Chapitre II : La roue tourne (Partie III)
Le lendemain, Ereane se trouvait seule au cours de Patrid Lok. C'était Ewulf, le cinquième et dernier jour de la semaine qui servait de jour de congé aux habitants d'Edraïc, qu'ils suivent ou non les enseignements du Trian. De ce fait, la princesse était-elle aussi en congé, toutefois, sa soif de connaissances inapaisable l'empêchait de prendre un jour de repos. Au début, le professeur avait refusé d'enseigner ce jour, mais la détermination de la jeune fille avait fini par le faire céder. Le cours dispensé se passait bien, car la princesse n'était pas retardée par ses camarades, elle apprenait plus de choses ce jour-là.
À la fin de la journée, le cours se termina. Le soleil allait bientôt se coucher. Ereane quitta les appartements du professeur et se dirigea vers les siens. Il fallait qu'elle se prépare : c'était le dernier jour de la retraite de sa sœur. Ce soir-là, elle allait participer à la cérémonie de bénédiction. Elle était privée et seuls les membres de la famille royale et le grand pontife seraient présents.
Alors qu'elle montait les escaliers pour accéder à son étage, la princesse remarqua son vide inhabituel. En temps normal, il y avait toujours deux gardes par étage dans les escaliers. Or, il n'y en avait aucun. Ereane descendit les escaliers avant de les monter une nouvelle fois. Pas de soldat. Il n'y en avait pas non plus dans l'aile ouest lorsqu'elle avait quitté Patrid Lok.
Pour la première fois de sa vie, un sentiment d'insécurité s'empara d'elle. Cependant, son inquiétude se dissiperait certainement si elle arrivait à rejoindre sa chambre. Il ne restait qu'un étage, que quelques marches pour être en sécurité, ou tout du moins, pour se sentir en sécurité.
La princesse commençait à monter l'escalier au pas de course lorsqu'elle entendit un bruit soudain. Il était faible, mais l'adolescente était dans un tel état qu'il la fit sursauter. Le bruit venait du premier. Inquiète mais curieuse, la princesse descendit les quelques marches qu'elle avait montées.
Arrivée au palier, elle tourna la tête et avança dans le couloir à sa droite. La rumeur semblait venir d'une pièce du fond. Ereane se plaça discrètement derrière la porte et se concentra pour entendre les murmures. Au bout de quelques secondes, l'adolescente reconnut l'une des voix. C'était celle d'Ordric Lok, le principal ministre et conseiller de son père. Il était aussi le frère de son professeur. La première lui était cependant inconnue.
-Donc, tout est prêt ?
-Sans faute, il ne se doute de rien.
-Parfait, mes hommes sont en place. Ils entreront au signal.
-N'oubliez pas, seulement le roi et la princesse doivent y passer.
-Et vous, n'oubliez pas la faveur que nous vous faisons, Lok !
Les bruits de pas se rapprochèrent. Ereane sentit son cœur accélérer. Elle eut juste le temps de traverser le couloir et d'arriver à l'escalier. Son pied gauche sur la première marche, elle se surprit à penser que le ministre aurait dû sortir la pièce depuis un instant déjà, mais ce fut à ce moment que Lok sortit de la chambre.
"Princesse Ereane, je vous pensais en train d'étudier." Questionna le ministre. Après un sursaut plus ou moins maîtrisé, l'adolescente descendit les deux marches qu'elle avait montées et se présenta devant le ministre. Elle sentait les moindres pulsations de son cœur autour de la tête et à la nuque.
Sa peur la rendait vulnérable : si le conseiller la voyait ainsi, il devinerait sans doute qu'elle avait surpris la conversation. Ereane fit un effort pour dominer ses émotions. En essayant d'arborer son sourire habituel, elle répondit.
-Ma leçon vient de se terminer. J'allais à présent me préparer pour la cérémonie de cette nuit.
-Je vois, veuillez excuser mon indiscrétion.
-Je sais que vous faites tout pour pourvoir à mes besoins.
La phrase mensongère fit son effet et ne parut pas inquiéter le ministre. Après un moment d'hésitation, la princesse ajouta :
-Le château semble vide, je n'ai vu aucun garde. Savez-vous où ils se trouvent ?
-Vous n'avez pas à vous faire du souci pour cela. Le roi m'a demandé de poster les soldats dans le jardin. Il veut que la cérémonie se fasse avec le moins de monde possible au château. Vous le connaissez, toujours à cheval sur la tradition.
-Je vois. Si vous voulez bien m'excuser, je dois aller me préparer.
-Princesse.
-Premier Conseiller.
Alors, Ereane prit congé d'Ordric et toute la tension qui s'était accumulée en elle tomba. Désormais calmée, elle pouvait réfléchir à ce qu'elle devait faire. En montant les escaliers, elle ne pouvait s'empêcher de penser à la conversation qu'elle venait de surprendre. Quelque chose de grave allait arriver et il y avait fort à parier que ce serait imminent. La princesse devait en avertir son père, cependant, au moment où elle voulut le faire, elle se ravisa. Maintenant qu'elle avait retrouvé son sang-froid, Ereane songea qu'elle ne savait pas exactement ce qui allait se passer. Les propos qu'elle avait entendus n'étaient pas clairs. En y pensant, elle se dit que savoir ne lui apportait rien : elle était une fille et sa parole n'aurait jamais été prise au sérieux. Même son père ne la croirait pas. Ordric Lok était un de ses amis d'enfance et il avait toujours eu confiance en lui. Même en étant la personne la plus parfaite et la plus estimée du monde, incriminer le ministre relevait du suicide. Ereane n'avait aucune preuve, ce serait sa parole contre celle de Lok.
Finalement, la princesse décida de ne rien faire, préférant croire qu'elle s'était trompée, mais se résolut à quand même à rester sur ses gardes. Elle alla dans chambre et en ressortit une heure plus tard, elle était prête pour la cérémonie. L'adolescente traversa l'étage pour aller dans l'aile sud. Là, elle monta les deux étages pour atteindre la chapelle.
En arrivant sur le palier, elle vit les deux gardes qui gardaient la porte. Ne les connaissant pas, elle les salua malgré tout sans s'empêcher pour autant de les regarder avec méfiance. L'adolescente poussa la porte en bois de la chapelle. L'obscurité était frappante. La nuit était tombée depuis plus d'une heure déjà, mais les seules quelques petites bougies étaient allumées. Lorsque la princesse avança dans la pièce, le courant d'air qu'elle sentit à ses pieds lui fit remarquer que la fenêtre à sa droite était ouverte. Le clair de lune qu'elle laissait entrer dans la pièce éclairait parfaitement l'autel.
Après avoir pris soin de fermer la porte, Ereane continua à avancer pour rejoindre sa famille. Tout le monde était présent. Le roi, l'évêque et sa sœur Melonie étaient en habit de cérémonie et son aînée Guendolen était seulement vêtue d'une simple robe blanche. Ce vêtement ne devait pas lui tenir chaud, car elle était fine et arrivait aux genoux de l'héritière. Les soupçons de la princesse blonde se confirmèrent lorsqu'en fixant les pieds nus de sa soeur, elle la vit trembler.
Lorsqu'elle vint se mettre à la droite de son père, Melonie lança un regard froid et antipathique à Ereane. Il traduisait toute l'hostilité que la cadette avait envers la benjamine. Cette dernière était tout de même heureuse de ne pas avoir à entendre ce que sa sœur aurait pu dire. Ce fut le roi qui mit fin à la confrontation en s'avançant. Sa présence surprit Ereane : elle ne se souvenait pas de l'avoir vu l'instant d'avant. Pourtant, la jeune fille l'avait vu en arrivant. C'était comme s'il avait disparu puis était réapparu le temps de la querelle.
Tout le monde se mit en place. L'évêque monta sur l'autel suivit de Guendolen. Elle se prosterna alors avec grâce et s'agenouilla avec une posture droite, les mains sur ses cuisses, la tête penchée vers le sol. Le prêtre murmura quelques mots avant de s'agenouiller à son tour et de se relever. L'évêque commença alors la célébration :
-...Guendolen Laoric, fille d'Aricad Laoric troisième du nom et de feu son épouse Lila Merant de son nom de jeune fille, Laoric de son nom d'épouse. Avez-vous pour vœux de protéger les Laorants et de faire prospérer le Laor.
-Oui, j'ai ce vœu.
-Souhaitez-vous en faire votre serment ?
-Je jure de faire prospérer ce royaume et ses habitants.
-Choisissez-vous d'être une reine sage et de ne pas céder au péché ?
- Je fais serment de ne pas les mener vers le péché, mais seulement vers la lumière. Envers les Grands et envers les hommes. Je fais serment de ne pas les mener vers le péché, mais seulement vers la lumière.
L'évêque tendit ses mains vers l'héritière et cette dernière joignit ses mains.
-Moi Elan Doyl, grand pontife de Laor, bénis son Altesse Guendolen Laoric. Que les Grands vous gardent et vous guident. Par le Guerrier, le Fils et la Mère.
L'homme prit un petit flacon, versa un peu de son contenu et fit un signe sur le front de Guendolen avec son pouce : un triangle. Le pontife autorisa ensuite la princesse à se lever. Le roi s'approcha pour embrasser sa fille. On entendit un bruit sourd et rapide, puis un deuxième. Le roi s'arrêta dans son mouvement. C'est alors que le prêtre s'effondra. Il tenait son cou comme s'il suffoquait. Le roi, à son tour, tomba à genoux. Les princesses étaient muettes, Melonie voulait crier d'effroi, mais l'horreur était telle qu'elle en demeurait paralysée. Néanmoins, elle fut la première à réagir. Lentement, elle s'approcha de son père : il vivait encore. Sur son cou, elle voyait le manche d'un couteau, la lame plantée dans la chair. Ereane alla vers l'évêque pendant que Guendolen rejoignait Melonie.
Cependant, le corps de l'évêque était déjà sans vie. Elle se dirigea alors vers la fenêtre ouverte, le seul endroit d'où les coups auraient pu partir. La princesse se pencha et regarda tout autour de la fenêtre. Il n'y avait aucune trace sur les murs et, même si le sol se trouvait à dix mètres, Ereane ne voyait aucune trace dans l'herbe. C'est alors qu'elle entendit un cri strident derrière elle. C'était Melonie, leur père venait de mourir.
La porte s'ouvrit et les deux gardes déboulèrent. "C'est Ereane ! C'est la meurtrière !" Hurla Melonie. Les soldats foncèrent vers la jeune princesse et l'attrapèrent. La jeune adolescente lutta et tenta de se rapprocher de la fenêtre, mais ils étaient trop forts.
Ils étaient tous face à la lune, l'astre semblait tourner telle une roue, et des marques rougeâtres semblaient apparaître sur les bords. Mais les gardes ne laissèrent pas le temps à Ereane de la contempler. Tandis que l'un la maintenait, l'autre sortit son épée. Un éclair de terreur traversa la princesse en voyant le fer, illuminé par le clair de lune, s'abattre sur elle.
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Bonjour chers lecteurs. J'espère que vous avez aimé suivre Ereane Laoric jusqu'ici. Si vous avez des remarques ou que vous aimez ce que j'écris, n'hésitez pas à commenter ou à voter.
Bonnes vacances pour ceux qui sont concernés et patience pour les autres !
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