CHAPITRE QUATRE : Comprendre l'autre (2/2)

Rachel sursauta. Il lisait donc dans les pensées ? Quelle catastrophe !
Elle songea à toutes les insultes dont elle l'avait affublé, tous les surnoms dégradants qu'elle lui avait donnés, et elle fût prise de panique.

Le corbeau jeta un coup d'œil vers elle.

Cynique, elle se dit que même s'il lui en voulait, il ne pourrait pas la tuer. Maigre consolation face à la douleur que ses pouvoirs pouvaient lui infliger.

- Je ne lis pas dans les pensées.

Elisha gardait son air de défiance, tandis que Rachel manquait de défaillir de soulagement. Mais un détail la gênait...

- Mais on ne t'a pas demandé si tu lisais dans les pensées, on l'a juste pensé... Comment tu peux...

- J'avais prévu tes questions, que crois-tu, tu n'es pas la seule qui s'inquiète de toutes ses mauvaises pensées...

- Il a dit qu'il entendait le raffut de nos esprits, il déforme ses propos, ne l'écoute pas, c'est un menteur, lança Elisha, les sourcils froncés. Pour ton information, je me fiche que tu entendes mes pensées ; au contraire, tant mieux, je n'ai pas à exprimer mon dégoût de toi par les mots, trop précieux pour ta misérable existence.

Le corbeau parut presque amusé, et un sourire commençait à se dessiner sur son bec. Mais son expression fût vite remplacé par une grimace de colère, quand il porte une de ses serres à sa tête.

Il se précipita vers Elisha pour la saisir à la gorge, mais Rachel, qui l'avait prévu, s'était interposée.

Le corbeau la considéra d'un œil rond, et noir, insondable, puis se détourna.

Rachel songea amèrement que si elle était déjà habituée à ses accès de violences, c'est qu'elle en avait déjà fait souvent les frais...

Le corbeau se laissa tomber lourdement sur le sol, faisant trembler le feu. De plus mauvaise humeur encore que d'habitude, il laissa planer un long silence chargé de ressentiment puis déglutit et repris la parole.

- Je ne lis pas dans les pensées, quoi que vous puissiez croire. Je ne peux qu'entendre un bruit qui se change en parole, lorsque vous pensez à une des reines.

Reine ? Il ne les avaient nommés qu'Élu•e•s, pas Reines, mais l'idée lui plaisait.

<< Et encore, c'est souvent indistinct. Et là, il désigna Elisha de la plume, iel se dit qu'iel ne t'apprécie pas parce que tu donnes l'impression que tu crois sa personne faible.
Et elle, il désigna cette fois Rachel, est outrée parce qu'elle vint d'entendre, un peu peinée aussi, et elle pense le contraire, parce qu'elle n'aurait pas osé me tenir tête, sachant ma puissance. Oh, merci, Rachel.
Et toi, Elisha, tu es dégoûtée de sa faiblesse. Et toi, Rachel, tu... >>

- Tais-toi !

A sa grande surprise, ce fût Elisha qui arrête la corbeau en premier. Elle-même allait le sommer de se taire, mais Elisha non plus ne semblait pas souhaiter en savoir plus.

- Je recommencerais chaque fois que j'entendrais trop de mal concernant l'autre.

<< Je continue mon histoire ? Le méritez-vous ?

À bout de nerfs, Rachel allait intervenir, mais le corbeau posa la pointe de son aile sur sa bouche, marqua une pause qu'il voulait complice, puis reprit :

>> Je reprends...
Rachel, je t'ai effacé de la mémoire de ton monde. Procéder autrement aurait crée des complications inutiles. Ta collègue ne pouvait plus te reconnaître, car son cerveau t'avait aussi éliminée. Elle ne pouvait pas te voir.
Ta lignée ne porte pas de pouvoirs particuliers, tu n'es pas meilleure que les autres, mais tes ancêtres m'avaient prêtés main forte à un moment, c'est pour les honorer que je t'ai choisi. C'est possible d'ailleurs que tu sois une de leur âmes, mais je ne peux le savoir, les Gardiens ne me donnent pas l'accès à leur registre.
<< Quand à toi, Elisha, tu dois savoir que les mennticornes ont failli te dévorer à ta naissance. Elles t'ont laissé en souvenir une tache rouge sous le pied. Si on l'active correctement, elle pourrait te faire exploser, mais te maintenir entre la vie et la mort jusqu'à ce que trois-huit¹ saisons passent, sans la moindre possibilité que tes cellules se réparent.
Mais tu n'es pas réceptive au Mal des Brûlés. C'est ce qui m'a fait te choisir. Il faut au moins que quelqu'un survive afin d'accomplir son destin ! >>

Le Mal des Brûlés ! Rachel n'avait pas pris la pleine mesure de ce s'impliquait cette maladie. Elle n'avait tout simplement pas réalisé qu'elle pourrait décéder à tout instants. La souche inflammatoire était peut-être déjà visible ?

- Rachel, j'ai stoppé l'avancée de la maladie, mais il faut que je maintienne ma concentration, et cela me prend toute mon énergie. Je ne pourrais pas faire ça pour deux Reines. Le moment venu, il faudra décider qui est celle que je dois sauver... mais certains d'entre vous n'en n'auront pas besoin.
Lorsque vous serez toutes réunies, nous participerons à l'intronisation. Je vous en dirai plus quand vous serez ensemble.

Le feu avait pris une teinte blanchâtre et les fumées rouges, jaunes, vertes, bleues, violettes et roses s'élevaient haut dans le ciel.

<< La Reine Blanche est notre ennemie. C'est tout ce que vous avez besoin de savoir. Et maintenant, dormez, le temps avec moi s'écoule différemment que dans ce monde, et c'est la nuit. >>

Il détourna le regard, et Rachel s'aperçut en effet que le ciel avait viré au noir.

Elle tenta, tant bien que mal, de s'aménager une couche de fortune dans les herbes violettes qui proliféraient avec joie. Elles se tassèrent pour l'accueillir puis se referment sur elle, afin de la protéger de la fraîcheur de la nuit, sans doute. Elle avait déjà chaud...

***

Dans son rêve, Rachel volait. Mais le corbeau, jaloux de ses ailes d'argent, qu'elle lui avait volés, se propulsait dans les airs grâce à ses immenses pattes et la plaquait au sol.

- Rends moi mes ailes ! hurlait-il.

Elle s'apercevait que du sang dégoulinait dans son dos, et ses ailes d'argent étaient devenues noires. Le sang remontait, et se glissait dans sa bouche pour l'étouffer, tandis que les serres du corbeau la comprimaient au sol, si fort... elle avait mal... si mal...

- RÉVEILLE TOI !

Une gifle la tira de son sommeil agité. Elle ouvrit les yeux, choquée, mais la main ne lui laissa pas le temps de réagir. Elle attrapa son col, et la releva avec une force surhumaine.

- TU VEUX MOURIR ?

Rachel s'aperçut que la main appartenait à Elisha. Mais pourquoi la tête du corbeau la la surplombait, alors ?

En ouvrant plus grand les yeux, elle s'aperçut que le corbeau était perché sur les épaules d'Elisha.

- Tout le monde sait qu'il ne faut jamais s'endormir par terre ! Les herbes allaient te digérer !

Rachel jeta un coup d'oeil par terre et s'aperçut que les herbes maléfiques avaient disparues. Elles flambaient dans le foyer.

Du sang coulait des mains d'Elisha, et Rachel sentait le liquide poisseux dégouliner de la tête, ainsi que sur ses bras.

Choquée, elle ne parvint pas à prononcer la moindre parole.

Elle sentit Elisha la pousser pour la faire monter dans l'arbre, elle sentit le corbeau s'allonger près d'elle, sur une branche au dessus de sa tête, elle sentit l'air frais lui caresser ses cheveux, jouer avec ses mèches noires.

Dans sa tête, le chaos régnait. Jusqu'a l'aube, ses pensées tournaient en rond tandis que le corbeau et Elisha dormaient près d'elle.

Enfin, le soleil daigna les honorer de sa présence.

Ses compagnons d'infortune se réveillèrent ; d'abord Elisha, qui considéra le corbeau d'un œil noir, avant de sauter de l'arbre et de ranimer le feu.
Ensuite l'oiseau ouvrit un œil et plana jusque dans le feu. Les flammes grandirent et entourèrent le corbeau, le recouvrant entièrement, ce qui était un exploit : il mesurait plus de deux mètres.

Quand il sortit, il ébourrifa ses plumes d'un air coquet, et Rachel sourit, amusée : c'était la première fois qu'elle le voyait se conduire comme un vrai corbeau.

Ce dernier tourna la tête vers les Élu•e•s, reniflant d'un air dédaigneux.

<< Bon, ce n'est pas un hasard si j'ai commencé par ton monde, Rachel. J'ai toutes les raisons de croire que la Reines Blanche se cachait parmis vous... elle a la faculté de voyager entre les mondes sans faire halte dans la Salle des Âmes.
Ce n'est pas un hasard car dans ce monde, il y a un objet rare... précieux, très précieux, qui vous permettra de conserver vos souvenirs dans la salle des âmes... je n'en avais qu'un.
Les autres sont ici, mais sont dissimulés dans ton village, Elisha...
Il faut que tu ailles les chercher.

- C'est hors de question. Je ne dois pas revenir sans le butin des envahisseurs.

- Qui a dit que tu te ferais repérer sans ? Je peux couvrir ta peau d'un voile d'invisibilité. Je peux rendre ton pas aussi léger que celui d'un bibil. Je peux rendre ton souffle aussi hypnotique que celui d'une mennticorne. Je peux...

- J'ai compris, lança-t-iel d'un air maussade. Mais si je ne veux pas ?

- Je serais obligé de vous tuer pour passer d'un monde à l'autre. Et cela ne se fera pas sans douleur, demande lui, ricana-t-il en désignant Rachel de la pointe de son aile. Et tu ne pourras conserver tes souvenirs de ce monde, de moi, de Rachel... je sais à quel point tu regretteras, soupira-t-il, amusé.

- Il t'a réellement tuée ?

- Oui, grimaça Rachel.

Elle passa nerveusement une main sur sa gorge. Elle avait été soulagée de ne pas trouver de cicatrices, mais la douleur fantôme subsistait.

- C'est bon, je vais le faire, gronda Elisha.

Iel passa devant Rachel, puis devant le corbeau et en profita pour lui faire don d'un coup de pied dans les serres. Il fit un bond en arrière, une expression féroce et sanguinaire plaquée sur son visage de tortionnaire.

- C'est quoi que je dois récupérer ?

- Une petite sacoche, remplie de bagues, chacune d'une couleur différente, articula-t-il difficilement, tant sa colère était grande.

Puis il souffla sur iel, le.a recouvrant d'un voile épais de brouillard.

- Pourquoi attendre ?, lui chuchota-t-il. Vas-y maintenant, et nous pourrons repartir au plus tôt. Mais tâche de ne pas laisser de traces... tu sais bien à quel point ton clan comptait pour toi, et s'ils te repèrent sans l'objet de ta mission... tu sais ce qui arrivera.

Rachel observa Elisha s'enfoncer lentement dans la forêt. Bientôt iel disparut, et ne resta pour lui tenir compagnie que le bruissement des feuilles, les chuchotis des fourrés et la proximité déplaisante du corbeau.






ENCYCLOPÉDIE DU SAVOIR BÉLIEN

Trois-huit saisons : manière de compter des béliens, c'est à dire trois fois huit, ce qui donne 24 saisons, ou six ans.

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