CHAPITRE CINQ : Les poilécailles (2/2)

Tout d'un coup Lal vint se blottir contre Luciole en gémissant de peur, et la douleur disparu presque entièrement. Elle ressentait encore un petit aiguillon de souffrance dans son épaule, mais ce n'était vraiment rien par rapport aux dernières heures. Peut-être était-ce la mort qui arrivait. Une sorte de chaleur cotonneuse lui embrumait son corps et son esprit. Une larme coula le long de sa joue ; elle ne voulait pas mourir, elle ne voulait pas laisser Lal seul, elle ne voulait pas...

Un étrange personnage fit irruption dans la case.

Il était tout petit, noir comme la nuit - comme Lal - et il était maculé de terre. Ses poilécailles - à y regarder de plus près, ce n'en était pas - luisaient faiblement, et un tache semblable à la sienne ornait son épaule. Il semblait en souffrir beaucoup.

Il allait se percher d'un coup d'aile sur la tête de Luciole quand Lal se mit à grogner férocement, puis il se jeta sur lui. L'être étrange le stoppa d'un seul regard, et l'envoya dans un coin de la pièce.
Se tournant vers Luciole, il annonça d'une voix grinçante :

- Et voilà une Reine de plus !

Deux têtes inconnues surgirent soudain à l'entrée de la case. Puis les têtes se firent suivre par leur corps, et bientôt deux étrangers - trois en comptant l'animal - se tenaient dans sa case.

Luciole se redressa sur son séant, légèrement outrée par l'entrée sans gêne de ces gens - qui ne semblaient d'ailleurs pas avoir de familier, qui étaient-ils ? Elle était également effrayée, inquiète pour Lal, curieuse, et emplie de tout un mélange d'émotions qu'elle ne savait pas trop distinguer les unes des autres.

L'animal s'envola et se posa sur sa tête. Il enfonça ses serres puissantes dans son crâne ; Luciole défit une grimace douloureuse et paniquée, puis elle entendit une voix qui tentait de s'immiscer dans son cerveau. Personne ne remuait les lèvres, et pourtant elle entendait cette voix, qui lui débitait sur un ton monocorde qu'elle était une élue choisie pour accomplir la prophétie et...

Ce fût trop, trop d'un coup, a comprendre, à assimiler, leur présence, la mort qui l'attendait aux yeux de son peuple, des voyages entre les mondes... elle se mit à hurler de douleur comme un animal pris au piège. Lal s'éveilla et la rejoins, penaud de n'avoir su la protéger.

Quand elle rouvrit les yeux - décidément, ces derniers jours, elle n'avait qu'alterné entre inconscience et évanouissement - l'animal parlait avec la plus grande des deux, celle qui avait les cheveux noirs.
Elle saisit des bribes de conversation.

- J'ai pris sa douleur et sa tache... tu n'es donc plus protégée, Rachel. La brûlure me fait horriblement mal, je ne pourrais en supporter deux... et je ne peux plus lire dans les pensées. La tâche me prend toute ma concentration.

- À d'autre, grogna celui qui avait une apparence des plus singulières.

- Crois ce que tu veux, rétorqua l'animal d'un ton froid, mais je dis la vérité.

Et, se tournant vers Luciole, il ajouta :

- Je crois que notre amie la nouvelle élue est réveillée !

Aussitôt, deux têtes tournèrent à la vitesse de l'éclair et deux paires d'yeux - iels n'avait que deux yeux ! la fixèrent.

Difficilement, elle se releva, une douleur fantôme encore bien ancrée dans l'épaule, et se dirigea vers le feu.
L'animal l'observait sous toutes ses coutures, puis se tourna vers son démon. Il grimaça.

- Je suppose que s'il glisse une écaille dans la bague il pourra voyager sans perdre ses souvenirs et son attachement envers toi...
Puis, s'adressant à Rachel : je t'en prie, tu peux faire les présentations, tu es la premières élue et celle qui en sait le plus, pour le moment... donne lui la bague.

La femme fouilla dans sa sacoche puis lui tendit une petite bague surmontée d'une gangue de pierre jaune, qui émettait une faible lueur. Elle remarqua que celle qui lui avait tendu la bague en portait une similaire, mais noire, et celle à sa droite, une rouge. L'animal portait des lianes presque transparentes sur une de ses serres, mais rien d'autre.

Méfiante, elle enfila la bague, puis comme rien d'étonnant ne se passait, elle s'assit.
L'animal tourna son bec vers elle, puis déclara d'un ton contrit, en désignant son épaule :

- J'ai pris ta douleur, tu n'es plus en danger de mort, normalement, mais moi si, donc on ne va pas s'attarder dans ce monde. Étant donné que mon enveloppe corporelle change à chaque monde différent, je ne suis pas vraiment menacé, mais la garder trop longtemps pourrait m'affaiblir considérablement. Peut-être que par moments, elle pourra m'échapper et te revenir, j'en suis désolé par avance.

À la mention du mot désolé, les deux personnes ouvrirent grand la bouche, le yeux ronds, puis se mirent à rire nerveusement.
Luciole lui repondit qu'elle n'était pas sûre de tout comprendre.
Elle allait ponctuer sa phrase par un claquement de torse et de lèvre, pour signifier qu'elle était perdue, mais elle s'aperçut que les étrangers la regardaient avec stupéfaction.
Luciole songea tout à coup que le corbeau ne frappait pas son torse ni ses mains, qu'il ne claquait pas de la langue non plus et pourtant elle le comprenait, tout comme les deux autres. A son étonnement se mêla un grand désarroi, car pour la première fois de sa vie, elle était la seule à utiliser le langage du monde-jaune.

- D'ailleurs, qu'est ce qu'elle a de particulier celle-là, pour qu'elle soit élue ? demanda la personne aux cheveux d'une teinte éclatante et à l'étrange costume.
Luciole, quand à elle, était vêtue de la tenue commune à tous les autres membres de la tribue ; des tiges des champs séchées et tressées, combinées avec les peaux des bêtes que le clan tuait et des murs de Lal.

- Vous saurez plus tard, répliqua l'animal avec animosité.

- Je m'appelle Rachel, sourit cheveux-noirs. Et la personne maussade là bas, c'est Elisha.

- J'aurais pu me présenter moi-même, grogna cheveux-rouges.

Luciole était fascinée par le mouvement de leurs lèvres, qui formait une danse hypnotique et très différent du langage auquel elle était habituée.

- Et bien, si tout est en ordre, nous pouvons partir, déclara le corbeau.

- J'ai faim, se plaint cheveux-noirs - Rachel.

Luciole alla chercher les rations et l'eau qu'il lui restait dans sa case. Quand elle ressortit, Elisha et l'animal se fixaient de manière haineuse.
Après un rapide repas, Elisha et Rachel se regardèrent, se mirent debout, posèrent la main sur leur bague. Elles murmurent une sorte d'incantation dans une langue oubliée puis disparurent, accompagnées d'une odeur de brûlé.

Luciole, effrayée, voulut s'enfuir mais l'animal fit irruption devant elle et l'empêcha de passer.

- Je suis un corbeau, pas exactement un animal commun, mais plutôt ton guide. Je préférerai que tu m'appelles comme ça dans ton esprit, railla l'être. Quand tu es seule avec moi, je peux entendre le raffut complet de tes pensées.

Tétanisée, Luciole se tint coîte.

- Oh, je t'ai fait peur ? poursuivit le corbeau. Tu m'en vois affreusement désolé. D'un ton guindé, il poursuivit : je vais te montrer comment faire. Fais approcher ton démon.

Luciole obéit. Lal s'accrocha à son bras et glissa sous le regard du corbeau la pointe de son aile dans la bague.

-Tu devras répéter après moi cette phrase, sull' ja kan hrorim aster, so guro. Et non, cela ne vas pas te faire exploser, ni te faire entrer dans une phase de Fureur-chagrin, soupira-t-il.
Ta tribue s'attend à ce que tu sois morte à leur retour et Lal évanouit dans la nature, tu ne leur manquera pas, et pour survivre tu dois de toute façon venir avec nous. Ça y est, tu es prête ?

Il se percha sur son épaule, et alors la bouche de Luciole s'anima seule pour prononcer ces paroles, sull' ja kan hrorim aster, so guro.

En disparaissant, elle entendit une dernière parole :

- Pour répondre à ta dernière question, ça veut dire sous le regard des étoiles, je le jure et c'est dans une langue oubliée !

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