Chapitre VI : Préparatifs (Partie II)

         Le ciel était nuageux depuis le fameux accident. Durant ces trois semaines qui s'étaient écoulées, Aukman Eine avait terminé ses préparatifs de guerre. Ses hommes étaient prêts, chargés de leur équipement, à aller partout ou il le souhaiterait. En l'occurrence, le duc regardait vers l'est, du haut d'un des balcons du château royal. C'était à une cinquantaine de lieues plus loin que se trouvait la cité fortifiée d'Anar, bastion de la famille du même nom.

C'était là-bas que se trouvaient ses ennemis les plus farouches. Pour garantir sa propre suprématie sur le royaume, il devait les écraser, eux qui représentaient la seule force d'opposition capable de lui résister. Il récupérerait la princesse Ereane, sa fiancée. Finalement, si l'objectif avait été quelque peu modifié, le plan demeurait le même : il avait seulement été précipité par certains détails.

         Le duc passa son regard à travers les rangs de ses soldats, postés dans le jardin. Il avait déjà procédé à l'inspection quelques heures plus tôt : mille deux cents archers, cinq cents cavaliers légers,  huit cents cavaliers lourds, mille vougiers et trois mille épéistes.

En bataille rangée, il était le plus fort numériquement. En cas de siège, il avait l'appui de l'espion, connaissant tous les secrets d'Anar. Que pouvait faire sans adversaire contre une telle force de frappe ? Rien, évidemment. L'attaque que lancerait le duc se solderait par un triomphe. Sa victoire était inéluctable et il le savait. Aukman émit un sombre sourire puis donna l'ordre à ses commandants de partir. Son invasion allait pouvoir commencer.



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         Dans les murs du château d'Anar, Lorand était en pleine discussion avec ses conseillers. Survivant du massacre qui avait eu lieu à la capitale, il avait été fait duc d'Anar, même s'il n'avait personne devant qui ployer le genou. À présent, il s'interrogeait sur le responsable de cette tuerie. Qui l'avait vraiment voulue ? Pour quoi faire ?

Lorand n'arrivait pas à répondre à la première question. Cependant, il avait une idée pour la seconde. La mort de l'ancien roi et de la nouvelle reine pouvait créer une crise dans la succession. En repensant, au sort de Guendolen, il ne put s'empêcher de la prendre en pitié. Ces quelques secondes de souveraineté faisaient de son règne, le plus court de l'histoire du Laor.

           Suite à ces événements, celle qui devait hériter de la couronne était la deuxième fille d'Aricad, sa fiancée Melonie Laoric. Par conséquent, il devrait devenir roi du Laor. Toutefois, il n'avait pas eu de nouvelles ni d'elle ni de sa sœur cadette, Ereane.

Presque quatre semaines s'étaient passées, il était raisonnable de penser qu'elles étaient mortes elles aussi. N'y ayant aucun candidat dans la famille royale, Lorand devenait le principal prétendant à la couronne étant lui-même un parent éloigné du roi et de ses filles. Cependant, cette revendication était assez faible. Dans ce contexte chaotique, certains vassaux risquaient de se rebeller et de mener une guerre pour obtenir le trône. Dans ce cas de figure, le nouveau duc devrait lever des troupes. Il s'agissait justement de la question du jour : "Combien il y avait de soldats à disposition ?".

       Le conseiller maréchal vint éclairer Lorand sur la question.

-Mon seigneur, nous avons trop peu de troupes : trois cents archers, quatre cents cavaliers et huit cents fantassins..

-Cela reste assez pour tenir la ville, observa le duc.

-Oui certes, mais cela reste insuffisant. Nous n'avons rien à craindre des Hastin par exemple, qui sont d'ailleurs nos plus anciens alliés. Cependant, nous n'en avons pas assez pour tenir tête à l'armée Eine. On dit qu'ils ont plus de six mille soldats dans leurs rangs !

-Peu importe, nous aurons le temps de nous préparer à cela. En parlant d'alliés, qui a répondu à mon appel aux armes ?

-Peu de maisons, déplora le chancelier. Celles d'Hastin et Velvet ont répondu favorablement, ce qui porte nos effectifs à un total de quatre mille cinq cents hommes.

-Ce n'est pas assez pour le maréchal, fit Lorand en échangeant un regard entendu avec son conseiller. Les autres maisons ?

-Je n'ai pas reçu de réponses de leur part, mon seigneur.

-Je vois, soupir le jeune duc. Le travail de mon père n'aura donc servi à rien...

Le diplomate Anar se prépara à répliquer lorsqu'un messager arriva et l'interrompit.

-Un dignitaire provenant du comté d'Ensta.

-Faites le venir.

-Oui, mon seigneur.

Le garde ressortit de la salle du conseil puis revint avec un jeune homme. Ou du moins, ce qui paraissait être un homme avec son armure imposante. En réalité, il s'agissait d'un adolescent et Lorand l'avait déjà rencontré à plusieurs reprises. Il se leva et répondu aux salutations de son invité.

-Sieur Makerost Ensta. Etes-vous ici pour répondre à mon appel aux armes ?

-Pas vraiment, grimaça le blond.

-Vous êtes venus me défier en brisant notre alliance ?

-Non plus, duc Anar. Je suis venu discuter.

-De quel sujet ?

-Je n'irais pas par quatre chemins, nous n'avons pas de troupes à donner. Cependant, notre domaine recèle de bien d'autres ressources. Nous préférerions vous les confier plutôt que nos maigres effectifs.

    Lorand parut réfléchir un moment. La solution trouvée par Makerost n'était pas idiote et même intéressante, avec tous les soldats qui allaient arriver, il devait trouver un moyen de les nourrir. Si les Ensta les approvisionnaient en ressources suffisantes, il pourrait tous les loger. Néanmoins, il restait une zone d'ombre à éclaircir. Ne s'agissait-il pas d'un moyen pour eux de se décharger de leurs responsabilités ? Comment s'assurer que le réapprovisionnement aurait bien lieu.

-Sieur Ensta, j'aimerais accepter votre requête mais comment puis-je être sûr...

-...Que nous ne vous ferions pas faux-bond ? compléta Makerost. C'est simple, je me propose en tant qu'otage.

     Lorand regarda l'adolescent de la tête aux pieds. Pour ces quinze ans, il paraissait plutôt intelligent. Il semblait aussi avoir du courage, choisir de devenir un otage n'était pas une solution facile. Lorand était même certain que le comte Volan Ensta était contre cette initiative. "Pas de piège, à priori." pensa le duc. 

      Alors qu'il acceptait le contrat de tutelle proposé par Makerost, un soldat fit irruption dans la salle du conseil. Le teint blême et le souffle court, il s'écria :

- Seigneur Lorand ! Le château est assiégé !

      Le duc sortit précipitamment de la pièce et, après avoir traversé le donjon, arriva sur le chemin de ronde. Regardant vers l'ouest, il vit une grande armée immobile. Sur leurs étendards qui flottaient au vent, deux corbeaux s'attaquant à un serpent : les Eine étaient là.

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