Chapitre 1
« Les vagues ne se lèvent pas sans vent. »
-Proverbe chinois
Dix ans plus tard...
Ce jour-là, Destiny Bastien, surnommée Bess, s'était levée avec de beaux projets. En ce début d'octobre, l'aube teintait l'horizon et annonçait une magnifique journée. Le doux printemps australien incitait les promeneurs à venir admirer le lever du soleil directement sur le bord de la mer, ce qui représentait un véritable spectacle pour les yeux. Bess faisait partie des habitués des lieux et avait profité de sa journée de congé pour faire son jogging matinal sur la plage. Pieds nus, elle courait dans quelques centimètres d'eau. Le sable se creusait sous ses pieds en même temps que se retiraient les vagues, laissant des empreintes de pas derrière elle.
Après avoir parcouru une dizaine de kilomètres, elle était allée se désaltérer et s'était ensuite rendue au « hangar », nommé ainsi par les surfeurs du coin. Construit depuis peu, les amateurs de surf pouvaient laisser leur planche en toute sécurité. Pour Bess, cet endroit ressemblait à la caverne d'Ali Baba. Parmi tout cet étalage, ses planches préférées étaient celles aux teintes éclatantes qui se distinguaient mieux dans l'eau, un peu comme les poissons-clowns qui attiraient toute l'attention des plongeurs. Bess en avait elle-même peint une à la main et celle-ci lui servait de table de salon, car elle ne voulait pas que l'eau altère la peinture.
Pourtant, ce jour-là, elle ne s'était pas attardée au hangar, avait saisi sa planche et était allée surfer tout le reste de la matinée sur la côte est australienne, l'endroit rêvé pour les amateurs de ce sport.
Lorsque le soleil était passé au zénith, Bess s'était dépêchée à retourner chez elle. Sa mère, Gaby, avec qui elle vivait, l'avait prévenue d'être ponctuelle. Elle ne tolérait aucun retard, surtout pour les repas. Être enfant unique avait ses avantages, mais aussi ses inconvénients, et les règles très strictes en faisaient partie.
Bess et ses parents avaient emménagé dans une maison blanche d'allure contemporaine alors qu'elle était âgée de cinq ans. La demeure comprenait deux étages et un petit jardin sur le toit plat avait été aménagé pour que Gaby y cultive ses fines herbes. De grandes fenêtres sur la face arrière de l'habitation leur permettaient d'avoir une vue imprenable sur la mer.
La propriété, située près de Mermaid Beach, se trouvait à quelques minutes seulement de la plage, sur la Côte d'Or, dans un quartier plutôt tranquille et où les voisins se montraient généralement courtois. Le terrain entourant la maison était assez petit, mais quelques palmiers où un hamac était suspendu le rendaient agréable et propice à la détente. La cour arrière était occupée par une piscine creusée où Bess se plaisait à se baigner avec sa meilleure amie, Stéphanie.
Malgré la tristesse engendrée par le départ d'Owel, Bess et Gaby étaient restées dans la même maison, car l'endroit était paisible et le paysage, à couper le souffle. D'ailleurs, l'adolescente passait beaucoup de temps à la mer. En plus de pratiquer le surf, son passe-temps favori, elle travaillait à la plage, ayant appris à nager très jeune. Elle ne s'imaginait pas vivre ailleurs et avait l'impression d'être en vacances chaque jour de sa vie. Il y avait bien l'école, mais elle apprenait facilement et ses notes le prouvaient.
La jeune fille se rendit dans la cuisine. C'était de loin la plus grande pièce de la maison et tout y était soigneusement rangé, du moins lorsque Gaby ne s'y affairait pas. Les armoires blanches aux lignes épurées donnaient de la luminosité à la pièce. Une table et une banquette étaient installées devant une grande fenêtre et Gaby insistait pour qu'elles y prennent leur petit-déjeuner, ce repas étant sacré pour elle. D'ailleurs, ils l'étaient tous. En tant que cuisinière incontestablement douée, elle mettait tout son cœur dans la préparation de délicieux plats.
Bess ne fut aucunement surprise de trouver sa mère assise avec son café et son journal à sa place habituelle.
- Comment a été ta matinée ? lui demanda Gaby lorsque la jeune fille entra dans la cuisine.
- Magnifique ! Les vagues étaient superbes. Je monte dans ma chambre me sécher.
Cette dernière était située à l'étage où la vue donnait sur la mer. Bess avait transformé la pièce afin qu'elle lui ressemble. Au grand dam de sa mère, elle avait décoré sa chambre de façon à ce qu'elle ait l'air d'un petit hangar avec une tête de lit en lattes de bois et des planches de surf traînant ici et là. Elle en avait même accroché au plafond. Des affiches de différents surfeurs célèbres ornaient les murs turquoise, sa couleur préférée. Elle avait aménagé un petit coin douillet avec des coussins près de la fenêtre pour pouvoir étudier tout en contemplant la mer.
Bess tressa ses cheveux et enfila des shorts en un débardeur. Elle s'observa un instant dans la glace. Elle était plus petite que la majorité des filles de son âge, mais possédait une très bonne condition physique grâce au surf. Il ne fallait pas la sous-estimer car, sous ses traits fins et délicats, se cachait une forte personnalité. Entêtée, impulsive et passionnée, Bess poursuivait ses rêves avec assiduité. Ses journées étaient souvent très occupées. Elle travaillait d'arrache-pied et était très impliquée dans ses activités. En plus de l'école, de son boulot et de ses devoirs, elle s'entraînait en vue de participer à des compétitions de surf. Sa meilleure amie et elle en avaient fait leur plus grande passion. Hors de question de flâner dans les centre d'achats ou à la crèmerie ; le temps filait à toute allure et Bess n'avait pas assez de vingt-quatre heures dans une journée pour tout accomplir. Du matin au soir, elle courait d'un endroit à l'autre. Pourtant, durant ses rares journées de congé, elle aimait se changer les idées en peignant, surtout des couchers de soleil. Elle s'asseyait sur le sable et reproduisait la vue époustouflante qui s'offrait à elle.
Bess possédait de très longs cheveux blonds, presque blancs, qui ondulaient naturellement. Son teint était clair, mais à force d'être constamment au soleil, sa peau était devenue dorée. La pétillante Bess aurait pu briser bien des cœurs, mais elle ne faisait partie d'aucun groupe, alors elle ne semblait intéressante pour personne. Puisqu'elle parlait peu, on ne lui accordait guère d'attention. Cela ne la peinait pas car, avec toutes ses activités extrascolaires, elle ne s'ennuyait jamais. Elle aimait la solitude et la tranquillité. Sa mère avait longtemps pensé que c'était la disparition d'Owel qui avait amené sa fille à s'isoler ainsi. Toutefois, c'était plutôt la nature de Bess. Elle avait l'impression que plus elle s'approchait de l'océan, plus les émotions qui l'habitaient était démultipliées. Le simple fait de frôler la vague avec sa main lui faisait parfois l'effet qu'un puissant courant la traversait. C'était dans ces moments-là qu'elle gagnait les compétitions ; lorsqu'elle était en profonde communion avec la nature, plus particulièrement avec la mer.
Aux yeux de ses camarades, elle n'était qu'une adolescente sage et timide, mais aux yeux de sa mère et de sa meilleure amie, elle représentait la détermination, la persévérance et la bienveillance. Son pire défaut ? L'obstination. Sa mère avait essuyé plusieurs crises causées par la jeune fille et le fait d'être enfant unique n'avait pas aidé à son comportement un peu trop gâté.
La jeune fille cherchait un collier et, en fouillant dans son coffre à bijoux, elle tomba sur le bracelet composé de perles et de cristaux que lui avait offert dix ans auparavant le garçon prénommé Rem.
En y repensant, Bess se disait que cette rencontre avait pour le moins été très étrange. Qu'est-ce qu'il fabriquait seul à cet endroit ? L'été, beaucoup de vacanciers parcouraient la côte, alors un bateau avait dû l'attendre quelque part, mais cela n'expliquait pas la raison de sa présence sur cette plage déserte.
Le temps avait passé et le visage du garçon s'était peu à peu estompé de la mémoire de Bess. Elle avait pourtant gardé précieusement le bracelet parce qu'il était magnifique et qu'il lui rappelait cette journée où elle avait eu l'impression d'avoir un ami qui la comprenait.
Elle décida donc de porter le bijou qui la rendait nostalgique et se dirigea vers la cuisine. Gaby l'y attendait, déjà assise à sa place habituelle.
À l'exception de ses cheveux et de ses yeux, Bess ressemblait en tous points à sa mère. Parfois, on prenait cette dernière pour sa grande sœur. Elles possédaient la même taille, le même visage et le même caractère impulsif et imprévisible.
- Que fais-tu aujourd'hui ? lui demanda Gaby. Tu ne travailles pas ?
- Non, j'ai demandé une journée de congé. Je vais rejoindre Stéphanie à la bibliothèque. Je dois ramener quelques livres et j'ai réservé un nouveau roman que je suis impatiente de lire.
- Tu ne trouves pas que tu as amplement de travail scolaire en plus de ton boulot et du surf ? remarqua Gaby. Je ne suis pas contre la lecture, mais tu dévores un bouquin en deux jours ; c'est un peu abusif !
Bess haussa les épaules. Elle aimait beaucoup les romans à l'eau de rose, cela lui permettait de se changer les idées. Elle était trop terre-à-terre pour croire une seule seconde au véritable amour, mais elle admirait les œuvres et l'imagination débordante des auteurs. Ces histoires se lisaient si facilement !
- J'aime lire, précisa la jeune fille, et ça ne nuit pas à mes études. Au contraire, j'ai de la facilité en français grâce à cela.
- Peut-être, mais les mathématiques aussi sont importantes et j'ai cru comprendre que tu avais échoué le dernier examen.
Comme elle détestait cette matière ! Elle avait beau essayer de se concentrer pendant les cours, elle s'égarait complètement dans les chiffres.
- Je prends des cours de rattrapage, maman, précisa Bess. Je ne vois pas ce que je peux faire d'autre. C'est la seule matière que je n'arrive pas à saisir.
Elle avait d'excellents résultats dans tous ses autres cours.
- Je dois y aller, déclara la jeune fille. Stéphanie m'attend. Bonne journée !
Bess traversa quelques pâtés de maison et arriva à la bibliothèque dix minutes plus tard. Sa maison avait l'avantage d'être près de tout ; l'épicerie, la plage, l'école et quelques restaurants. Stéphanie était déjà arrivée et était assise à une table, mais semblait dormir plutôt que lire. Bess eut envie de la faire sursauter, mais puisque la bibliothécaire était dans les parages, elle dut s'abstenir. Au lieu de quoi, elle s'aventura dans les rangées de livres à la découverte d'un nouveau roman. L'un d'eux retint alors son attention et, après l'avoir vaguement feuilleté, elle décida de l'emprunter et retourna auprès de son amie qui venait de se réveiller.
- Comme cela peut être endormant, une bibliothèque ! chuchota Stéphanie lorsque son amie se fut assise à côté d'elle. Je ne comprends pas pourquoi tu tiens tant à passer l'après-midi ici. Nous aurions pu aller à la plage.
- J'y vais trois fois par jour, lui rappela Bess à voix basse. Tu n'as qu'à t'y rendre, si tu y tiens tant !
- J'aurais préféré me dégourdir un peu les jambes avant d'aller m'enfermer dans le salon poussiéreux et obscur de grand-maman Pierce.
Chaque samedi soir, les parents de Stéphanie l'obligeaient à les accompagner chez sa grand-mère puisque celle-ci vivait seule et qu'elle n'avait pas beaucoup de compagnie. De plus, elle avait régulièrement des trous de mémoire et nommait sans cesse sa petite-fille « Lucie », qui était plutôt le nom de sa fille.
- Je ne comprends pas pourquoi ils m'imposent ce supplice tandis que LUI peut sortir avec sa petite amie. Je devrais me trouver rapidement un copain, j'aurais ainsi une bonne raison pour ne pas y aller.
« Lui » était son frère ainé, Alex, qui habitait encore chez ses parents malgré le fait qu'il travaillait comme gérant dans un grand commerce de pêche. Il était plutôt beau garçon, surtout lorsqu'il se vêtait d'un habit et d'une cravate, ce qui lui donnait autant de classe qu'un riche homme d'affaires. Il attirait alors les filles comme un aimant. Sa récente conquête, à peine plus âgée que Stéphanie et Bess, était toujours accrochée à lui comme une sangsue.
Après avoir passé l'après-midi avec son amie, Bess se rendit sur la falaise, comme elle le faisait tous les jours depuis dix ans. C'était devenu un rituel pour elle de venir à cet endroit, bien que l'espoir de revoir son père s'était amenuisé.
Or, ce jour-là, elle fut distraite par des éclats de voix. D'où provenaient-ils ? Elle était pourtant la seule à connaître le sentier secret qui se rendait en haut de la falaise. Bess eut tôt fait d'avoir sa réponse car, bientôt, elle aperçut un groupe de jeunes un peu plus loin. Ils s'étaient installés sur des couvertures et contemplaient le paysage tout en fumant.
La jeune fille les reconnut immédiatement. Certains jeunes se trouvaient dans sa classe, dont Paul, Jessy et Sophie, qu'elle n'appréciait pas, ce qui était réciproque. Paul et Jessy formaient le couple le plus populaire du lycée et, bien que le garçon soit plutôt courtois avec Bess, sa copine était une vraie peste.
Elle décida de s'éclipser discrètement, mais ils la repérèrent et elle entendit :
- Hey, la surfeuse !
Avec un long soupir, elle se retourna et se dirigea vers eux avec un faux sourire collé au visage.
- Qu'est-ce que tu faisais là ? lui demanda Sophie, la meilleure amie de Jessy. Tu nous espionnais ?
- Pas du tout, je viens souvent ici.
- Plus maintenant, la coupa Jessy. C'est notre endroit, alors dégage !
Bess s'apprêtait à protester, mais Paul plaça la main sur l'épaule de sa copine.
- La falaise est assez grande pour tout le monde, dit-il calmement.
- Elle va nous déranger !
- Nous n'avons qu'à l'intégrer à notre groupe.
- Alors là, tu rêves ! s'exclama Sophie en se croisant les bras. Ce n'est qu'une gamine coincée !
Jessy sourit toutefois méchamment en échangeant un regard entendu avec Paul. Puis, elle se tourna vers Bess.
- Tu tiens vraiment à cet endroit ? lui demanda-t-elle.
Ne sachant pas trop où elle voulait en venir, Bess hocha la tête.
- Dans ce cas, tu devras accomplir ton initiation, ajouta Jessy.
- Pardon ?
- Nous sommes tous passés par là, dit Paul très sérieusement. Ainsi, tu mériteras ta place parmi nous et, en même temps, sur cette falaise.
- Elle ne vous appartient pas ! Tout le monde a le droit de venir ici, contesta Bess.
Les amis de Paul s'approchèrent d'un air menaçant.
- Peut-être, mais tu ne fais pas le poids contre nous, fit Sophie, qui paraissait jubiler devant le désarroi de Bess.
- Qu'est-ce que je dois faire ? demanda celle-ci, méfiante.
- C'est simple, tu dois sauter dans l'eau en bas de la falaise, répondit Paul.
Bess jeta un coup d'œil effaré vers les vagues qui heurtaient la paroi rocheuse.
- Vous êtes cinglés ! Je vais me tuer !
- Pas si tu sautes au bon endroit, ajouta Paul. On l'a tous fait, pas vrai les gars ?
Tout le monde acquiesça.
- Là-bas, ajouta-t-il en pointant un endroit plus sombre dans la mer. En plus, ce n'est pas si haut. Essaie juste de ne pas tomber sur le ventre. Ça fait un mal de chien, crois-en mon expérience !
Les gens du groupe se marrèrent. Bess, quant à elle, ne riait pas du tout. Était-elle prête à risquer sa vie seulement pour pouvoir revenir à son endroit fétiche ? Pas vraiment. Elle recula prudemment du bord en secouant la tête.
- Désolée, mais non, dit-elle seulement.
Paul fronça les sourcils, apparemment mécontent qu'elle ait refusé sa proposition.
- Je ne savais pas que tu étais une poule mouillée, la provoqua Jessy. Je croyais pourtant qu'une fille comme toi faisant du surf n'avait pas froid aux yeux.
- De toute façon, dit Paul, soit tu sautes par toi-même, soit tu descends d'ici avec un peu d'aide, si tu vois ce que je veux dire...
Était-il en train de la menacer ? Apparemment si, car ses acolytes s'étaient approchés, prêts à la pousser. Bess regarda une nouvelle fois en bas. Les vagues ne paressaient pas trop fortes à l'emplacement que Paul avait pointé. De plus, elle savait nager ! Si elle sautait au bon endroit, elle n'avait aucune raison de s'inquiéter.
Bess s'approcha du bord et jeta un dernier regard vers ses « camarades », qui l'encourageaient du regard. Certaines filles semblaient éprouver une certaine crainte et Bess se demanda si elles avaient, elles aussi, déjà sauté. Elle prit une bonne inspiration et se laissa tomber en n'émettant aucun son. Puis, elle heurta la surface de l'eau et ce fut le noir complet.
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