lys
Je m'appelle Sidney, et je me suis un jour fait appeler Sid. Je n'ai pas de nom de famille. En tout cas, je ne le connais pas, et si tout se passe comme prévu, je ne le connaîtrai jamais.
Comme tous les enfants ici, j'ai vécu toute ma vie, j'ai grandi dans le Pavillon, et contrairement à la plupart des enfants ici, mon seul et unique rêve, c'est d'en sortir.
C'est l'année de mes dix-sept ans, et c'est la seule chance que j'aurai pour en sortir. Cette année, comme chaque année pour les classes de terminale, je serai assigné quelqu'un et j'aurai comme charge de le tuer. Et il n'y a plus que quelques heures qui me séparent de ce moment.
Normalement, je n'ai pas trop de souci à me faire. Je me suis entraîné toute ma vie pour ce moment. Je suis l'assassin en chef du Professeur, et c'est un avantage considérable.
Je me lave, j'enfile mon uniforme et mes chaussures, puis je déverrouille mon téléphone pour voir si j'ai reçu un message du Professeur. Ça ne pourrait pas venir de quelqu'un d'autre que lui ou le personnel enseignant, puisque je n'ai personne d'autre dans mes contacts.
De : Professeur
À : Moi
6:52
Je t'attends dans mon bureau à sept heures et demi tapantes. Tu sais que je ne tolère pas le retard.
Je lui réponds simplement que je serai là, et me dirige vers le réfectoire pour manger le petit déjeuner. Je me dirige vers ma "table attitrée", en quelque sorte, au fond de la pièce. En vérité, ce n'est pas du tout ma table attitrée, mais je ne suis pas vraiment du genre sociable, alors ça m'embête que des gens s'asseoient à la même table que moi.
Je vois un garçon petit et blond qui est assis à la place à côté de la mienne, et je me dirige vers lui en haussant un sourcil.
- Tu te pousses ? Je demande froidement.
- Mais t'es qui pour me donner des... Commence-t-il.
Il se stoppe quand je lève mon bras droit pour me remettre les cheveux en place de manière désinvolte et qu'il voit le tatouage imprimé sur le dos de ma main. Il écarquille les yeux et se dépêche de prendre son plateau et s'en aller en courant.
Je dépose mon plateau et lâche un sourire satisfait. C'est toujours une petite victoire, de voir que rien que ma réputation peut faire fuir des gens. La Rose Noire. C'est le nom sous lequel tout le monde me connait, ici. Axel m'appelait Sid, mais il n'est plus là pour le faire. Alors maintenant, c'est Sidney pour le Professeur et les enseignants, et La Rose Noire pour les autres.
Je me dépêche pour ne pas trop faire attendre le Professeur. Ce n'est pas vraiment que j'ai peur de lui. Il m'a élevé comme son fils, et quand on élève un enfant de manière aussi bienveillante, c'est difficile pour lui d'être effrayé par sa figure parentale. Mais j'ai du respect pour lui, et je préfère ne pas le décevoir en le faisant attendre.
Je finis la pomme dans mon assiette en deux bouchées puis je range mon plateau et me décide à retourner dans ma chambre attraper mon sac et me diriger vers le bureau du Professeur.
Je toque trois fois. Notre signal.
- Entre, Sidney !
- Bonjour, Professeur.
Il balaie les politesses d'un geste de la main.
- Comment se sont passées tes grandes vacances ?
- Bien. J'ai réussi à tuer toutes les cibles que vous m'avez envoyé. J'ai bossé mon maniement du couteau.
- Tu ne te reposes jamais ? C'est fait pour ça, les vacances.
- Si, si. J'ai... Lu ? J'ai lu un roman.
- Un seul ? En deux mois ?
- J'étais plutôt occupé...
- À t'entraîner ?
Je hoche la tête et le Professeur me sourit doucement.
- Sidney, je sais que tu veux à tout prix partir du Pavillon, et je suis d'accord. Tu as assez de talent pour devenir l'assassin du président, tu ne devrais pas gâcher ton talent ici. Mais tu n'as pas besoin de te tuer à la tâche comme ça. Tu vas passer l'Examen haut la main, crois-moi.
Les mots du Professeur me rassurent un peu. Si c'est l'organisateur de l'Examen qui me dit ça, alors ça ne peut que renfermer une part de vérité. Il connaît son invention mieux que personne d'autre.
- Je sais, désolé.
- Pas de problème, me rassure le Professeur. Je vais te dire le nom de ta cible immédiatement, je la cherche juste dans la base données.
Je n'ai qu'une seule raison de vivre, et c'est partir du Pavillon pour aller étudier à l'université.
Des universités qui permettent aux enfants du Pavillon de perfectionner l'art de la tuerie puis de devenir les assassins personnels de politiciens célèbres, tels que des premiers ministres ou même le président des États-Unis, sont cachées un peu partout en Amérique. Si je gagne l'Examen, c'est là-bas que j'irai.
J'ai toujours vécu pour moi-même, et moi-même uniquement. Pour ma survie. À en croire ma propre expérience, se rapprocher des gens, c'est bête. On les laisse creuser une faille en nous, et c'est mauvais. La règle la plus importante quand on est un assassin professionnel, c'est qu'il ne doit pas y avoir d'attaches. Aucune. J'ai fait cette erreur dans le passé, et ça m'a bien appris, alors je ne suis pas près de recommencer.
Alors, peu importe qui est ma cible cette année, ça ne me posera pas de problème. Au mieux, je ne connais rien de plus sur elle que son nom et son visage quand je la croise dans les couloirs, et au pire, c'est une connaissance que j'utilise pour faire mes devoirs quand je passe trop de temps à m'entraîner, le soir.
Le Professeur appuie sur un bouton, et l'imprimante se met en marche. Quand elle s'arrête, il prend le papier qui en est sorti et me le tend.
- "Owen Carter" ? Je lis. Je n'ai jamais entendu ce nom depuis le début de ma scolarité au Pavillon. Et pourtant, en quatorze ans, on finit par connaître tout le monde. Et puis, pourquoi il a un nom de famille ? Personne au Pavillon n'en a.
Alors que mon mentor s'apprête à me répondre, la porte de son bureau s'ouvre brusquement.
- Frapper, c'est pour les chiens ? Je grogne.
- Ah, Owen, tu es là !
Je fais un effort pour me contenir et avoir l'air le plus inintéressé possible quand je me retourne pour voir qui est ledit Owen. Celui que je dois tuer, sans doute.
C'est un gars chauve. Il a sans doute mon âge, mais il fait bien plus. Il est chauve, des boucles d'oreilles et un septum, des gants noirs qui laissent des doigts dépasser, et des lames coincées dans sa ceinture. Il a une cicatrice qui lui barre le côté droit du visage, et une énorme tâche de brûlure autour de l'œil gauche. Son débardeur est trop court pour dissimuler les longues entailles dans ses bras, et les marques rougeâtres qui garantissent que le phénomène est récent me déstabilisent tellement que je me sens obligé de détourner le regard. Je peux sentir le rictus de l'ado même sans l'apercevoir.
Je suis sûr de ne jamais l'avoir vu auparavant.
- Bon, je vais y aller, je marmonne de mauvaise foi. Au revoir, Professeur. Salut, Owen. Enchanté de te rencontrer.
Je lui fais un sourire hypocrite et il se contente de me regarder avec l'air colérique qu'il aborde depuis son entrée dans la salle. Quand je sors, je peux presque sentir mon sourcil tressauter de rage.
***
À huit heures, comme d'habitude, c'est l'assemblée. On se rejoint tous dans la salle polyvalente, nous, les trois cent cinquante élèves entre trois et dix-sept ans du Pavillon. Je me retrouve coincé entre Rosa et Ellie, deux filles qui sont dans ma classe depuis que nous sommes au Pavillon. Elles s'écartent légèrement en me voyant, comme si je les terrifiais. Comme d'habitude, un étrange sentiment de satisfaction s'empare de moi.
La rose noire sur le dos de ma main me brûle.
C'est là que le professeur grimpe les marches de la scène de l'auditorium et se pose en face du micro. Un horrible grincement de micro cassé résonne dans la salle et je serre les dents.
- Bonjour à tous, les enfants !
- Bonjour Monsieur le Professeur ! Nous répondons tous en choeur.
Il se décale du micro pour nous observer tous un instant, une lueur d'un sentiment que je n'arrive pas à identifier dans le regard. Peut-être de la fierté ?
- Certains d'entre vous ont dix-sept ans, ou auront dix-sept ans cette année. Et vous savez ce que ça veut dire ?
- L'Examen !
- Oui, c'est ça ! Quels bons élèves vous faites. Donc cette année, certains d'entre vous vont mourir, et d'autres partiront du Pavillon. C'est la sélection naturelle, mes enfants. Cependant, vous connaissez déjà le règlement, je ne vais pas m'attarder là-dessus.
Le Professeur s'écarte et derrière lui, Owen apparaît. Les élèves du pensionnat commencent à murmurer entre eux.
- Je vous présente Owen Carter. C'est notre premier, seul et unique élève transféré. Il passera sa dernière année avec vous. J'espère que vous lui ferez un bon accueil.
Il passe quelques secondes à nous dévisager comme si aucun d'entre nous ne valait plus que les autres, puis son regard s'arrête sur moi. Je soutiens son regard, et j'ai l'impression que c'est comme un concours, deux rois qui se regardent du haut de leur trône.
Je continue à l'observer même après qu'il ait lâché mon regard et qu'il soit descendu de l'estrade de l'auditorium.
- J'espère que vous allez passer une bonne année au Pavillon, reprend le Professeur. Que la promo 2078 commence !
Nous nous mettons tous à applaudir immédiatement, à part Owen, qui croise les bras dans un coin de la pièce. Je ne savais même pas que c'était possible de garder les sourcils froncés autant de temps.
Nouveau ou pas, je n'aurai pas de pitié. Je veux partir du pavillon, devenir indispensable au gouvernement, et pour ça, j'ai besoin de le tuer. Je ne me suis pas entraîné pendant quatorze ans pour rien. A la clé de l'Examen, il y a beaucoup de pouvoir, et la liberté. Ce n'est pas lui qui m'empêchera d'y accéder.
- Alors, tu vas pas nous dire de qui tu as eu le nom ?
Je soupire quand Oliver passe un bras autour de mon épaule, avant de prendre le sourire le plus hypocrite que je peux afficher dans cette situation.
- C'est le jeu, je raille. Le Professeur ne voudrait pas savoir que tu triches, pas vrai ?
- T'as raison, ricane Oliver en m'ébouriffant les cheveux. Ohlala, je me souviens quand t'étais encore un gamin de sept ans toujours dans les jupes d'Ax.
Une rage sourde m'emplit à l'entente de ses mots. Je dégage son bras de mes cheveux et le coince derrière son dos.
- Si tu mentionnes Axel à nouveau, je dis en reserrant la clé de bras dans son dos, je casse ton putain de bras.
J'attends qu'il hoche la tête pour m'écarter de lui et je recule en arrière de quelques pas.
- Tu connais la devise de cette école, Oliver. Donc fais attention à toi.
- "Si on ne se fait pas prendre, ça ne compte pas vraiment comme un meurtre."
- Exactement. (Je lui fais un clin d'œil.) Je ne suis pas n'importe qui.
Je souris, et en commençant à m'éloigner, je lui lance :
- Je suis la Rose Noire. Et si tu penses que je ne sais pas cacher un cadavre, tu ne t'es jamais autant trompé.
En tournant la tête vers la droite, je vois Owen dans un coin, qui me regarde déjà. Je m'avance vers lui, parce qu'un plan est tranquillement en train de s'échafauder dans ma tête, et que si j'ai envie qu'il fonctionne, il faut que je m'y prenne le plus rapidement possible.
- Salut. Owen, c'est ça ? Bienvenue au Pavillon ! C'est tellement chouette que tu puisses arriver en cours de route, je crois que ce n'est jamais arrivé auparavant.
Il me dévisage quelques secondes, et soudain, j'ai l'impression d'être face à une personne différente de celle avec qui j'ai eu mes échanges de regard ce matin.
- Yo ! Ouais, je suis super content d'être ici, ça a toujours été mon rêve. J'espère que je vais bien m'entendre avec mes camarades de classes.
Je dois faire une tête vraiment interloquée parce que le gars esquisse un sourire. Je n'arrive pas à savoir si son emphase sur "super content" est du sarcasme ou non. En fait, c'est très difficile de savoir ce qu'il pense vraiment, tout court.
- Du coup, ton nom c'est quoi ? Reprend-il.
- Sidney. Mais les gens ici m'appellent la Rose Noire.
- Je me demandais bien qui était cette Rose Noire dont tout le monde parlait. Va pour Sid, mais pourquoi ce surnom ?
- La Rose Noire ?
- Oui.
Je grince les dents en l'entendant m'appeler Sid mais ne réplique rien.
On se met en marche vers le panneau d'affichage des classes de l'année de terminale. Je m'approche du tableau pour vérifier chaque prénom, mais l'adolescent à mes côtés lance :
- Terminale 4.
- Excuse-moi ?
- T'es en terminale 4, et moi aussi.
Quel hasard. Vraiment super pratique. Il faudra que je songe à remercier le Professeur pour son aide.
- C'est trop bien ! Comme ça, il y aura au moins une personne que tu connais dans ta classe.
- C'est vrai.
Il remet son sac en place sur son épaule et se dirige vers la salle attitrée de notre classe. Je me dépêche de le rejoindre, irrité.
- Tu m'as pas répondu, relance-t-il. La Rose Noire, c'est pour quoi ?
Je lève ma main droite.
- Ce tatouage. Je l'ai depuis mes treize ans.
Je vais aussi éviter de préciser que je suis plus ou moins l'assassin attitré du chef ici, et que j'ai tué tellement de gens à sa demande que les quelques personnes qui osent m'approcher finissent par le regretter assez vite.
- C'est cool. J'aime bien.
- On s'assied à côté, en classe ? Puisque tu ne connais pas vraiment grand monde à part moi, je me disais que tu préférerais peut-être ça que de te retrouver à côté de quelqu'un au hasard à qui notre enseignant t'aurais assigné.
- Avec plaisir, dit-il avec tant d'enthousiasme que j'ai du mal à croire au fait qu'il ne soit pas honnête. Merci beaucoup.
Je balaie ses remerciements d'un signe de tête. Peut-être que je l'ai mal jugé, finalement. Que c'est un gars plutôt sympa, mais qu'il a juste une apparence de taulard. Qu'en vrai, au fond, il a un coeur d'or, et tout ça, genre l'homme fort avec des fêlures.
On s'assied à côté au fond de la classe, mes pieds sur la table de la manière la plus insolente possible. S'il est un bon gars, alors c'est bien dommage. Parce que je ne m'attache à personne, et ce n'est certainement pas ça qui va m'empêcher de faire absolument tout ce qui est en mon pouvoir pour le détruire, pièce par pièce, jusqu'à ce que le tuer ne soit plus qu'un jeu d'enfant.
Je suis le roi, ici. Je suis la Rose Noire, et aucun obstacle ne peut entraver mon chemin.
Je suis invincible.
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