CHAPITRE SEPT : La planête verte (1/2)

Reine noire

La lune éclairait les immenses arbres quand Rachel et Elisha apparurent. Chaque fois, c'était un processus compliqué. Rachel n'avait pas eu loisir d'interroger leur guide là-dessus ( il y avait tellement de questions qu'elle souhaitait poser, de toute façon, que celle-ci se noyait parmi la masse ) mais elle avait quelques théories.

Quand quelqu'un mourait pour de vrai, sans les bagues, il passait la première porte de la Salle des Âmes. Ensuite, attendant son tour, il se délestait de tous ses souvenirs humains - ou quoi que fût l'appelation des peuples des autres mondes - et attendait.
Ensuite, il renaissait sous la forme d'un bébé dans le monde suivant, et cela formait une boucle infinie depuis des milliers d'années.
Rachel se demandait si tous les mondes avaient étés créés par le même Big Bang, ou s'il y avait d'autres commencements...
Mais comme les Reines - elle avait toujours autant de mal à se faire à cette idée saugrenue d'être une "reine", une "élue" - ne naissaient pas, elle s'arrachaient à un élément de la nature.
C'était une sensation bien trop désagréable pour être tentée plusieurs fois, et pourtant... c'était déjà la troisième.
Rachel s'était extirpée d'un arbre, difficilement. Elle avait vu Luciole faire de même puis tirer l'aile de son démon qui était restée coincée dans le sol.

Iels avaient atterris dans une immense forêt. Les arbres, de véritables mastodontes, mesuraient plusieurs centaines de mètre de hauteur, à vue d'oeil. Au sol s'étendait un tapis de feuilles encore vertes, de racines et de lianes enchevêtrées. Presque aucune lumière ne passait à travers les frondaisons, mais les pierres et les galets luisaient faiblement, répandant une lumière bienvenue. L'atmosphère était étrange, bien qu'apaisante. Rachel inspira profondément. L'air sentait un mélange de bois, d'ancienneté, d'humidité... un léger sourire naquit au creux de ses lèvres.
Elle était bien ici. La nature respirait le calme, la sérénité, l'apaisement... Elle aurait pu rester des heures à contempler la forêt millénaire quand des bruits la firent soudain se retourner.

Luciole s'était mise à trembler de tous ses membres, lâchant des petits cris. Une substance vert pâle coulait de ses trois yeux et Rachel comprit que c'était des larmes. Lal enveloppa de ses ailes noires Luciole ( faisait-il cette taille immense à l'arrivée ? se demanda Rachel, éberluée) et cette dernière retrouva peu à peu son calme. Rachel se rappela qu'elle vivait dans un endroit désertique, et que jamais elle n'avait vu d'arbres tels que ceux qui se présentaient devant elles de sa vie.

Une fois la terreur et les spasmes passés, Luciole put se relever. Lal avait reprit sa taille normale, et s'était perché sur son épaule. Rachel quant à elle, se sentant fort inutile, continuait de contempler le lieu presque magique où elle se trouvait.

Elles attendirent, longtemps. Où étaient donc le corbeau et Elisha ? Avaient-elles donc trop tardé avant de franchir la porte ? Mais d'habitude, ils atterrissaient toujours au même endroit, ensemble... Peut-être que le corbeau s'était lassé de les attendre et avait décidé de commencer le chemin sans elles. Peut-être qu'il avait tout simplement décidé de partir chasser.

Mais alors... n'y aurait-il pas un signe ? Quelque chose pour leur indiquer où ils étaient partis, ce qu'ils devaient faire sans eux, la marche à suivre ?

Rachel décida d'attendre. Elle communiqua son point de vue à Luciole, qui acquiesça. Rachel s'était peu à peu imposée comme responsable et cheffe du groupe – plus affirmée que Luciole, plus aimable qu'Elisha, plus humaine que le corbeau – et Luciole était en terre plus qu'inconnue, elle suivait le mouvement. Et Rachel décida de ne pas en faire du tout.

Elles attendirent de longues heures, pendant lesquelles la luminosité ne faiblit pas. Les ombres douces qui régnaient ne s'allongeaient pas, ni dans un sens ni dans l'autre, et la lueur qui émanait des pierres était toujours aussi faible.

Elle sentit tout à coup le poids de la fatigue sur ses épaules, ses yeux se fermèrent et son esprit commença à divaguer. Elle voulait tenir... si le corbeau la retrouvait endormie, elle allait causer son déplaisir... la nouvelle reine aurait une mauvaise opinion d'elle... elle avait tellement sommeil... ses jambes tremblaient... mais le corbeau...

Elle tomba presque au ralenti et avant qu'elle ne touche terre, elle dormait déjà. Quand à Luciole, son sommeil ne fut pas troublée par la chute de Rachel – cela faisait déjà quelques heures qu'elle s'était roulée en boule avec Lal, profitant de l'agréable tiédeur ambiante et d'un épaisse couche de mousse qui lui servait de nid.

Quand Rachel se réveilla, après un lourd sommeil sans rêve, elle trouve Luciole mangeant une poignée de mousse. Devant sa mine circonspecte, Luciole sembla un peu honteuse et se détourna. Peut-être était-elle encore un peu intimidée ? Rachel se rapprocha, décidée à se montrer sociable – de toute façon, elles allaient rester ensemble durant leur « quête », qui lui sembla tout à coup durer un temps immense – cela faisait déjà plus de deux semaines qu'elle était partie de chez elle, de son monde.

Quand il lui sembla qu'attendre encore était inutile, Rachel invita Luciole à se mettre en route. Des heures- des jours ? Des semaines ? Étaient passées depuis leur arrivée, et elles n'avaient fait qu'attendre. Si le corbeau et Elisha étaient en route, ils étaient désormais bien loin, et elle n'avait pas la force de les attendre, alors qu'il ne reviendraient sans doute pas les chercher.

***

Le ventre de Rachel gargouillait désagréablement. Nulle chose comestible en vue, juste des herbes et des arbres, des cailloux et – était-ce le vent inexistant qui avait fait frémir les fourrés là devant ?

Rachel devait tout de même se l'avouer, elle commençait à aimer cette quête. Même si le corbeau était un être foncièrement désagréable, que la compagnie mutique de Luciole et d'Elisha laissait à désirer, elle aimait l'aventure. Savoir comment le monde marchait. Savoir qu'à sa vraie mort, elle passerait dans un autre monde – celui d'Elisha, donc – et recommencerait une nouvelle vie. Si dans cette existence et découvrait avec émerveillement le monde encombré de végétation, son âme avait déjà vécu ici et elle repasserait encore des milliers de fois. Cela avait en soi un espèce de sentiment réconfortant ; la mort même ne semblait plus si terrible.

Forte de sa découverte, Rachel eut un élan ; et si elle savait monter dans un de ces immenses arbres ? Peut-être avait-elle fait ça durant des siècle, au fur et à mesure de ses vies sur cette planète ! Et puis, en haut, elle répèrerait le corbeau, s'il volait.

Elle fit un signe à Luciole, puis, se souvenant qu'elles pouvaient communiquer grâce aux bagues, elle lui fit comprendre qu'elles faisaient une pause. Tandis que Luciole et Lal se laissaient tomber par terre, elle choisit un arbre dont la cime se perdait dans le lointain, et entreprit de l'escalader. Entreprit seulement, car lorsqu'elle en fit le tour, elle ne trouve rien qui puisse l'aider dans son ascension. Le tronc, paré de mille couleurs, était parfaitement lisse, à l'exception de quelques bosses, beaucoup trop fines pour que Rachel y puisse prendre appui.

Elle erra longtemps autour du tronc, sans rien remarquer de plus. Plus haut... beaucoup plus haut, il y avait les lianes, les branches, mais ici, rien. Elle aperçut soudain une ribambelle de singes s'élançant dans les airs. Des singes ? Cela y ressemblait, en tout cas. Mais comment avaient-ils fait ? Réprimant un soupir, Rachel laissa courir ses doigts sur le pourtour du tronc pour la huit-centième fois, essayant d'ignorer les fréquents coups d'œil interrogateurs et – lui semblait-il, légèrement agacés – de Luciole.

Son doigt buta contre une toute petit bosse. Il y en avait beaucoup au bas de l'arbre, comme sur tous les autres, d'ailleurs. Ces bosses ne semblaient pas vouloir devenir des branches, alors elles restaient là, à regarder stupidement Rachel, qui les regardait tout aussi stupidement. Reculant, toujours plus, elle les trouva jolies, ces bosses. A bien y regarder, elles formaient presque un motif. Un motif en forme de... A peine Rachel s'était-elle faite la réflexion que les bosses formaient presque tout à fait la forme de symboles, de lunes, de soleils, de triangles, de ronds, de carrés, de formes bizarres qu'elle n'avait jamais vues, et elle crut distinguer un trapèze ; à peine l'eut-elle remarqué que sa bague se mit à chauffer, et sa vision se modifia.

La nuit régnait dans la forêt, et Rachel ne put retenir un cri de surprise. Cela faisait sans doute plusieurs jours que Luciole et elle séjournaient ici et jamais elle n'avaient vu la nuit tomber. Ici, l'obscurité régnait en maître. Les pierres luisaient toujours, mais cette fois, leur lumière était à peine visible. Des créatures fantomatiques erraient, se laissant couler autour de Rachel, de Lal et de Luciole, sans jamais les toucher ni même les remarquer. Elles étaient si étranges ! Rachel distinguait des sortes de panthères noires tatouées de symboles runiques, des oiseaux qui disparaissaient en tournant la tête, des copeaux de bois munis d'ailes, des plumes vivantes, des animaux plus grand qu'une maison possédant des dizaines de milliers de pattes, des animaux qui ressemblaient à ceux existant sur terre et d'autres pas du tout, et des insectes, des insectes par milliers. Aucun ne semblaient offensifs ou dangereux ( à part peut-être l'immense bête aux pattes innombrables).

Se tournant vers les arbres, après s'être arrachée au fascinant spectacle animalier qui se jouait devant elle,

elle eut la surprise de constater que des branches basses, des rochers et des lianes étaient apparus pour l'aider à monter. Trop heureuse de leur présence, qui lui permettait de réaliser son objectif, elle ne s'interrogea pas outre mesure. Comment avaient-ils fait pour se déplacer ? S'ils étaient présent mais invisibles, comment avait-elle fait pour ne pas buter dedans ? Invisibles et intangibles, alors ? Et le pouvoir de cette bague, comment marchait-il ? Etait-il infini ?

Elle entama son ascension. Au début, cela lui paru simple. Elle crut même retrouver une de ses anciennes vies, et prit de l'assurance. Il lui semblait que ses muscles antérieurs revenaient, qu'elle retrouvait une souplesse et une adresse qu'elle avait le sentiment d'avoir déjà eue, une agilité soudaine...

Mais elle s'immobilisa un instant pour reprendre son souffle et commis l'erreur de regarder en bas. Elle avait parcouru une quinzaine de mètres sans s'en apercevoir, et, même si la mort lui avait paru presque aussi excitante qu'une véritable aventure quelques heures plus tôt, maintenant, elle la tétanisait. Le vent grossissait à cette altitude, et si elle levait la tête, elle ne distinguait même pas un bout de ciel. Découragée, elle voulut abandonner. Pourquoi s'était-elle dit que c'était une bonne idée ? L'escalade de ce mastodonte pourrait bien prendre des semaines, voire des mois, elle n'en savait rien. Et Luciole ? Se risquant à un rapide coup d'oeil vers le bas, elle constata que cette dernière dormait. Cela faisait donc si longtemps qu'elle était partie ? Ou alors Luciole avait un rythme de sommeil totalement différent du sien, ce qui était tout à fait possible, voire même logique quand on y songeait quelques secondes. Mais Rachel n'était pas dans les conditions nécessaires pour y songer quelques minutes.

Comment redescendre ?

Elle ne pourrait pas redescendre. Serrant les dents, elle releva la tête et s'engagea dans la montée, mais cette fois beaucoup plus lentement.

Les lianes devenaient glissantes, l'écorce aussi. Quelques heures plus tard, Rachel ne progressait quasiment plus. Ses bras et ses jambes la brûlaient, sa gorge et ses poumons étaient en feu, ses muscles absolument éreintés. Elle faisait du surplace depuis au moins une heure, se déplaçant latéralement par minuscules a-coups sur le tronc. Elle se servait l$des lianes pour s'assurer, en nouait autour de sa taille, de ses mains, de ses jambes quand elle pouvait, comme elle avait vu faire dans les films d'action. La torture des cours de cirque de son enfance lui serviraient finalement à quelque chose, songea-t-elle, n'ayant même pas la force d'esquisser un sourire.

Elle ne voyait plus Luciole en contrebas. Bah, elle devait encore dormir.

Sa main lâcha soudain. Tout son bras droit criait souffrance, et sa main, dans des réflexes spasmodiques, serrait compulsivement le vide.

Elle était arrivée à la hauteur de la première grosse branche qu'elle avait vu quand elle était encore au sol, celle où les singes ( les bêtes qui y ressemblaient, en tout cas ) avaient sauté. Se hissant péniblement, avec lourdeur, elle s'affala enfin sur le bois. La relative sécurité qu'offrait la largeur de la branche la rassurait. Se retournant, la bouche grande ouverte, aspirant goulûment un peu d'air chargé d'humidité, elle croisa soudain un regard. Un regard ?

Rachel se redressa immédiatement sur son séant, même si l'effort lui coûtait. Une sorte de personne – qui tenait plus de la liane que de l'humanoïde, visiblement – la fixait avec stupéfaction.

L'humanoïde était vert, se couvrant de feuilles géantes, des pousses, des lianes et branches lui poussant sur la tête. Ses longs membres graciles et fins semblaient absorber la lumière. Les beaux yeux de l'inconnu se plissèrent – il examinait lui aussi Rachel, et son piteux état devait lui faire pitié , ou le dégoûter, ce qui n'était pas mieux.

Rachel esquissa un geste – stupide, pensa-t-elle après coup, elle savait parler leur langue – mais la liane vivante se détourna, effrayée – et avec un soupçon de colère – et modula. Il n'y avait pas de terme précis pour décrire le son qu'il poussa. Un long cri sortit de sa bouche, et il se répandit dans la forêt qui se paraît des couleurs pâles de l'aube. Des volutes de sons s'éparpillèrent dans tous les sens, montant dans les aigus, descendant dans les graves, changeants sans cesse, rythmés par la voix de la liane. La forêt s'agita, doucement au début, puis les animaux en bas, tout en bas – comme elle était haute ! S'épouvanta Rachel. Elle ne savait même pas comment elle avait pour gravir cette hauteur ! Elle devait à présent se trouver à une cinquantaine de mètre du sol ! Quoique, les distances se confondant toutes à partir d'une certaines hauteur, elle ne pouvait pas deviner. Elle aurait pu tout aussi bien se trouver à plusieurs kilomètres de la terre ferme, bien qu'elle doutât fort de sa capacité à escalader sur une aussi grande distance. Le sol se noyait dans un brouillard de nacre, et seuls les dos des animaux les plus grands se distinguaient encore. Luciole avait totalement disparu, et elle n'était pas la seule. Quand Rachel releva la tête vers la liane, celle-ci s'était volatilisée. Elle crut le voir se déplacer – mais comment ? Il était déjà parvenu à cette hauteur en si peu de temps ? - quelques dizaines de mètres plus haut. A sa place se trouvaient maintenant un escadron des bêtes que Rachel avait pris pour des singes, quelques heures plus tôt.

Ce n'étaient pas des singes, de toute évidence. Les singes de la Terre avaient pour eux qu'ils ressemblaient plutôt à des humains – et par là, on pouvait leur prêter des sentiments et des émotions humaines sans trop de problèmes.

Mais les bêtes hideuses qui se trouvaient en face d'elle ne lui inspiraient que peur et dégoût.

Des dents jaillissaient de toutes part, et la bouche semblait inexistante ( et bien trop petite pour contenir toutes ces dents. Mais combien y en avait-il ?). Des dizaines de paires d'yeux la fixaient avec animosité – dizaine de paires par tête, bien entendu. Une lueur malveillante brillait, et une odeur nauséabonde se répandait doucement dans l'air. Des appendices ressemblants à des bras — bien trop pour que les bêtes conservent le semblant d'harmonie qui est censé exister en chaque animal — poussaient partout sur leurs corps.

Rachel voulut reculer, et ce fût le mouvement de trop. Les bêtes se ruèrent à son encontre.

Elle se remit debout, dérapa, aggrippa une liane, se ressaisit, courut — deux, trois pas — sur le tronc humide et elle glissait à nouveau quand une horrible main poilue l'attrapa. Se débattant de toutes ses forces — finir dans l'estomac d'un monstre hideux n'étant pas dans ses projets — elle finit par agripper une petite branche et se laissa tomber du tronc de tout son poids, entraînant la bête derrière elle qui la tenait toujours fermement.

Cette dernière se rattrapa quelques mètres plus bas mais déjà les bras las de Rachel lâchaient, et elle tomba.

Tout en bas de l'arbre, Luciole fut réveillée par un cri qui n'en finissait pas et vit soudain chuter vers elle une petit masse gigotante ; Rachel.

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