression du visage neutre.

— Je prends sa place deux minutes. Déclara la petite blonde. On joue ?

Constant approuva en soupirant, et aussitôt Ornélis bloqua la balle avec son joueur, prête à frapper de toutes ses forces.

Soudain, elle donna un coup parfaitement visé dans le camp adverse, plus rapide que l'éclair. Elle s'écarta fièrement.

— Tu peux reprendre ta place. Rapporta t-elle à Iris.

Elle s'éloigna au bar dans l'optique de se commander un rafraîchissement, tandis qu'un silence de gêne s'était installé entre les amis.

— Désolée, elle... Balbutia Halse en regardant Iris, gênée.

Le grand métisse lui coupa immédiatement la parole.

— Ce genre de personne ne mérite pas que d'autres personnes s'excusent à leur place. Viens, Iris. Asséna t-il, les yeux rivés sur ses joueurs, le visage fermé.

La belle métisse regagna sa place, toute souriante. Halse s'apprêta à relancer le match, mais quelque chose l'interpella, comme une présence derrière elle... une présence qu'elle connaissait très bien. C'était comme si une force l'avertissait dès qu'il était dans les environs, comme si cette sensation de méfiance qu'Halse ressentait envers lui, le suivait maintenant partout où il allait et formait un aura autour de sa personne.

Elle pouvait presque entendre sa respiration à des mètres d'elle. Elle s'écarta du babyfoot en s'excusant. Il fallait qu'elle parte, elle n'avait pas envie de le confronter. Pas maintenant.

— Attendez, je reviens. Informa t-elle d'une voix faible.

Sous les regards incompris de ses amis, elle se mit à marcher d'un pas rapide vers les escaliers. Il la suivait, elle pouvait le sentir. Les pas de Christian résonnaient dans sa poitrine comme les battements de son propre coeur.

Elle accélérait de plus en plus et venait de franchir la première marche des escaliers, lorsque sa respiration se stoppa net.

Sa main venait d'agripper fermement son poignet. Au ressenti du contact de sa peau, elle ne put s'empêcher de retenir un petit cri.

Mais qu'est ce qu'il m'arrive, bon sang ? Songea t-elle en tentant tant bien que mal de se calmer.

Christian la fixait, déstabilisé.

— Je peux savoir ce qu'il se passe ? Je te fais peur ? Questionna t-il d'une voix douce.

Halse remarqua qu'il venait d'aller chez le coiffeur, les contours de sa barbe venaient d'être fraichement taillés. Il portait aussi une nouvelle chemise, blanche, un peu plus fluide que celle d'avant.

Celle d'avant... Celle d'avant avait toujours été la même, non ? Halse fronça les sourcils et secoua la tête pour se remettre les idées en place. Non, elle avait dû rêver.

— Euh, non... Enfin non, t'inquiète pas, juste... Ta chemise, tout a changé... Avant elle était noire, non ? Bégaya t-elle.

Il adopta un air confus qui la déroutait encore davantage. Qu'est ce qu'il était en train de se passer ?

— Ma chemise ? J'en avais plusieurs noires avant, en effet. J'avais besoin de changement... Pourquoi, tu préférais avant ?

Elle sourit en soupirant, se sentant stupide.

— Non, j'ai pensé que tu mettais toujours la même, enfin... Je viens de m'en rendre compte seulement maintenant, mais c'est complètement stupide, je veux dire... Personne ne porte toujours les mêmes habits. Enfin bref, oublie.

Gênée, elle regardait ses pieds sans oser croiser son regard. Quelque chose avait changé, elle avait décelé quelque chose chez lui qu'elle n'avait jamais remarqué avant.

Seulement, impossible de nommer cette chose qui avait tant changé. Pourquoi était-elle stressée, lorsqu'il l'approchait ?

— Je dois y aller. Fit-elle en osant enfin planter ses yeux dans les siens.

— Non, tu m'évites. Tu ne dois pas y aller, tu veux y aller. Corrigea t-il.

— Comment peux tu le savoir ? S'inquiéta t-elle.

— Je le sais, je commence à te connaître.

Il la prit doucement dans ses bras et la pressa contre lui, comme un enfant qu'il voudrait rassurer. Il sentit son corps se détendre.

Son souffle s'échouait contre le cou de la jeune fille, le labeur de tous ses efforts pour la garder près de lui contre les falaises de peur de celle ci. Il lui murmura un « Je suis désolé d'être parti sans prévenir », la main enfouie dans ses cheveux. Il devina qu'elle avait souri à l'entente de ses mots.

— C'est pas grave, Christian. Je suis désolée, je suis à cran en ce moment, à cause de tout ce qu'il s'est passé...

Il la rassura en lui soufflant que c'était normal, que le deuil était long et douloureux, et que lui aussi en souffrait.

— Je dois y aller. Annonça t-elle une dernière fois avant de se retourner pour monter les marches, apaisée par ce moment débordant de tendresse.

Dès la seconde où elle lui avait tourné le dos, le sourire de Christian s'était brutalement anéanti, laissant place à un regard glaçant.

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