CHAPITRE TROIS : Corvée des mennticornes (1/2)

Reine rouge

Elisha s'active dans le feu.
Iel tente de le ranimer.
Sans succès.
Iel déglutit.
La journée commence mal.
Iel était chargé de le surveiller
La nuit.
Iel a failli à sa mission.
Ce qui veut dire
Qu'elle sera de corvée
De laver les mennticornes
Ça va faire mal.
Le corbeau l'observe
...

Grimaçant d'agacement, Elisha donna un coup de pied dans les braises. Iel se sentait mal. Iel avait trahi la confiance que plaçait son clan en elle pour veiller sur le feu, et... mais quelle idée de s'endormir !

Ils avaient perdu la guerre. Leur ennemi leur avait volé la machine-qui-fait-du-feu. Depuis, la moindre étincelle était plus précieuse que la vie du dirigeant. Et elle l'avait gâchée en s'endormant !

Le clan s'éveilla. Sans les merveilles technologiques volées à présent, la vie était bien plus dure.

Plus cruelle. Plus injuste.

Le chef s'approcha. Le ? Pas vraiment. Sur Terrae, il n'y avait pas de sexes différents. Leur seul point commun était le sexe ; et la méthode de reproduction. Ils étaient tous infiniment différents.

Lorsque venu l'âge de procréer, ils s'enfermaient dans les cocons-de-métal et entraient en symbiose avec le liquide d'enfantement. Chacun s'y pliait, donnait naissance à un presque-double, qui vivait quelques années dans le cocon-de-métal, le temps de se former et d'apprendre.

Mais les envahisseurs avaient tout pris ! Tout ! Les cocons n'étaient plus, la population bélienne était condamnée à se voir mourir à petit feu sans relève.

Sans les combinaisons, les radiations tuaient lentement mais sûrement les bels.

Le nom de l'envahisseur était maudit, trois fois maudit !

Et iel avait laissé le feu s'éteindre...

Comme elle le regrettait ! Mais elle ne pouvait rien faire d'autre que cela ; regretter, plus amèrement que jamais !

Une larme coula du coin de son œil lorsqu'elle s'agenouilla devant son chef. Le front contre terre, elle murmure une mélopée d'excuses, de pleurs, de demandes de pardon.

Iel lui releva la tête avec le pied et l'envoya quelques mètres plus loin. Terriblement déçu, iel la considéra avec mépris avant de se détourner, le regard dans le vague.

Elisha, toujours prosterné.e au sol, observa avec désespoir son dirigeant annoncer la nouvelle au peuple bélien, qui se lamentent de concert. Chacun passa devant iel et posa un cailloux.

Quand tout le village fût passé, elle put constater que les cailloux formaient un tas plus gros qu'iel.
Les cailloux indiquaient la peine que souhaitaient qu'iel reçoit de la part de son village. Plus il était gros et terne, plus la peine imploré était horrible. Heureusement pour iel, iel connaissait bien tous ceux qu'iel avait déçu.e. Iel les connaissait, les admirait, les aimait. Ielleux aussi.
Les cailloux, sauf quelques rares exceptions, étaient tous petits et colorés. Iel soupira de soulagement.

Le chef arriva. Iel grogna de dépit en observant la pile devant Elisha. Sans doute avait-iel voté pour la peine la plus lourde, déposant une grosse pierre grise devant elle.

- Tu laveras les mennticornes¹, jeta-t-iel dédaigneusement à Elisha. Et tu n'auras pas le droit de t'approcher du feu, si le chaman réussit à rappeler les dieux. J'espère que la foudre tombera sur toi.

Elisha, choqué.e par ces paroles abruptes, acquiesça néanmoins. Iel avait fort conscience de le mériter.

Elle se dirigea la mort dans l'âme vers l'enclos des mennticornes.

Ces bêtes, magnifiques de puissances et de danger mortel, étaient élevées à l'écart des béliens. Pourvues d'un queue qui pourrait rappeler celle d'un scorpion sur notre terre, d'où quelques piquants bleux foncés sortaient, elles ressemblaient à des lézards obèses, à qui il aurait greffé des pattes de lion et des crocs de dragon.
Elles préféraient déguster les bibils² mais désiraient de temps à autre croquer un petit bélien imprudent. Nombre des clones nouvelleux-nés avaient déjà perdu la vie pour leur imprudence.

Elles étaient élevés pour les rituels chamaniques, servant à l'esprit à s'élever aux côtés des dieux. Mais une mennticorne doit être propre, rutilante pour le rituel des saisons ; si la carapasse est abîmée, la fumée est malpropre et tue. Voilà pourquoi Elisha devait laver les mennticornes.

Mais sans sa cuirasse... l'envahisseur les avait même prises. Toutes. Mais pourquoi ne les avaient-ils pas débarrassés aussi des mennticornes ? songea Elisha.

Arrivant à l'enclos, iel entra dans la petite masure proche des barrières et dénicha un seau d'eau sous une pile de chiffons.

Elle passa par-dessus la barrière et se rapprocha de leur abreuvoir.
Trainant avec dépit son matériel, la jeune personne se rapprocha des mennticornes et se mit à siffler.
Dans leur jeunesse, on les avait dressés à reconnaître ce son et à se rapprocher de la barrière à son entente. Courir après un troupeau de mennticornes décidées à semer leur poursuivant sur des milliers de pieds n'était pas de tout repos, surtout avec la menace mortelle qui planait si les mennticornes décidaient tout à coup de faire un festin de bélien.

Tandis que les créatures se rapprochaient et faisant de lents mouvements de tête hypnotiques, iel prépara son seau. Iel le jeta à la tête de la première mennticorne assez proche puis sauta derrière la barrière.

La mennticorne, furieuse d'avoir été dupée, chargea, mais s'effondra au dernier moment. L'eau présente dans le lac au centre du village était endormissante, sans que personne ne sache vraiment pourquoi. Un seau suffisait généralement à assomer une mennticorne en pleine charge, mais Elisha craignait le jour où il ne suffirait pas.

Elle répéta ce manège des dizaines de fois, traînant son seau rouillé sur des pieds et des pieds. Une à une, les mennticornes s'effondrèrent. Le troupeau semblait ne jamais finir... épuisée, Elisha se demanda si elle en viendrait un jour à bout...

Lorsque le soleil fût au zénith dans le ciel pâle et malade, les mennticornes dormaient toutes, et ce jusqu'au soir, pour la première victime du bain général. Les autres se réveilleraient dans la nuit, puis comploteraient furieusement ensemble contre les béliens jusqu'au petit matin.

Ensuite, Elisha passa le reste de son temps à faire briller les mennticornes, des la queue aux pattes, des crocs aux griffes. Enfin, quand la première s'agita, elle finit de faire reluire le dernier morceau du croc de la plus petite et sortit de l'enclos.

Le chef l'attendait les bras croisés. Élu à l'unanimité, iel avait cependant totalement changé de tempérament après la venue de l'envahisseur. De calme et réfléchi iel était passé à impulsif et colérique, n'accordant son attention qu'aux plus braves et forts d'entre tous.

- Elisha, prononça-t-iel de sa voix cassée d'avoir trop crié, parlons.




ENCYCLOPÉDIE DES SAVOIRS BÉLIENS

Bibil : créature à plume, de chair rose, de taille d'un melon ; très sociable, apprécie la compagnie des bels. Il est aussi mangé lors de fêtes rituelles ou encore de grandes famines. Sa chair est tendre et sucrée ; il est servi avec des baies de primevèries.
Régime alimentaire : feuilles d'écorveux moussus.

Mennticornes : créature écailleuse, dotée d'une queue de scorpion violette, où poussent des piquants bleus foncés. Apparence de lézard, crocs énormes, de trois pouces de largeur. Pattes de lions, apparence anormalement gracieuse. Tres dangereuse.
Régime alimentaire : aime manger les bibils, les béliens et les paruses.
Taille : environ treize pieds de large, huit pieds de haut et cinq pieds de large.
Appréciées des chamans pour les rituels des saisons, elles permettent à l'esprit de s'élever loin des bassesses béliennes et de côtoyer les dieux. En les brûlant, elles dégagent une fumée verte et violette utilisée dans les cocons-de-métal.
Leurs blessures peuvent être infectées de venin ; à ce jour, personne n'a réussit à survivre assez longtemps pour nous indiquer avec quelle partie du corps la bête les avaient touchés.

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