souci

C'est une mort par noyade, l'autopsie s'est prononcée.

Pas con, parce que comme ça, avant que le tueur ne disparaisse, on ne saura pas que c'est lui. On pourrait même croire que c'est un accident, même si c'est peu probable que Rose se noie dans les toilettes sans faire exprès.

En fait, ce que le tueur a fait, c'est qu'il est allé parler à Rose pendant que tous les invités arrivaient, alors personne n'a rien remarqué. Il a dû l'emmener aux toilettes, sans doute pour qu'ils discutent tranquille, et Rose, naïve comme elle est, a dû le suivre. Quand même, elle ne l'aurait pas fait si c'est un inconnu, parce qu'elle n'est — n'était pas si bête que ça, mais ça devait être quelqu'un en qui elle avait confiance. Pas Ellie, elle aurait préféré mourir plutôt qu'avoir à tuer Rose. Mais sans doute quelqu'un d'autre du journal, comme Tom ou Ethan.

Mais ensuite, il l'a juste prise, emmenée dans une cabine et lui a maintenu la tête dans l'eau des toilettes pendant qu'il tirait la chasse d'eau. Je sais exactement comment ça fonctionne, je l'ai déjà fait pour quelques victimes. Elle n'était pas assez forte pour se débattre. Elle s'est noyée dans l'eau, et c'est comme ça qu'on l'a retrouvée le soir du 31 octobre, il y a une semaine.

Je me suis autorisé à être triste pendant dix minutes, parce que c'était quand même une de mes meilleures amies, avant que la mort d'Axel ne détruise notre groupe. Après, je me suis ressaisi. Ellie, elle, par contre, elle ne l'a toujours pas fait. Elle n'est pas venue au journal depuis une semaine, ni en cours, d'ailleurs, et ses cernes sont plus grandes que mon espérance de vie.

Ce jour-là, en cours, Oliver ne vient pas. Les connexions commencent à se faire dans mon cerveau. Oliver a tué Rose. Il a réussi l'Examen. Quand Owen lève la main pour demander pourquoi Oliver est absent, l'enseignant répond seulement qu'il a passé l'Examen.

Mon voisin me regarde, et je m'attends à de la haine, parce que je lui ai dit que ma cible était Oliver et que je serais sans aucun doute bien plus en colère et frustré que ça si Oliver avait réussi l'Examen, mais il sourit juste, comme si il avait gagné une bataille. Je frissonne.

Après les cours, je débarque en trombe chez le Professeur, sans qu'il m'ait invité. Il me fait calmement entrer, et je tente de garder mon sang-froid quand je m'assieds à ma place habituelle.

— Qu'est-ce qui t'amènes ici, Sidney ? Demande le Professeur.
— J'ai fais une bourde, je lui dis, paniqué.

Il hausse les sourcils.

— Dis moi...
— En gros, je parlais avec Owen, et il m'a avoué que sa cible c'était Tom, alors pour ne pas qu'il me soupçonne, je lui ai dit que ma cible, c'était Oliver. Mais maintenant qu'Oliver a réussit l'Examen, il sait qu'en fait c'était pas du tout lui la cible ! Je suis sûr qu'il se doute de quelque chose.
— Tu dois passer à l'action tant qu'il en est encore temps.

Je hoche la tête.

— Je sais, c'est ce que je vais faire. Demain.
— C'est quoi ton plan ?
— On se retrouve tous les soirs pour s'entraîner. Je ferai semblant de m'entraîner et le ménager mais quand il s'y attendra le moins, je tirerai un couteau de ma poche et je lui planterai dans le cœur.

Le Professeur se frotte le menton.

— Je dois bien t'avouer que j'ai des réserves sur ce plan, m'avoue-t-il.

Ça tombe bien, c'est pas du tout ça que je prévois de faire, je manque de répliquer. Heureusement, je me retiens, et à la place, je dis :

— Laissez moi gérer. Je le connais un peu maintenant, je sais quels sont ses points faibles. On s'est tellement entraînés ensemble que je connais ses techniques de combat par coeur, je pourrai le neutraliser facilement.

Il y a un silence dans la pièce et j'ai peur d'avoir fait une gourde.

— Très bien. Je te fais confiance. Je sais à quel point tu es efficace. Tu es la Rose Noire, après tout.

Comme à chaque fois, le tatouage me brûle sur le dos de ma main, m'emprisonne.

— Je ne vous décevrai pas.

***

En retournant dans ma chambre, je vois une vue assez déstabilisante. Il y a une feuille accrochée au mur. Le papier est mouillé, et je reconnais les lames d'Owen. Merde.

Dans les mêmes lettres multicolores et majuscules que les précédentes, il est écrit :

“Ton mensonge est décidément tombé à l'eau très vite. Je me demande combien d'autres vont le faire dans les prochains jours ?”

Je serre les dents, pris d'une rage meurtrière qui envahit mes veines. Quel salaud, putain. C'était lui depuis le début, évidemment, j'aurais dû m'en douter. Raison de plus pour me débarrasser de lui. Et c'est quoi ce jeu de mot nul ? Il avait pas mieux en réserve ? Et puis il a pas mieux à faire, qu'envoyer des lettres de menace à quelqu'un qui n'est même pas sa cible ?

J'ai tellement la rage que, pour me retenir d'aller de suite dans sa chambre le tabasser, je vais dans la salle de repos pour squatter le punching-ball. Il y a déjà un gamin, mais il se pousse en m'apercevant. Il fait bien, il n'aura pas à me voir encore plus énervé que je ne le suis déjà.

Je balance un poing après l'autre, j'imagine que le punching-ball est Owen, que si je frappe assez fort il va tomber raide mort, et qu'ensuite, enfin j'aurai la libération. Enfin, je serai utile à quelque chose, je serai libre, je ne serai plus obligé de tuer et voir mourir tous les gens importants pour moi. Je pourrai choisir qui tuer, donner mon avis. Je suis déjà le meilleur de tous, je peux faire tellement plus que ce qu'on me cantonne à faire ici. Je pourrais être tellement plus que tout ça. Si il n'était pas là, et qu'il ne me barrait pas le chemin comme ça.

Ce soir, il est mort.

***

Au dîner, je m'assieds avec Owen, comme d'habitude, et je demande innocemment :

— J'ai reçu ta super lettre. Très originale, j'adore. Si tu veux, on peut aller en discuter à un endroit où il y a moins d'oreilles pour nous entendre.

À mon ton, il sais très bien que ce n'est pas un “si tu veux”.

— Pas de problème, dit-il avec un sourire tellement hypocrite que je sens mon sang bouillir dans mes veines.

Après avoir débarrassé, je l'attrape par le poignet et l'entraîne derrière moi. En treize ans de logement dans une même maison, on finit par connaître chaque endroit dans les moindres détails, et avoir tout exploré. Y compris les endroits où on a pas tellement le droit d'aller.

Je l'entraîne dans un couloir avec plein de salles dont je ne connais même pas l'utilité, et il me suit, ne laissant pas paraître une once de méfiance, mais je sais qu'il ne montre jamais ce qu'il ressent vraiment. Alors qu'on passe à côté d'une porte, il lance :

— Attend, je veux voir ce qu'il y a dedans.
— T'es sérieux ? Je demande, exaspéré.
— Totalement.

Je le suis en soupirant, et une fois que nous sommes ensemble dans la pièce, il verrouille la porte derrière moi. Je soupire. Évidemment, je m'y attendais, mais c'est peine perdue.

— Bon, qu'est-ce que tu veux ?
— Je devrais te retourner la question, sourit-il. Tu voulais déjà faire ça, alors je n'ai fais que te faciliter la tâche.
— J'ai adoré ta petite lettre. Et la carte postale, je réplique.
— Merci. J'ai essayé d'être original.

Ça finit de m'enrager, et je me jette sur lui.

Il commence par esquiver mes attaques. Je dégaine mon couteau. Je tente de lui donner un coup dans l'abdomen, un coup dans les reins, mais il esquive à chaque fois. Il essaie de se glisser derrière moi pour me pousser mais je me stabilise au dernier moment et me retourne pour lui faire un croche-pied.

— Ça vole mes techniques, hein ? Dit-il en se relevant immédiatement.
— Carrément, je réplique en le tirant en arrière, ce qui le fait tomber.

Je mets mon pied sur son torse et je continue :

— Ça fait toujours le fier ?

Il me sourit.

— Je sais que tu veux me tuer, mais tu ne vas pas le faire.

Je hausse les sourcils.

— Pas très intelligent de ta part d'assumer que je n'en suis pas capable.

Je dégaine mon couteau mais je vois que mes mains tremblent. Owen le voit aussi. Son sourire s'élargit.

— Regarde, tu trembles. Tu ne vas pas le faire.

Juste pour lui prouver qu'il a tort, je m'assieds sur son torse et j'entaille son cou. Je vois un filet de sang en sortir, et ça me rend malade, alors que j'ai déjà tué des dizaines et des dizaines de personnes avant.

— C'est pas ça qui va me tuer, réplique-t-il insolemment, comme s'il n'était même pas en danger de mort, comme s'il ne ressentait rien.

Je repense aux cicatrices de mutilation sur ses bras. Il a déjà dû faire ça tellement de fois que ça ne lui fait plus rien. Il faut que je le tue.

Pendant que je regarde ailleurs, il me donne un coup dans le ventre et se dégage. Il n'essaie pas de riposter en me faisant mal, il se lève juste et époussète son pantalon. C'est là que que la lumière clignote et s'éteint. Je me précipite vers l'interrupteur, heureux d'avoir une diversion. J'ai beau appuyer dessus, la lumière ne se rallume pas.

Je ne vois pas Owen mais je l'entend soupirer et s'adosser contre quelque chose. Comme la pièce est grande et que je ne sais pas exactement où il est, je soupire et m'assieds aussi contre un mur. Je sors mon portable de ma poche et éclaire un peu toute la pièce. Je m'avance vers mon camarade mais il m'arrête d'une main.

— Tu ne viens pas là si tu ne me promets pas d'abord que tu ne vas pas me faire de mal. Pas que je sois contre une revanche, mais là, je pense qu'on a des trucs plus importants à faire.

Je souffle.

— OK, d'accord. Mais tu sais très bien que rien de ce que je dis n'a de valeur.

La lumière de ma lampe torche éclaire son sourire fatigué.

— Je sais.

Je m'assieds à côté de lui en essayant de garder une distance convenable. Je laisse tomber ma tête en arrière pour qu'elle cogne contre le mur. Il le fait aussi, et je tourne ma tête vers la gauche pour le regarder. On s'observe comme ça pendant deux bonnes minutes, pas certains de ce qu'on est censé faire.

— On pourrait juste sortir et faire comme si rien ne s'était passé, je propose.
— Ou on pourrait me soigner et parler un peu.

Je crois que jusqu'à maintenant, je ne m'étais pas rendu compte d'à quel point tout ça était pesant. Avoir peur de perdre les gens qui comptent à n'importe quel instant. Détruire des vies de sang froid.

— C'est peut-être un meilleur plan, je finis par marmonner.

Il sourit comme s'il avait gagné. Peut-être que c'est le cas.

Il cache sa plaie pendant qu'on retourne dans ma chambre. J'oublie tout le temps que c'est interdit, initialement. Je prends du désinfectant et je m'occupe de la blessure que je lui ai fait. J'essaie de compresser, mais je ne sais pas trop quoi faire pour la refermer. Certains ont prit ça comme spé, apprendre à se soigner soi-même, mais mes répétitions et les personnes que je devais tuer pour le Professeur me prenaient déjà tellement de temps que je n'en avais plus pour les cours supplémentaires.

— Tu te débrouilles comme un pied, rit Owen.
— Te moques pas, c'est à cause de moi que t'ai blessé. Tu sais de quoi je suis capable.
— Tu ne vas pas me tuer.
— Tu sembles tellement sûr de toi...
— Je le suis.

Je finis d'attacher la compresse à sa plaie puis je m'assieds à côté de lui sur mon lit. Je balance les pieds dans le vide et je sens nos épaules se toucher.

— Pourquoi tu voulais parler ? Je demande. T'as bien vu ce qu'il en était, t'es ma cible, et je veux sortir d'ici par tous les moyens possibles.
— Je sais.

Il met la main dans sa poche et me tend un papier. Je l'ouvre et déglutit.

— “Sidney” ? Avec le cachet du Professeur ?
— Ouais.
— Mais c'est super rare que deux personnes soient les cibles l'une de l'autre !
— Et tu te dis pas que peut-être, seulement peut-être c'est fait exprès ? Et qu'il y aurait une raison a ça ? Pourquoi tu crois que je n'ai pas encore tenté de te tuer, et que tout s'arrête à des menaces, alors que je veux sortir d'ici autant que toi ?
— J'en sais rien, je suis pas dans ta tête !
— Parce que c'est du putain de gâchis ! S'exclame-t-il en haussant la voix.

Cette discussion est lunaire, je ne comprends absolument rien. J'ai l'impression que depuis le début, entre nous, ce n'est que du mensonge. Je le savais, mais apprendre qu'il m'a menti autant que je lui ai menti, ça me fait remettre en question tout ce qu'il m'a dit jusqu'à présent.

— Du gâchis ?
— Ils veulent nous supprimer, logique.

Mes yeux s'ouvrent encore plus, sous le coup de la surprise.

— Tu penses que c'est ce que le Professeur voulait, en me demandant de te tuer et vice versa ? Qu'il voulait nous éliminer ? Mais pourquoi il ferait ça ? Le Prof me considère comme son fils !
— C'est évident, me répond-il. Il a trop peur de ce qu'on ferait si on était ensemble au lieu de l'un contre l'autre. Il est effrayé qu'on se retourne contre lui. On est trop puissants. Les élèves ont dépassé le maître.

Je ne lui ai jamais vu cet air dément, cette assurance dans la voix. Je le connais tellement mal. Il se lève pour donner du poids à ses propos.

— Tu crois que j'ai pas entendu parler de toi, la Rose Noire ? Que je sais pas que t'es son petit chien qui tue des gens à sa demande ? On pourrait les avoir à nos pieds !

Je secoue la tête. Qui est en train d'avoir l'autre, là ? Qui est en train de le détruire ? Moi ou lui ?

— Pourquoi tu n'es même pas effrayé par ça ?

Il fait un rictus moqueur.

— Tu me connais vraiment mal. J'ai fais bien pire, je ne pourrais jamais être effrayé par ça. Il y a toi, qui est plus ou moins un tueur en série. Qui peut tuer n'importe qui, à part moi. Et moi, dont tu n'as pas vu le quart des talents. Et tu le sais, je suis pas con.
— Et on est intelligents.
— Exactement.
— Qu'est-ce que tu proposes ?

Il sourit. Un vrai sourire, pas un rictus, pas un sourire hypocrite.

— Tu vois quand tu veux. Le Prof a qu'un but, c'est nous laisser nous détruire l'un-l'autre. Je sais pas ce qui lui fait peur à propos de nous, mais... Soit on lui donne raison, soit ils vont se faire foutre, et on fait quelque chose de bien plus utile.
— Comme quoi ?
— S'allier.

Il me tend la main.

— Alors ?

J'ai envie de réfléchir, de prendre le temps de penser à ma décision, mais à la place, presque immédiatement, je prends sa main, et je réponds :

— Marché conclu.

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