Chapitre V : Sombre pluie (Partie III)

Makerost arriva enfin dans la ruelle. Laya tenait encore son épée et le sang qui la maculait prouvait qu'elle n'avait pas chômé durant la nuit. Lorsqu'il arriva, elle se retourna et une voix des plus faibles et étranges sortit de sa bouche. Makerost dut lire sur les lèvres.

-Fuyez !...




*****




Le jeune homme avait entendu un gémissement faible. Il s'était retourné vivement : personne. Seulement lui et deux cadavres. Seulement un comte et deux gardes royaux morts, l'un sur le corps de l'autre... Ou plutôt, un seul. Celui du dessous tremblait encore. Makerost avait observé ce chevalier et s'était rendu compte qu'il était assis, portant la tête de l'autre sur ses genoux. Du liquide coulait de la partie inférieure de son abdomen.

-Vous êtes vivant ? avait hésité Makerost, plus ou moins conscient du ridicule de sa question.

-Plus pour très longtemps, avait répondu le soldat d'une voix faible.

Makerost s'était alors rapproché de la victime et après qu'il eut cherché un linge.

-Je suis désolé. Il n'y a rien ici pour stopper le saignement.

-À quoi bon. Je vais mourir et rejoindre mon frère. Même si je n'ai pas été très pieux, j'espère que le Trian daignera bien m'accueillir dans sa demeure.

Le garde avait tourné les yeux vers le comte puis l'avait examiné de bas en haut.

-Je crois vous reconnaître. Qui êtes-vous ?

-Makerost. Makerost Ensta.

-L'ami de la princesse... Je suis Euser, garde royal. J'étais chargé de la protection de la princesse.

-Ereane ?! Où est-elle ?

-En sécurité, j'espère. Avec le professeur Lok.

-Sont-ils partis par là ? avait demandé Makerost en pointant le passage secret.

-Oui, mais l'assassin les suit aussi. Vous n'avez aucune chance.

Cette phrase avait frappé Makerost en plein cœur. Bien évidemment, il savait qu'il n'avait aucune chance de vaincre Laya en combat singulier. Il l'avait vu suffisamment de fois à l'œuvre pour se rendre compte de ses talents. De plus, elle avait occis les gardes royaux, réputés être les meilleurs du pays, en une soirée. Toutefois, pouvait-il la laisser ainsi ? Ou encore pouvait-il laisser son amie courir un tel danger ?

-Je dois le vaincre... A tout prix...

-Et vous pensez réussir là où les meilleurs ont échoué ?

-Je n'en sais rien. Mais je ne laisserai pas Ereane se faire tuer.

-Alors, prenez mon épée. Ce sera plus facile qu'à mains nues...

-Merci.

-Je n'en aurai plus besoin. Si vous voulez bien m'excuser, il faut que je dorme un peu.

Euser avait détourné les yeux avant que sa tête ne tombe sur son épaule, et le petit comte n'eut pas besoin de tâter son cou pour savoir qu'il avait succombé à ses blessures. Makerost s'était alors emparé de l'épée qui traînait à sa gauche puis s'était engouffré dans le passage secret. Il avait retrouvé la lumière du jour vingt minutes plus tard, lorsqu'il était enfin sorti. Et il l'avait trouvée. Dans cette ruelle, loin des yeux de tous.




*****




-Fuyez !...

Au même moment, Laya sortit son arme de son fourreau et fondit sur Makerost. De justesse, ce dernier esquiva le coup d'épée. Malheureusement, il trébucha par la même occasion. Piteusement mais durement tombé, il ne pouvait pas voir voir la lame grise déjà brandie et prête à s'abattre sur son dos. Soudain, Makerost sentit une force passer au-dessus de lui.

Lorsqu'il se retourna, Laya était aplatie contre le mur. L'adolescent profita de ce répit pour se remettre debout. Mais Laya ne bougeait toujours pas. En regardant plus attentivement, le jeune garçon remarqua que les pieds de son garde personnel étaient au-dessus du sol. De plus, les mouvements qu'elle effectuait montraient qu'elle cherchait à se libérer d'une étreinte. Toutefois, il n'y avait aucun fil apparent. Alors qu'il jetait un coup d'œil aux alentours, Makerost vit une ombre approcher dans la ruelle.

-Qui êtes-vous, s'écria-t-il avec force.

L'individu ne répondit pas mais n'arrêta pas pour autant son mouvement. Ce n'est qu'à quelques mètres de l'individu que le comte fut enfin en mesure d'identifier l'inconnu.

-Vous... Vous êtes l'instructeur d'Ereane...




****




-Il ne pleut plus, s'exclama Olan. C'est une bénédiction !

-Cesse tes sottises, rétorqua Ereane. Tu ne crois pas plus au Trian que moi. Tu n'es qu'un espion Anar, après tout.

-Vous n'avez pas tort. Mais, par pitié, évitez de le clamer sur tous les toits. Rappelez-vous ce que nous nous sommes promis.

-...Nous arriverons ensemble à Anar. Et ensuite, nous ferons comme si nous ne nous étions jamais connus...

Les deux adolescents couraient sous cet air lourd et sec, prisonnier entre deux barrières humides, l'une au sol et l'autre dans le ciel, grise néanmoins plus claire que la veille.

-Avec un temps pareil, remarqua Olan, l'averse pourrait reprendre à n'importe quel moment. Non, je dirais même qu'avec ces nuages au loin, il va y avoir de l'orage.

Ereane regarda le ciel d'un air inquiet. L'air menaçant pourrait les empêcher d'avancer plus vite. Cependant, il n'y avait pas de temps à perdre. Elle devait se dépêcher si elle voulait trouver un transporteur.

D'après Olan, les marchands quittaient la capitale avant midi. Il ne leur restait que la moitié d'une heure avant de pouvoir atteindre le relais de ravitaillement. C'était peu, bien trop peu s'ils souhaitaient trouver le bon marchand qui accepterait de les conduire à destination. De plus, les portes de la ville étaient fermées à partir de douze heures pendant deux heures. Cela ferait deux heures où la princesse et Olan seraient à la merci de la tueuse qui rôdait dans la capitale.

Après plusieurs minutes de course, Ereane commença à fatiguer. Ses jambes étaient lourdes et son esprit s'embrumait, conséquences de la nuit précédente : son corps absorbait tout le surplus d'émotion généré par l'horreur de ce massacre. La jeune fille traînait les pieds, et inéluctablement, l'un d'eux se prit dans l'espacement de deux pavés. La princesse chuta.

-Tout va bien, princesse ?

-Je dois reprendre mon souffle...

-Nous n'avons pas le temps pour ça. Regardez, la sortie est juste là.

Ereane leva les yeux et vit la grande porte tout près. Comme galvanisée, elle se remit debout et courut vers l'objectif. Les deux adolescents arrivèrent enfin devant la porte de la ville. Alors qu'Ereane se précipitait vers la sortie, Olan la tira de justesse. La princesse le regarda l'air étonné avant de comprendre. La tension l'avait affolée et lui avait fait oublier qu'elle ne pourrait pas aller loin sans véhicule.

-Il faut que je demande où sont les marchands allant vers Anar, déclara Olan, puis désignant une taverne. Vous, allez m'attendre là-bas.

Mais à peine avait-il tourné le dos à la princesse qu'il se retrouva en face d'un soldat. Très vite, l'espion remarqua l'oiseau bleu sur les armoiries : c'était un soldat Eine. Que faisait-il ici ?

Jetant un coup œil rapide à gauche, Olan remarqua une garnison en faction portant le même uniforme. Les Eine avaient-ils prévu leur fuite ? Mais comment ? Le soldat lui demanda d'une voix qui lui parut enrouée dans un premier temps. En réalité, il se forçait à parler ainsi poliment.

"Dites-moi, auriez-vous vu une jeune fille aux cheveux d'or avec une robe rouge ?"

Cette fois, il n'y avait plus de méprises possibles. Les Eine savaient tout. Ils ne pourraient jamais sortir librement de la ville. Ereane se ferait arrêter et lui sans doute exécuter. "Mais pourquoi font-ils la garde alors qu'un meurtrier se balade en ville ?" s'interrogea Olan. "À moins que... À moins qu'ils n'en soient la cause... C'est mauvais pour moi.".

Malgré le fait que l'accent du soldat trahisse sa basse naissance, l'espion comprit l'intérêt pour les Eine de recruter ce genre de hors-la-loi. Le jeune homme pesa le pour et le contre. Son avenir se jouait à cet instant. De quel côté fallait-il se ranger ? Côté Anar ou côté Eine ? Rester loyal ou trahir ? L'espion fit un rapide calcul avant de donner sa réponse.

-Suivez-moi, dit-il avant de voir une jeune fille sortir de la taverne. C'est elle, il faut la rattraper !

Ereane avait vu toute la scène et avait compris que son compagnon allait la trahir. A présent, elle était poursuivie par toute une troupe de soldats. Ne sachant pas vraiment où aller, la princesse se sentit découvrir un nouvel aspect de sa nature. Elle prenait des ruelles sombres et courtes qui lui permettaient de semer ses poursuivants. La décision de changer de chemin se faisait au quart de tour. C'était comme si le cerveau d'Ereane arrivait à traiter les informations sans qu'elle n'en ait vraiment conscience. Ce sentiment de tension mêlé à une certaine exaltation la faisait aller toujours plus vite. Cette adrénaline avait réveillé ce comportement impulsif, si différent de sa nature ordinaire : l'instinct de survie.

La princesse avait déjà semé la plupart de ses traqueurs et seul un arrivait à suivre la cadence malgré sa lourde armure. Finalement, la jeune fille s'arrêta dans un cul-de-sac. Des cliquetis résonnèrent dans l'impasse. Le soldat à ses trousses était déjà là.

-Enfin fatiguée de courir ? T'en fais pas, on a ton copain et une fois que je me serai occupé de ton cas, ce sera ton tour.

-Qui êtes-vous ? Votre langage me fait penser que vous n'êtes pas un soldat.

-J'suis plutôt un bandit pour tout t'dire. Mais ça, t'as pas vraiment besoin d'le savoir !

Le malfaiteur porta la main à son épée et la brandit. Ereane regarda autour d'elle. Il n'y avait aucune issue. L'espace était trop étroit pour éviter le coup. "C'est la fin." pensa la princesse en fermant les yeux. "Adieu, Mak. Adieu, Oria. Adieu, Melonie. Ayez une belle vie. Ou peut-être êtes-vous déjà morts et c'est à mon tour de vous rejoindre ?... Je suis désolée de ne pas pouvoir vivre comme vous le souhaitiez, Père, grande sœur... ".

-Prépare-toi à mourir !

L'homme fit tournoyer l'épée autour de sa tête, prêt à porter le coup fatal.

-Eh, vieux ! C'est pas comme ça qu'on traite une jeune fille !

-Hein !?

La phrase avait retenti dans toute l'impasse. Le brigand, surpris, tourna la tête dans tous les sens, bien que la voix semblait venir d'au-dessus. Puis, ne voyant rien, il paniqua.

-Laisse-moi t'apprendre comment réussir ton premier rencard. Cours numéro un : savoir respecter une femme !

-Quoi ?! Eh, j'suis marié ! Où tu te caches ? J'te réserve le même traitement !

-Leçon numéro une : choisir un meilleur endroit pour un rendez-vous !

-T'es où ?!

-Leçon numéro deux : ne jamais pointer une arme sur une femme sans défense !

Une ombre jaillit telle un éclair et frappa le bandit, qui s'écroula instantanément touché de plein fouet, dans un bruit assourdissant semblable à celui du tonnerre.

-Leçon numéro trois... Oh, la flemme. Tu es déjà mort de toute façon !

La princesse rouvrit les yeux et constata que son bourreau avait trépassé et qu'un homme se tenait devant elle. En y regardant de plus près, Ereane remarqua qu'il était assez jeune, environ seize ans soit une année de plus que Makerost Ensta, mais une de moins que Lorand Anar. Mais le trait qui retint le plus son attention était sa couleur de peau. Sombre par rapport à la sienne, de la même que celle de sa table de chevet : un marron clair comme celui de certains arbres. Le jeune homme rangea son arme à sa ceinture et se tourna vers la princesse en effectuant une révérence.

-Je vous prie de bien vouloir m'excuser, mais seriez-vous la princesse Ereane Laoric ?

Subjuguée par la prestance de son interlocuteur, la jeune fille hocha la tête accompagnant ce mouvement d'un simple "oui.".

-Je m'appelle Emaël, enchanté de faire votre connaissance. Si vous voulez bien me suivre, j'aimerais vous mettre en sécurité.

L'adolescent fit paraître un cercle lumineux et brillant au sol et c'est ainsi qu'ils disparurent, juste avant que la pluie ne recommence à tomber.


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Voilà pour ce cinquième chapitre. J'espère que vous avez aimé cette histoire jusqu'ici.
N'hésitez pas à commenter pendant ou après votre lecture, à me faire partager vos impressions, vos réactions et même des critiques si vous le souhaitez. Je me ferai un plaisir de vous répondre.
Si vous avez aimé, n'oubliez pas de laisser un petite étoile. 😉

Concernant la suite, elle reprendra quelques années plus tard. Il y aura donc une ellipse.
Pour savoir ce qu'il est advenu d'Ereane pendant ce temps, je vous suggérerai de lire une autre histoire qui n'est pas encore parue, mais en attendant vous pouvez aussi lire mon autre fiction La Tour Monde, prequel de mon univers.

Merci de m'avoir suivi jusqu'ici. Je vous dis à la prochaine pour le prochain chapitre !

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