Chapitre IV : La Skandrulia de Guendolen (Partie V)

Le temps s'écoulait et les deux jeunes gens durent clôturer leur discussion, ce serait bientôt l'heure du bal. Le seul point négatif qui s'annonçait pour cette soirée fut signalé par Makerost. Il avait reçu une goutte de pluie.

-C'est dommage pour ta sœur, fit-il remarquer. Le soleil n'illuminera pas la fête de demain avec les gens de la capitale. J'espère que la pluie sera passagère.

-Mais, sourit Ereane, nous aurons quand même un beau clair de lune, ce soir.

Le jeune noble lui rendit son sourire avant de l'inviter à se mettre à l'abri. Le soleil allait bientôt se coucher. La cour se rassembla dans le hall de réception. La salle était identique à la veille et lorsque les deux amis y entrèrent, ils la virent pleine de monde.

Les femmes avaient mis leurs plus belles robes espérant persuader leurs époux de leur offrir une danse. Toutefois, ceux-ci paraissaient plus occupés à chercher la compagnie des plus gracieuses des courtisanes. Le roi ne dansait pas. Il n'avait jamais dansé. Du moins, il n'avait plus dansé depuis la disparition de sa femme. Depuis, il semblait vouloir rester dans son célibat, repoussant les avances de toutes les demoiselles aussi ravissantes les unes que les autres.

L'attitude du roi avait l'air d'avoir déteint sur celle de sa fille aînée. Seule parmi les convives, elle tenait compagnie à son père pour le sortir de sa solitude. De son côté, Melonie avait déjà trouvé un cavalier en la personne de Lorand Anar, son futur mari. Parée de sa robe vert prasin, la princesse virevoltait avec grâce et légèreté, suivant le bras de son partenaire et s'accordant à ses déplacements.

-Leur danse est magnifique, languit Ereane quelque peu jalouse de sa sœur.

-Tu dois pouvoir de débrouiller aussi, fit remarquer Makerost.

-Me débrouiller, répéta la princesse l'air surpris.

La musique s'arrêta et laissa place au calme nécessaire pour laisser chacun et chacune le temps de trouver un autre partenaire. Makerost s'éloigna de quelques centimètres de son amie avant de se courber légèrement et de lui tendre la main.

-Veux-tu m'accorder cette danse ?

Après un moment d'ébahissement, le visage d'Ereane se teint de rouge jusqu'aux oreilles. C'était la première fois que quelqu'un lui offrait une danse. De plus, elle ne savait à peine danser. Elle avait bâclé toutes les leçons de danse qui lui avaient été dispensées. Serait-elle à la hauteur ? Ne risquait-elle pas de décevoir son ami d'enfance ? Qu'en diraient les autres convives s'ils voyaient qu'elle ne possédait aucune élégance ? Un silence s'installa entre les deux amis, mais qui toutefois fût rompu rapidement.

-Laissez-la, petit comte. La princesse préfère ma compagnie.

Ereane se retourna vivement et se retrouva en face d'Aukman Eine.

-Pour qui vous prenez-vous, s'énerva Makerost. Ereane a le droit de choisir qui elle veut comme compagnon.

-Cela est vrai, excepté lorsque son fiancé sollicite un ballet avec elle.

-Fiancé ?

Makerost regarda Ereane complètement abasourdi. Il n'avait pas été mis au courant du mariage. Lisant dans ses yeux et recevant confirmation des dires du duc, le fils du comte balbutia quelques excuses et quitta précipitamment la salle.

-Mak !

-Cela ne sert à rien de le poursuivre, il n'en sera que plus blessé. Laissez-le, princesse, nous avons une danse accomplir ensemble.

-Je n'ai plus envie de danser.

-Auriez-vous l'intention de froisser mon honneur en me refusant ?

La princesse jeta un œil autour d'elle, certains dans l'assemblée l'observaient. Si elle refusait cette danse au duc, à son futur époux, elle n'allait pas seulement froisser l'honneur des Eine, mais aussi le sien et sévèrement entacher sa réputation et celle de sa famille.

Elle regarda encore sa sœur, toujours près de Lorand Anar. Cette dernière était irréprochable. Il était hors de question que la plus jeune des princesses ternisse cette soirée.

-Mettons-nous en place, lâcha finalement Ereane.

Les deux fiancés se mirent à danser alors que les musiciens entamaient un autre air. Aukman dansait bien. Ses bras entraînaient Ereane dans ses pas peu assurés et la princesse, au fil du mouvement, commença à retrouver son sang-froid.

Aukman lui parut plus mature qu'il ne l'avait été auparavant. Bel homme, il était aussi plus intelligent que la dernière fois. Lorsqu'il lui arrivait de plonger son regard dans les yeux de son partenaire, elle le trouvait même bienveillant. Ereane et Aukman firent plusieurs danses, cette dernière oubliant même l'incident qui avait eu lieu plus tôt avec son ami d'enfance.

Alors que l'ambiance était à son plus haut, les danseurs s'arrêtèrent les uns après les autres. Un événement inattendu se produisait. Le roi et son héritière étaient descendus de leurs trônes pour se rapprocher du ballet. La main dans celle de l'autre, ils exécutaient une danse lente mai si harmonieuse que les musiciens durent adapter leur rythme.

Aricad et Guendolen étaient à présent les seuls à danser sur cette musique mélodieuse. Un pas en avant. Deux sur le côté, suivi d'un pivot. Puis deux pas en arrière suivi d'un autre pivot. Deux pas en avant. Trois pas, chacun suivi d'un pivot. Et enfin, quatre pas en avant pour revenir à la position initiale. Chacun de leurs pas était exécuté avec minutie et une précision impressionnante. Toute la cour, émerveillée, avait les yeux rivés sur eux, ou plutôt sur leur harmonie.

-Je vous prie de bien vouloir m'excuser, princesse.

Dans cette atmosphère presque féerique, Aukman laissa seule Ereane pour rejoindre sa mère. Un son de violon sortit une dernière fois de son instrument avant de se taire. La danse était terminée. Aricad fit une courbette et baisa galamment la main de sa fille, avant de l'inviter à s'asseoir.

Par la suite, quelques hommes, émus par la danse de l'héritière, tentèrent de la persuader de se joindre à eux, proposition qu'elle ne refusa pas. Il en fut de même pour le roi, mais celui-ci déclina toutes les offres. Il passa le reste de la soirée siégeant sur son trône, l'air quelque peu inquiet, à observer les convives. Mais rien ne paraissait pouvoir troubler cette soirée.

Il était bientôt minuit et les musiciens arrêtèrent de jouer. C'était l'heure. Des serviteurs s'étaient approché des convives, plateaux en mains, prêts à distribuer une collation. Lorsque chacun eut un verre. Le roi se leva de son trône.

-Mes Chers Amis, serviteurs et loyaux sujets. J'ai deux déclarations à vous faire. Je vais commencer par la première. Comme vous le savez tous, nous sommes ici pour célébrer l'âge adulte de ma fille ici présente. Que le bonheur puisse remplir sa vie et la guider tout au long de son parcours.

De chaleureux applaudissements s'élevèrent dans l'assemblée, couvrant même le bruit de la pluie qui s'était renforcée. Aricad éleva la main, réclamant le calme. Les nobles cessèrent leurs acclamations et le brouhaha s'estompa.

Le monarque baissa enfin la main avant de jauger la foule. Tout le monde paraissait calme. Quelques gens avaient le sourire aux lèvres, d'autres attendaient plus ou moins patiemment ce qu'allait dire le roi. Plusieurs nobles qui s'étaient éclipsés le temps des danses, pour diverses raisons, revenaient les uns après les autres.

Ereane remarqua Makerost qui prit soin de se mettre à l'écart. Lorsqu'il lui sembla que tous ses vassaux étaient enfin réunis, le roi prit une profonde inspiration :

-J'ai une seconde chose à vous dire. À partir de ce moment présent, j'abandonne mon rang et mon statut pour léguer toute mon autorité et toutes mes responsabilités à mon héritière, Guendolen Laoric Ière.

Un silence de mort s'installa dans la salle. Le roi scrutait les yeux effarés de ses sujets. Aucun d'entre ne s'attendait à une chose pareille. Ereane elle-même ne pensait pas vraiment que son père ferait ce qu'il lui avait dit lors de leur précédente entrevue. Melonie était muette de stupeur. Elle non plus ne semblait pas être au courant de l'abdication de son père.

Plusieurs secondes s'écoulèrent et les nobles commencèrent enfin à reprendre leurs esprits. Ils murmuraient entre eux se demandant si le monarque n'avait pas perdu la tête. Ils avaient déjà fait concession du fait qu'il ne se remarie pas de façon à avoir un héritier mâle, et à présent, il les obligeait à accepter un nouveau dirigeant.

Aricad était très anxieux. "C'est maintenant que tout se joue." pensait-il. Il savait que ses vassaux n'accepteraient pas la nouvelle reine à sa mort. Peut-être que s'il leur forçait la main... Un noble suivi de ses chevaliers se plaça devant l'assemblée.

Il attendit quelques secondes, le temps que Guendolen se lève de son siège. Assez vite, Ereane remarqua que Makerost et Laya le rejoignaient. Le noble plia son bras et serra son poing vers son épaule avant de poser le genou à terre.

-Moi, Herald Ensta, maître du comté d'Heim fait vœu de servir, en toutes circonstances, son Altesse Guendolen Laoric Ière, jusqu'à la mort.

Les suivants du duc prirent solennellement la posture que lui. Voyant l'hommage présenté à la nouvelle reine, d'autres nobles suivirent le mouvement et, finalement, tout le monde prêta serment d'allégeance.

Aricad sourit, il avait réussi : "L'avenir proche du royaume est assuré. J'espère que cet événement arrivera le plus tard possible." . Tout le monde se releva et entama son verre d'alcool. Les musiciens recommencèrent à jouer. C'était celle sur laquelle avaient dansé l'ancien et la nouvelle dirigeante, à peine une heure plus tôt. Cependant, un attroupement resta près du trône.

-Chevalier Veyhnarte, s'exclama un soldat. Comte Ensta, c'est le capitaine...

-Qu'est-ce qu'elle... qu'il a ? interrompit Makerost.

-Je ne sais pas. Il se tient la poitrine et du liquide dégouline de sa bouche !

Makerost s'approcha plus près de son garde qui se convulsait au sol. Laya semblait mal en pont, elle étouffait et se tenait la gorge d'une main. Son autre main, crispée tentait désespérément de défaire sa cotte de mailles. Alors que son protégé allait l'aider à se déshabiller, la jeune femme l'arrêta net.

-Arrêtez, suffoquait-elle. Fuyez tant qu'il est encore temps, petit comte.

-Laya... Non. Vous avez besoin d'un médecin.

-Partez vite !... La roue... tourne...

Makerost regarda une dernière fois son chevalier avant de reculer. Laya fut prise d'une autre convulsion, suivie d'un râle puissant. Cette fois, personne ne pouvait ignorer la scène et aucun ne continua les festivités. Tous fixaient le capitaine Veyhnarte, qui venait de se relever.

-Capitaine, s'exclama un soldat, vous allez bien ?

Pour toute réponse, le chevalier reçu un coup d'épée un plein ventre et s'effondra dans la seconde qui suivit. Alors que d'autres chevaliers sortaient leur arme de leur fourreau, Laya les exécuta d'un mouvement circulaire avant de faire volte-face et de s'en prendre au roi. "Père !!!". Mais il était déjà trop tard : l'ancien monarque ainsi que la reine moururent, un coup de glaive leur ayant fait sortir leurs entrailles. Les nobles commencèrent à s'enfuir voyant que plusieurs chevaliers réputés se faisaient éventrer. Ereane resta seule dans la masse de monde tel un le haut d'un rocher dépassant le niveau de l'eau d'une rivière. " Princesse, suivez-moi." , "Princesse !". Ereane se retourna enfin, c'étaient Natan et Euser, les gardes habituellement postés au niveau des escaliers. Elle était en état de choc, traumatisée devant l'horreur qui se déroulait encore sous ses yeux. Un cri sauvage sortit les gardes de leur torpeur.

-Emmène-la, cria Euser prêt à couvrir son frère.

Natan ne se le fit redire et s'enfuit avec la princesse. Après avoir parcouru le château, il trouva le professeur Lok. Ce dernier lui fit signe de le suivre. En hâtant leurs pas, les deux hommes arrivèrent à une porte dérobée dans la salle d'armement.

-Dire que j'ai passé tellement de temps ici sans voir ça, s'exclama Natan.

-Ce sont des secrets bien gardés, répondit mystérieusement le professeur alors qu'il allumait une torche. Ces passages secrets devraient nous emmener quelque part en ville.

Un bruit suspect retint leur attention. C'était régulier, mais de plus en plus puissant. Il ne fallut qu'un quart de seconde à Natan pour comprendre que quelqu'un les avait suivis. Confiant la princesse au professeur, il dégaina son épée. Le bruit se rapprochait de plus en plus et, chaque seconde qui s'écoulait, le garde royal sentait son cœur battre encore plus fort. Soudain, un bruit de flottement se fit entendre. La seconde d'après, le cadavre d'un soldat gisait aux pieds de Natan. Le garde sentit la colère bouillonner en lui. Voir l'armure rouge et la carrure du mort avait éveillé un sentiment aveugle de vengeance. Enfin, Laya passa la porte et apparut devant lui.

-Sale enflure. Tu vas payer pour avoir tué mon frère !

Natan lança une puissante attaque frontale, mais la meurtrière la para aisément et fit une fente basse. La lame fut esquivée et le garde décida de frapper à la tête. Cependant, il était trop tard : son opposante, bien trop agile et rapide pour lui, l'atteint au ventre près du rein. Alors que les deux adversaires se remettaient en garde, Natan sentit un liquide couler sur sa peau. Baissant la tête, il constata nerveusement une petite flaque de sang par terre. Tel un déclic, la douleur vint embraser son abdomen et lui arracha un gémissement. Examinant le débit du liquide vermeil, le garde soupira, soulagé. L'épée n'avait pas eu le temps de s'enfoncer dans la plaie. La blessure n'était pas trop profonde.

Malgré sa supériorité physique, il comprit qu'il devait jouer la carte de la ruse pour gagner. Les deux chevaliers décrivirent quelques moulinets avec leurs armes avant de lancer une nouvelle attaque. Ils étaient très bons, l'un profitait de sa vitesse pour surprendre, l'autre mettait sa robustesse à profit, cachant ses points vitaux et ne laissant que peu d'ouvertures. Après une énième attaque infructueuse, Natan réussit à atteindre le heaume de son adversaire. Le casque tomba, en même temps que son porteur, révélant la véritable nature de l'assassin. "Une femme ?!" pensa-t-il surpris.

-Aidez-moi, cria-t-elle d'une voix qui n'était plus la sienne, et sauvez la princesse !

Sans laisser le temps au garde de mesurer la portée de ses paroles, Laya bondit et frappa Natan à l'épaule, entaillant la chair, avant de faire coulisser son épée en diagonale, le long de son thorax. Le garde tomba lourdement face contre terre, mortellement touché.

-... Votre Majesté... Ma reine... Princesse... Euser... Je suis...

Le garde royal ne put finir sa phrase. Ses derniers mots moururent avec lui, sa propre lame plongée au travers de son cou. Ayant terminé son œuvre, Laya l'assassin entra dans le corridor sombre à la poursuite d'Ereane et du professeur...

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