CHAPITRE SEPT : la planète verte (2/2)
L'air sifflait à ses oreilles et elle sentait sa tête tourner.
Elle allait mourir, elle en était certaine. Sa pensée fût que ses précédents décès avaient étés doux, mais que celui là la ferait souffrir longtemps.
Puis elle songea que le corbeau n'allait pas être ravi de sa mort prématurée.
Puis elle songea qu'elle tombait tout de même depuis sacrément longtemps, tout en voyant défiler branches, lianes, lianes et branches.
Sa chute interminable lui en rappelait une autre, mais elle n'allait pas atterrir dans un tapis de feuilles mortes pour se mettre à poursuivre un lapin blanc, quant à elle...
Son corps n'atteint jamais le sol. Sa bague se mit à la brûler, lui enserrer le doigt jusqu'à exploser, mais elle descellera jusqu'à flotter à un mètre au dessus du sol. Elle se sentait soudain vidée de toute énergie. Sa tête lui tournait affreusement mais surtout, la bague avait arraché une partie de son doigt en se brisant.
Elle voulut hurler mais aucun son ne sortit de sa bouche, elle manquait d'air, son monde se résumait à la douleur, elle sentait l'air sur son moignon, elle sentait le sang s'écouler en dehors d'elle, sa vision s'obscurcissait... et la voix du corbeau résonna dans son crâne.
- Tu ne peux pas t'empêcher de faire des absurdités dès que je ne suis pas là ! Petite idiote !
Rachel sombra dans l'inconscience avant d'entendre la fin des paroles du corbeau.
***
Ce fut la douleur qui la réveilla. Son doigt était congestionné dans un bandages frais, mais qui la piquait douloureusement.
Elle tenta de se redresser mais sa fatigue était trop forte, et quand elle ferma les yeux elle s'endormit. Plus tard, des éclats de voix lui parvinrent entre deux rêves agités, durant lesquels elle se faisait respectivement prendre en chasse par des hommes-lianes qui lui hurlaient d'abandonner Adama, et où elle était affublée d'une robe bleue marine, devisant avec le corbeau en buvant un grand cru.
Une femme-liane se tenait devant elle, et elle semblait en grande discussion avec le corbeau. Ce dernier lui tournait le dos, il était perché sur une branche qui incrustait la plateforme.
Rachel se redressa, sans toutefois s'appuyer sur son doigt blessé. Jetant un œil par dessus la très fine rambarde, elle s'aperçut qu'elle était au moins trois fois plus en hauteur qu'elle n'avait réussi à grimper jusqu'alors. Comment avait-ils fait ? Le corbeau était trop mince et frêle pour supporter son poids en volant jusqu'ici.
Enfin, il avait changé de taille dans le monde d'Elisha. Peut-être ?
Ses interrogations furent interrompues par le regard noir du corbeau qui s'était fixé sur elle, bien trop accusateur et chargé de mauvaises intentions pour qu'elle pût l'ignorer.
- Stupide, stupide jeune femme, ignorante jeune femme...
Rachel planta ses yeux dans ceux du corbeau. Qu'il déblatère ses inepties, ses insultes, ses menaces, elle n'en aurait rien à faire.
Il se détourna, la rage au bord des lèvres. Dans un fort bruissement d'ailes - et de verre brisé ? Il s'envola et sa silhouette se perdit dans les cimes des arbres, au lointain.
- Petite humaine, détourne la colère de ton corps pour me laisser te soigner.
Rachel se retourna vers la femme-liane, surprise de la comprendre. Pourtant elle avait perdu sa bague... Son regard se posa alors sur la main de sa guérisseuse, qui la leva à son intention pour qu'elle puisse admirer l'émeraude qui l'ornait.
- Vous êtes une autre reine ?
Le vouvoiement s'était imposé. Cette entité mystérieuse, qui paraissait si vénérable, forte et fragile à la fois, émanait une puissante sensation de déférence et d'invitation au respect.
Sans lui répondre, elle se saisit d'une plante qu'elle mâcha, avant de déposer la pâte brune sur son moignon. Rachel réprima un mouvement de dégoût et de douleur.
- Tu n'aurais pas dû faire ça.
- Quel autre choix avais-je ? Rétorqua Rachel. Mon guide avait disparu depuis des jours. Nous ne savions pas quoi faire. Nous étions en planète inconnue, effrayante parfois. J'ai fait le choix le plus rationnel.
Au fond d'elle, elle était un peu vexée. Elle avait frôlé la mort pour retrouver la trace du corbeau pour suivre sa mission, que lui reprochait-on donc ?
- Mais tu as fait le choix toute seule, répondit doucement la reine verte. Alors même que vous pouviez communiquer, tu as fait tes choix toute seule, sans une seule fois lui demander si elle savait des choses. C'était un test. Et tu as échoué. Luciole avait les clefs, Rachel. Luciole savait au fond d'elle. Elle aurait très bien pu partir seule, mais elle ne l'a pas fait. Tout lui fait peur. Elle avait peur d'une punition par le corbeau si elle revenait sans toi.
- Ce n'est pas juste, souffla Rachel. En quelques mots, cette femme l'avait remise à sa place, l'avait dépossédée de sa fierté mal placée. Et Elisha ? Pourquoi iel n'a pas passé le test ?
- Je ne possède pas toutes les réponses que tu veux, Rachel. La femme la considéra avec un air de pitié. Par contre, il faut que je t'explique certaines quelques petites choses.
Rachel fit la moue, puis se rassit confortablement. Elle avait l'impression de n'être qu'une gamine de quatre ans quand elle se trouvait avec cette femme verte.
- Comment vous appelez vous ?
La question jaillit des lèvres de Rachel une fraction de secondes après qu'elle se le soit demandé.
- Mon nom est bien trop compliqué, mais tu peux m'appeler Liane. Maintenant, écoute moi. En tombant de cette arbre, tu as failli mourir. Ta bague t'a sauvé. Si tu étais morte, tu serais passée dans le monde suivant sans nous, mais il ne faut pas. Tu risques beaucoup de choses dans celui d'après, sans notre groupe. Isolée, faible, tu serais à la merci des créatures les plus féroces. Ta bague t'a sauvée, ne revenons pas là dessus. Mais pour t'empêcher de tomber d'aussi haut, ta bague a dû déployer une énergie colossale. Elle n'en avait pas assez. Elle en a emprunté. Surtout chez le corbeau. Mais il ne devait pas mourir, il a interrompu le transfert, et la bague a puisé dans la nature environnante. La bague a tué, Rachel. Plusieurs végétaux, quelques ombres. Un homme-liane, comme tu nous nommes, aussi, qui se trouvait dans les parages. Mon peuple réclame vengeance. Nous allons partir dès que j'aurais réglé quelques affaires. Je pensais avoir plus de temps avant votre venue...
« La bague a drainé chez le corbeau une phénoménale quantité d'énergie. Il a besoin de cette énergie pour passer d'un monde à l'autre, pour vous maintenir en vie, pour tenir à distance des forces qui ne souhaitent pas votre avènement, pour vous protéger du mal des brûlés. Car c'est pour cela que vous êtes là, que nous sommes là. Pour sauver les brûlés. Ne l'oublie plus. Rachel, ta bêtise aurait pu condamner Luciole. »
Rachel, qui n'avait pas vraiment réagi à l'annonce de la mort des plantes et des ombres - était-ce humain, cette insensibilité ? Ce déni face à à l'annonce des morts qu'elle venait de causer ? Peut-être était-ce parce qu'ils étaient inconnus, ces autres, parce qu'elle ne ressentait pas directement leurs décès. Elle s'étonnait et s'attristait de cette insensibilité, se dégoûtait même ; Rachel eut un sursaut en entendant cette dernière annonce. Derrière un visage de marbre, Liane jugeait sa réaction.
Les jours suivants, Rachel sortit peu. Elle avait honte. De toutes les révélations, celle qui l'avait le plus choquée était que Luciole connaissait le plan, que Rachel n'avait pas voulu faire l'effort de communiquer et que Luciole en payait le prix.
Rachel n'était plus si choquée par la mort. Le fait de rester elle-même, de renaître grâce à la bague la soulageait d'un grand poids. Mais quand les humains n'ont plus peur de la mort, alors ils font d'énormes bêtises. Elle avait pu vérifier la véracité de cette information dans son corps. Son index coupé lui rappellerait cet incident éternellement.
Mais aujourd'hui, elle n'avait plus la bague. Le vide s'ouvrait largement autour d'elle, car ils étaient perchés tout en haut du plus grand arbre du continent, selon les dires de Elisha qui était venu.e la visiter quelques heures auparavant. Aujourd'hui, elle ne comprenait plus personne, se trouvait terriblement mortelle quand elle sentait le vent fort sur elle et stupide quand elle apercevait un homme liane lui adresser un regard glacial.
Elisha semblait venir quand Rachel retrouvait un peu d'espoir, pour lui rappeler sa faute par tous les moyens. Iel semblait se délecter de voir quelqu'un d'autre en mauvaise position - il fallait dire que depuis quelques jours, le corbeau l'avait ignoré et avait profité Elisha et Luciole de réponses à leurs questions, sans adresser le moindre mot à Rachel et en ne permettant pas qu'elle prenne connaissance du contenu de leurs conversations.
Un jour pourtant, sans doute une semaine après que Rachel ait été mutilée, le corbeau vint la rejoindre. Sa rancœur semblait s'être un instant envolée. Ses yeux d'un bleu pur et lumineux vinrent se ficher dans ceux de Rachel, avant qu'il ne lui enjoigne de le suivre.
Le corbeau se percha sur une branche, et Rachel se jucha difficilement sur une excroissance plus basse. Le vide s'étendait sous ses pieds, elle n'apercevait même pas le sol, tout se perdait dans les ramures d'arbres plus petits. Si elle levait la tête, elle pouvait apercevoir le ciel, et le tronc qui continuait son ascension dans les cieux.
- Tu m'a déçu. Enormement.
Rachel encaissa la remarque sans broncher. Bine sûr. Il ne pouvait lui pardonner en claquant des doigts.
- Tu devras te faire pardonner auprès de Luciole. Mais elle a peur de toi et ne te feras jamais confiance, à présent.
- Mais comment...
- Tu as déjà oublié ? La coupa le corbeau. Pas étonnant, l'air rempli ta tête mieux que n'importe quelle cervelle. Il ne lui laissa pas de temps de répliquer et enchaîna. Je peux entendre, ou plutôt percevoir, vos pensées et vos sentiments à propos des autres reines. Pas à propos de moi, malheureusement, mais je regrette que ce ne soit pas le cas pour enrichir ma collection d'insultes.
Comme Rachel le considérait, les yeux comme des ronds de flan, il ajouta, les sourcils froncés :
- Elisha.
Rachel eut un sourire incrédule. Ainsi, le corbeau venait de plaisanter ? Avec elle ?
Se sentant un peu plus légère, rassurée même si un sentiment confus lui indiquait qu'elle en avait pas le droit ni le besoin, elle se permit un petit rire.
- Assez, l'interrompit soudain le corbeau, passons au plus important. La bague.
Rachel observa son doigt manquant. Elle était beaucoup plus maladroite depuis qu'elle l'avait perdu. Elle avait du mal à saisir des objets. Elle avait du mal à s'habiller. Elle avait mal, tout simplement. Elle avait l'impression d'avoir encore son doigt, elle avait mal à son index. Elle se souvenait d'avoir lu quelque chose à propos des douleurs fantômes. C'était donc ça.
Ça faisait fichtrement mal.
Pourrait-elle à nouveau écrire ? Pour la guitare, en tout cas, c'était fichu.
Enfin, elle avait eut tout le temps de s'apitoyer sur son sort durant les nuits venteuses en haut du grand arbre. Elle se concentra sur le corbeau.
- ... et tu devras en payer le tribut toi-même. Je n'ai aucune envie de me mutiler pour quelqu'un d'aussi responsable qu'un enfant de trois années terrestre.
- Le tribut ? Mutiler ?
Elle avait beau hâte d'avoir une nouvelle bague, de se rassurer grâce à elle, le prix à payer ne l'enchantait guère, surtout lorsqu'il s'agissait de quelque chose à base de mutilation.
- Tu verras en temps voulu, mais ne panique pas. Il ne manquerait plus que ça.
Le corbeau eut un mouvement de tête étrange, comme un coup vers l'avant, comme le font les poules ou les pigeons quand ils avancent. Rachel tût un rire. En réalité, elle avait presque envie de pleurer. Tout lui paraissait compliqué.
Elle sentit une serre dans son dos et prit peur. D'un seul mouvement, il pouvait la pousser et... la fin serait beaucoup moins agréable que celle de sa première chute. Bien qu'elle sache absolument parfaitement qu'il ne le ferait, car ce geste serait totalement contraire à son discours, à la logique et à tout un tas d'autre choses, elle tremblait. Et elle sentait, dans son dos, qu'il se réjouissait de ce pouvoir. Quand enfin elle ne sentit plus la serre dans son dos, elle se tourna et très lentement, précautionneusement, elle se laissa glisser sur la plateforme. Le corbeau l'attendait.
- Ne te crois pas sur un pied d'égalité avec moi. Jamais. Ne ris pas de moi. Jamais. Aide moi dans cette quête et tu retourneras peut-être à ta pathétique vie d'avant en un seul morceau. Contrarie moi trop et.... Tu pourrais être privée de ta bague au plus mauvais moment pour toi.
Il s'envola, fouettant le visage de Rachel au passage.
Et malgré le sérieux de la situation, sa peur, ses tremblement, elle se fit tout de même la réflexion que son comportement ressemblait énormément à celui d'un bad boy dans un romance clichée.
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