« Le bout du monde et le fond du jardin
contiennent la même quantité de merveilles »
-Christian Bobin
Comment Rosalys avait-elle pu se laisser convaincre de venir dans cet endroit trop bruyant ? Ah oui ! Abby l'y avait forcée ! Son amie tenait à la sortir de chez elle et, comme Rosa, surnom que tout le monde lui donnait, avait été incapable de trouver une raison suffisante pour rester seule à la maison avec ses trois chats, Abby avait pensé que sortir entre filles la ferait changer d'air.
La jeune fille fronça le nez et grimaça de dégoût. Cet air empestait l'alcool, la sueur et d'autres odeurs dont elle préférait ignorer l'origine. Tu parles d'un changement d'air ! Son air à elle était celui de la campagne, embaumant les fleurs et les petits fruits. Elle regretta de ne pas être restée sur le toit de sa maison à regarder les étoiles.
Au lieu de cela, les deux amies étaient assises près du bar et attendaient depuis un bon moment déjà d'être servies.
— La prochaine fois, c'est moi qui choisit l'endroit de notre sortie, maugréa Rosa. En plus, j'ai l'impression de faire tache parmi ces gens. Ils ont l'âge de mes parents...et de mes grands-parents.
Malheureusement, ces derniers avaient succombé quelques années plus tôt.
— Si je t'écoutais, nous serions encore chez toi. Et en passant, nous ne sommes pas les seules jeunes ce soir. J'ai vu une dizaines de jeunes de nos âges. Nous pourrions discuter avec eux...
Sauf que Rosa n'était pas très sociable et elle avait de la difficulté à se faire de nouveaux amis. De plus, avec cette musiques assourdissante, ce n'était pas l'endroit pour faire de nouvelles rencontres...à part si on ne voulait pas parler.
Rosa détestait la musique. Préférant écouter la nature, les oiseaux, le vent, cet endroit la rendait presque folle.
— Je vais aller nous commander deux Margarita, annonça-t-elle à son amie
— D'accord, je t'attends.
On aurait dit que le village au complet s'était donné rendez-vous ici. Il faut dire que c'était le seul bar du coin. Les quelques deux cents habitants de St-Nazaire, étaient majoritairement des gens assez âgés. Les plus jeunes, comme Rosa et Abby, étaient partis vivre sur Terra Nova, une planète d'un autre système solaire découvert depuis environ cent ans. Les plus vieux Terriens avaient préféré finir leurs jours ici, tandis que les jeunes, et un peu moins jeunes, avaient eu envie de nouveauté, se lassant probablement de se promener en chaloupe. Les parents et le frère de Rosa avait succombé eux aussi au charme de cette nouvelle planète. Pourquoi ne les avait-elle pas accompagnés ? Pour la simple et bonne raison qu'elle avait attrapée un rhume la veille du départ et qu'on n'acceptait personne de malade à bord. Rosa avait réussi à dissimuler son état à sa famille, mais on l'avait interceptée avant qu'elle n'embarque dans le vaisseau. Ses parents et son frère étaient déjà installés et elle avait essayé de convaincre le capitaine qu'elle avait un simple petit rhume...mais il n'avait rien voulu entendre. Résultat : elle s'était retrouvée seule dehors sans pouvoir dire au revoir à sa famille. Heureusement, son amie avait décidé de rester et elle connaissait quelques gens du village avec qui elle s'entendait bien.
C'était il y a dix ans, et Rosa attendait impatiemment le prochain départ afin de pouvoir revoir sa famille. Elle espérait qu'ils étaient en bonne santé.
La jeune femme se dirigea de peine et de misère vers le comptoir. Environ vingt minutes plus tard, elle revint avec les deux cocktails, un sourire aux lèvres, mais, avant d'avoir pu atteindre leur table, un individu la heurta et les verres se déversèrent sur elle. Sa blouse blanche était maintenant imbibée de Margarita !
— Navré, dit l'homme en lui jetant à peine un regard.
— Ouais, c'est ça, répliqua furieusement Rose en observant les dégâts.
Sa blouse blanche était devenue quasi-transparente, révélant son soutien-gorge rouge.
La voix furieuse de la jeune femme amena Calix à jeter un coup d'œil en direction de celle-ci et il se figea lorsqu'elle releva la tête. Ses yeux marron brillaient d'une colère à peine soutenue. Calix resta stupéfait pendant un instant devant la beauté de la jeune inconnue. Sa longue chevelure sombre cascadait sur ses épaules et chatoyait sous les lumières multicolores du club. Son visage très expressif révélait un teint hâlé et ses sourcils froncés faisaient plisser son front d'une manière vraiment mignonne. Elle n'était apparemment pas une croqueuse d'hommes comme la majorité des femmes de ce bar, car elle simplement vêtue d'un jean et d'une blouse blanche, qui était désormais transparente. Calix ne put s'empêcher de contempler son corps parfait, mais il reprit rapidement ses esprits et détacha son regard du soutien-gorge de l'inconnue.
— Toutes mes excuses, se reprit-t-il.
Rosa était restée muette de stupéfaction lorsqu'elle avait relevée la tête. Jamais auparavant elle n'avait rencontré un homme aussi magnifique que celui-ci. Ses traits parfaits, sa peau pâle, son menton carré, ses cheveux clairs ; tout frôlait la perfection, à l'exception de ses manières.
— Laissez-moi vous payer un autre verre, lui dit l'homme qui paraissait âgé dans la mi-vingtaine, tout comme elle.
— Sans façon, dit-elle en lui tournant le dos.
Calix la regarda s'éloigner. Il lui semblait qu'il avait mis le doigt sur quelque chose d'important, bien qu'il ignorât quoi. Il devait s'approcher de la jeune femme afin de le découvrir, mais elle semblait difficilement abordable. Habituellement, les humaines rougissaient et papillonnaient des yeux devant lui. Il avait pensé qu'elle accepterait ses excuses et lui sourirait. Or, elle paraissait encore plus furieuse.
Le Syrès la suivit de loin, ne voulant pas la perdre de vue.
Furibonde, Rosa retourna vers son amie avec les verres à-moitié vide.
— Que s'est-il passé ? lui demanda Abby en apercevant sa blouse dégoulinante d'alcool.
— Un accident.
— Dans ce cas, enfile mon veston en cuir, à moins que tu veuilles attirer encore plus l'attention. Au moins quatre gars te fixent en cet instant.
Rosa piqua un fard en s'emparant du manteau que lui tendait son amie.
— Nous sommes dans un bar, ma belle, c'est normal que tu te fasses reluquer. De plus, ils ont tous déjà vu un soutien-gorge.
— Oui, mais pas le mien, alors si ça ne te dérange pas, finissons notre verre au plus vite et partons d'ici. Je suis harassée.
— Si tu travaillais moins, tu serais en meilleure forme.
— Et comment j'arriverais à vivre, selon toi ?
La population terrestre représentait maintenant moins de dix milles humains sur la Terre entière. La plupart résidaient en hauteur, sur le haut des montagnes là où ils étaient sur la terre ferme. L'eau les entourait, les isolant encore plus.
Les gouvernements, quant à eux, n'existaient plus, l'argent non plus d'ailleurs. Pour vivre, il fallait se nourrir des produits des océans : poissons, huitres, crabe, homard, algues, etc.
Rosa, quant à elle, vivait de l'agriculture. À l'aide de son ingéniosité, elle avait créé un jardin sur le toit du bâtiment dans lequel elle habitait. Celui-ci avait été érigé sur pilotis pour que l'eau n'atteigne pas les fondations. Chaque année, celle-ci montait de plus en plus et la jeune femme était consciente qu'un jour, sa maison serait submergée. Elle cultivait elle-même ses fruits et ses légumes et possédait aussi un jardin de fleurs dont elle passait ses journées à s'occuper. Elle aimait la nature et cette vie la satisfaisait.
— Au fait, commença son amie, tes valises sont-elles prêtes ?
— Non, pourquoi ?
Abby la regarda comme si elle avait fait la pire gaffe de sa vie.
— Le départ pour Terra Nova est demain !
Rosa cracha la gorgée qu'elle venait de prendre et les filles de la table d'à côté la regardèrent, dégoûtée.
— Pardon ? dit-elle, croyant avoir mal compris.
— Mais oui, Rosa. Ils en ont parlé la semaine passée à l'assemblée du village. Il a été voté à l'unanimité et tous les villageois de St-Nazaire partiront pour Terra Nova. Les conditions ne sont plus sûres. On parle d'un printemps pluvieux qui ferait encore plus monter l'eau sur la montagne.
Rosa la fixa, muette de stupéfaction.
— Tout le monde part ? répéta-t-elle, pensant avoir mal compris.
— Oui. Tout le monde a déjà réservé son siège.
Le gouvernement avait vanté cette nouvelle planète comme étant la perfection-même et les gens, tel un parfait troupeau de brebis, avaient tous cru à cette promesse de vie meilleure.
— Ne me dis pas que tu n'as pas réservé ta place sur le vaisseau ! s'écria Abby. C'est complet.
Rosa eut l'impression qu'on lui renversait un sceau d'eau glacé sur la tête.
— Complet ? répéta-t-elle d'une voix qu'elle ne reconnut pas.
— Oui, presque tous les humains quittent la Terre. J'ai entendu dire que seulement quelques milliers avaient décidé de rester, probablement ceux qui sont malades. Après tout, les conditions de vie sont devenues affreuses.
Rosa soupira. Abby faisait partie de ceux qui n'aimaient pas vivre entourés d'eau.
— À cette vitesse-là, il ne restera plus que toi et les Syrès, plaisanta Abby.
— Ces êtres ne sont qu'une légende.
— Ils existent vraiment, bien qu'ils se terrent quelque part où ne pouvons pas les trouver. Tout le monde sait qu'ils ont aidé les humains cinq cent ans plus tôt.
— Il n'y a aucune preuve.
Les Syrès étaient sensés vivre cachés dans leur cité à différents endroits de la mer. Plusieurs livres les citaient, mais, comme les elfes, fées ou autres mythes, personne ne les avait vus. On disait que ces êtres possédaient différents pouvoirs, respiraient sous l'eau comme les sirènes et avaient la peau et les cheveux bleus.
— N'espère pas les trouver, précisa Abby. Ils ne se mêlent pas aux humains. Ils vivent dans leur monde qui, à ce qu'on dit, est encore plus magnifique que Terra Nova.
— Ouais, maugréa Rose, et moi je crois au Père Noël.
— Mon frère connait un gars qui a beaucoup voyagé. J'ignore comment il a réussi un tel exploit avec seulement un canot et une rame, mais je l'ai entendu raconter à d'autres où se trouvaient les autres humains restant sur la planète. Tu devrais aller le voir. Peut-être qu'il pourrait te renseigner. Il habite dans la maison au toit vert sur la face la plus haute du village. Il a décidé de ne pas partir sur Terra Nova. Ce type doit être fou...
Rosa décida que, dès le lendemain, elle irait voir ce gars.
— Excusez-moi, fit une voix qui la tira de ses songes.
La jeune femme leva les yeux et quelle ne fut sa stupéfaction lorsque reconnut l'individu qui l'avait bousculée quelques minutes plus tôt ! Il se tenait à côté de leur table et lui souriait.
— Je me demandais si vous vouliez danser, dit-il à Rosa.
Celle-ci n'avait vraiment pas le cœur à ça et elle s'apprêtait à refuser.
— Bien sûr qu'elle le veut, répondit Abby à sa place, un sourire satisfant sur le visage.
Rosa lui jeta un regard noir. Le mot « Traître » se forma sur ses lèvres. Pour toute réponse, son amie lui fit un clin d'œil. La jeune femme se leva en poussant un soupir, puis l'inconnu prit sa main pour l'emmener à sa suite sur la piste de danse. La jeune femme frissonna lorsqu'il la toucha. Sa poigne était chaude et attisante. Bien qu'elle se sentait irritée en sa présence, elle ne pouvait nier qu'il l'attirait irrévocablement, ce qui l'irritait encore plus. Il avait quelque chose de spécial et elle ignorait quoi.
Lorsqu'ils furent au milieu des autres danseurs, son partenaire se rapprocha d'elle et plaqua ses hanches contre les siennes afin qu'elle puisse suivre ses mouvements de danse. C'était une chanson lente est très sensuelle. Les autres couples dansaient langoureusement.
— Je m'appelle Calix, se présenta-t-il. Et vous ?
— Rosalys, souffla celle-ci.
Jamais elle n'avait dansé de façon aussi lascive avec un homme et ses joues se colorèrent de gêne.
— Rosalys, répéta-t-il. C'est le plus beau prénom que j'aie jamais entendu.
Celle-ci se tendit. Il flirtait avec elle. Mais pourquoi ? Elle n'était pas une beauté comme ces autres femmes autour d'eux. Elle pouvait même se décrire comme tout à fait banale. Ses cheveux trop raides n'avaient rien d'extraordinaire, ses yeux étaient trop foncés pour attirer l'attention, ses sourcils, trop fournis, elle était trop petite et pas très mince. Bref, comment aurait-elle pu attirer un homme aussi séduisant et parfait que lui ?
— Qu'est-ce que vous me voulez ? lui demanda alors Rosa. Vous moquez de moi ?
Calix la regarda, étonné.
— Je voulais vous présenter une fois de plus mes excuses. Je n'ai vraiment pas été délicat tout à l'heure.
— Eh bien, maintenant que c'est fait, laissez-moi tranquille.
Calix n'en avait pourtant pas l'intention. Ce petit brin de femme le captivait. Depuis qu'il l'avait rencontrée, il avait l'impression que sa sérénité était revenue.
Rosa se sépara de lui en frissonnant à cause du contraste de ses bras chauds.
— Adieu, lui dit-elle en se retournant.
Calix la regarda s'éloigner, ses longs cheveux flottant derrière elle comme une nuit étoilée.
— À bientôt, lui dit-il bien qu'elle ne l'entendit pas.
Une chose était sûre : Ils allaient assurément se revoir.
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